L »édito de Anne Georget, publié dans la Lettre Astérisque n°54.

Rien de grandiloquent. Concrète, surtout. C’est une action comme je les aime. Qui raconte en miroir, en ricochet comment ce que nous traçons du monde peut le toucher, le changer.

Après les attentats de janvier 2015, sonnés, nous nous sommes tous demandé comment pouvaient se conjuguer nos créations et nos préoccupations citoyennes. Éduquer aux mots, à l’image, aux sons sans leçon de morale, toucher les jeunes en misant sur leur intelligence, sans singer leurs codes ni leurs modes. Avec exigence.
Les rencontres avec des documentaristes de télévision ou de radio, avec des auteurs de l’écrit, avec des photographes ou reporters de guerre se sont multipliées dans les établissements scolaires. Travail de longue haleine qu’il faut poursuivre une fois le choc passé. Nous ne pouvons que l’encourager, mais ces actions touchent rarement les plus délaissés du système.

C’est alors qu’Hélène Kuhnmunch, femme passionnée, a poussé la porte de la Scam. Professeur de français, elle nous a parlé de ses élèves d’un lycée professionnel de banlieue parisienne à qui elle montre des documentaires depuis des années. Avec ces lassés – souvent –, déclassés –  plus encore –, du système scolaire elle discute des films et elle écoute beaucoup.
Et ce qu’ils disent de nos documentaires est bluffant. Grammaire, argumentation, débat, la forme, le fond… Du sacré boulot. De ces regards aiguisés naissent des liens, des idées, et pourquoi pas de nouvelles ambitions.

Pour garder le tempo, pour étendre l’expérience, Hélène Kuhnmuch a proposé de rajouter du jeu dans l’expérience et de faire entrer ces élèves dans « la cour des grands ». Avec elle, nous avons imaginé l’opération « Le lycée pro crève l’écran », un concours qui mette en lumière la subjectivité à l’œuvre dans les films documentaires.
Qui développe l’esprit critique des élèves à l’égard des films qui traitent du réel : prendre conscience qu’ils sont toujours l’expression personnelle d’un auteur.

Sept lycées professionnels (cinq en région parisienne, deux en régions) vont travailler sur trois documentaires qui font écho au quotidien des adolescents : Armand, 15 ans l’été de Blaise Harrison (c’est l’été, un adolescent grandit…), Dayana mini-market de Floriane Devigne (les déboires d’une famille tamoule à Paris), La Mort du dieu serpent de Damien Froidevaux (l’exil forcé d’une Sénégalaise expulsée de France).

À l’issue de rencontres avec les auteurs, de leur réflexion et de leur travail sur les images, les jeunes rédigeront une critique du film. Télérama qui suivra l’opération, publiera la « meilleure » de ces critiques.
Le lycée de l’équipe gagnante recevra 1 500 euros que les élèves choisiront d’utiliser pour une sortie de leur choix, tous les participants recevront des invitations à des projections, avant-premières et au Festival des Étoiles.

Cette action en rejoint d’autres dont la Scam est partenaire et qui travaillent aussi à la rencontre entre nos œuvres et un public qui peine à y accéder. C’est le cas de Tribudom en banlieue parisienne, des ateliers L’œil du doc de l’association Tchok en doc qui travaille avec les collèges et les prisons de Martinique, ou dans un autre genre d’Un artiste à l’école, dans laquelle les sociétés d’auteurs missionnent des écrivains, des réalisateurs, des musiciens sur les bancs des écoles qu’ils ont fréquentées, sans oublier La Semaine de la presse dans les écoles en mars et aussi le formidable travail du Bondy blog.

Ces petites graines, semées au vent mauvais, fleuriront sans nul doute : chiendent, fleur de bitume, mauve apaisante et tout ce que la culture réserve.

Anne Georget, présidente de la Scam

Au sommaire du numéro 54 d'Astérique – mars 2016 :

  • un portrait de la cinéaste Carmen Castillo,
  • un état des lieux sur l’utilisation de la voix-off dans les documentaires,
  • un entretien avec Luciano Rigolini,
  • un état des lieux sur les auteurs de BD,
  • un hors champs consacré à la revue Images documentaires,
  • une interview avec la directrice de France Culture Sandrine Treiner,
  • un compte rendu de la rencontre professionnelle organisée au dernier Fipa,
  • une étude sur la création,
  • une porte ouverte sur La Maison des auteurs de la Scam.