« Dépolluer l’air du temps »
L'édito de Julie Bertuccelli, présidente de la Scam

E n septembre 2012, La Barbe, collectif féministe, avait fait irruption aux assises de l’audiovisuel organisées par la Scam pour « encourager » notre société « à préserver cet entre-soi viril qui fait tout le charme du paysage audiovisuel français ». La Scam était à l’époque dotée comme tant d’entreprises et d’institutions, d’instances dirigeantes très majoritairement masculines, ce que le collectif entendait dénoncer avec la joie et la bonne humeur indispensables à aborder tout sujet sérieux. Depuis, deux femmes ont été élues à la présidence de la Scam, et il y a totale parité au conseil d’administration et une exigence de parité au sein de tous les jurys et autres instances de pouvoir… On peut y voir un signe de modernité !

Dans la tourmente du moment initiée par l’affaire Weinstein, La Barbe donne à nouveau de la voix. Elle célèbre un « bien sombre automne pour la masculinité » (Libération, 1er décembre 2017). J’y verrais pour ma part des lendemains plus lumineux pour les femmes. La dénonciation des abus et crimes dont elles sont victimes, leur exposition au grand jour est un nouveau facteur de progrès. Quel rapport avec le premier paragraphe ? Aucun sans doute. Mais il me semble que l’avènement des femmes à des postes décisionnaires contribue à dissiper les antiennes du machisme qui se complaît dans le pouvoir. Je ne voudrais pas simplifier à l’extrême des questions complexes, mais je ne peux m’empêcher de penser que la présence plus forte des femmes peut aider… À ce que je sache, peu d’entre elles ont été désignées dans les vagues de dénonciations, comme abuseuses présumées…

Est-ce un hasard si le scandale a surgi du cinéma ? Le cinéma n’est-il pas, après tout que le simple reflet d’une triste réalité ? Une étude diligentée par l’Université sud de Californie relève que sur les films les plus lucratifs d’Hollywood ces dix dernières années, 4,4 % seulement ont été réalisés par des femmes. La même étude souligne une plus grande parité dans le documentaire et note que les femmes représentent presque la moitié des réalisateurs et réalisatrices des documentaires présentés à Sundance entre 2002 et 2012. Et que la tendance
ne cesse de s’affirmer depuis. Du côté de chez nous, des progrès sont encore possibles : une fort opportune étude du CNC, publiée au printemps dernier, pointait une forte inégalité hommes-femmes dans le cinéma : 21 % seulement des films réalisés en France en 2015 sont signés par des femmes. Un rapport diligenté à ma demande par la Scam en 2015 montrait que 37 % des documentaires sont réalisés par des femmes. Le salut de la femme viendrait-il du documentaire ?

Je ne suis pas sûre qu’il y ait des milieux, des sociétés épargnées par les violences faites aux femmes. Dans un des pays les plus performants dans la lutte qui leur est faite, la Suède, pas moins de 456 comédiennes ont dénoncé en novembre dans une tribune qui a fait grand bruit, le harcèlement et les agressions dont elles ont été victimes dans le milieu du cinéma et du théâtre et la « culture du silence » lié à ce fléau. Cela ne signifie pas que la Suède (qui dispose d’une des législations les plus rigoureuses en matière de définition du viol) soit  particulièrement exposée. Mais que la parole, là-bas comme ici et ailleurs se libère. Elle gagne la place publique et c’est tant mieux. Un grand vent s’est levé. Le gouvernement français compte faire de la lutte contre les violences faites aux femmes la grande cause nationale du quinquennat.

Je m’en félicite. Pour autant, je voudrais être sûre que cela se fasse dans une cohérence d’ensemble. « La culture fonde l’être humain », disait récemment notre ministre de la Culture Françoise Nyssen en revendiquant « un travail à faire vers tous les publics ». Nous sommes d’accord et nous, auteurs et autrices, avons notre rôle à jouer. Pour mener cette indispensable lutte pour dépolluer l’air du temps, il faudra des moyens. Les réductions budgétaires qui affectent France Télévisions et Radio France, vecteurs culturels parmi les plus performants
partout sur le territoire, ne sonnent-elles pas comme une petite contradiction ?


Au sommaire de ce numéro

Portrait d'Annie Ernaux – p°4
Droits d'auteurs : Bienvenue aux youtubeurs – p°9
Portrait de Serge Viallet – p°10
– Festival Ânûû-rû Âboro – p°12
– Hommage à Jean Rouch – p°14
www.forbiddenstories.org – p°18
– Entretien avec Mathieu Gallet – p°20
– État des lieux : Télévision = sciences2 – p°24
– La réalité virtuelle dans le réel – p°26
– Zona Franca – p°28
– Militantisme : #Turquie #LibérezLesTous – p°30

Edito de Julie Bertuccelli