Dans le champ en mouvement de la webcréation, la série documentaire prend aujourd’hui son envol. Consacrant la forme du court-métrage, ce genre protéiforme n’a pas fini de surprendre. Un article de la journaliste Laureline Amanieux, pour la lettre Astérisque n°61.



Une diffusion adaptée aux nouveaux usages

Se distinguant du documentaire interactif, qui demandait une participation de l’internaute et la création d’un site dédié, la websérie répond davantage à nos pratiques contemporaines. Le smartphone et les tablettes ont remplacé le laptop. Avec ces écrans mobiles, les usages ont été bouleversés. Composée d’épisodes courts, en dessous de 13 minutes, et privilégiant une narration linéaire, la websérie se visionne aisément en mobilité. Elle s’intègre aux sites des chaînes, ou encore se distribue via les plateformes de vidéos et les réseaux sociaux. Il s’agit désormais pour les créateurs de se rendre là où les internautes se trouvent déjà. 

Ces principaux diffuseurs de webséries, qui sont-ils ? IRL (pour In Real Life) de France Télévisions Nouvelles Écritures, lancée en 2015, produit des séries qui racontent le monde d’aujourd’hui, valorisant des contenus peu abordés à la télévision. De son côté, depuis 2011, ARTE creative cultive un esprit « geek, street, explorant toutes les contre-cultures urbaines », nous explique Daniel Khamdamov, chargé de programmes de la chaîne, car « les webséries proposent un traitement original, un ton singulier, avec un esprit do it yourself ». Pour Sébastien Carayol, réalisateur avec Katie Callan de trois webséries, dont Sound System, « on fait découvrir des sujets insoupçonnés et des personnages underground. De l’insolite ». 
La websérie documentaire fleurit également sur France TV Éducation ou Slash, les chaînes web par abonnements comme SPICEE (voir Marion Desquenne, Le Paname de Marion In the Woods), ou l’application gratuite Blackpills avec Les Chroniques de Clichy-Montfermeil de JR et Ladj Ly. Studio+ a diffusé des séries sportives comme Biarritz Surf Gang de Nathan Curren et Pierre Denoyel. Youtube, ou d’autres écosystèmes, offrent d’auto-diffuser des séries classiques ou audacieuses, dans lesquelles les auteurs se mettent en scène, telle Qui es-tu Japon ? de David-Minh Tra. Appels à projets et commissions multimédias soutiennent le genre ; des webfestivals les accueillent. Ouvert aux nouveaux auteurs, ce webformat fait « démarrer des gens qui ont un regard neuf en réalisation et en production », ajoute Daniel Khamdamov. 

Une écriture documentaire rénovée

Comme le rappelle Cédric Mal, coauteur du livre Au-delà du Webdoc. Les nouveaux territoires de la création documentaire, publié en 2018, « Internet recycle beaucoup de pratiques qui se faisaient ailleurs », car le documentaire sériel existe depuis longtemps à la télévision et au cinéma. Le web permet cependant de rénover le genre et, pour certains réalisateurs, « de tenter des approches inédites », nuance Cédric Mal. La Parade sur IRL déroule ainsi un « conte documentaire postindustriel en photographie parlante », selon ses auteurs, Mehdi Ahoudig et Samuel Bollendorff, pour valoriser les cultures populaires survivant dans le Nord. Avec La Bande du skatepark, Marion Gervais a su réécrire un projet initialement pensé pour un unitaire audiovisuel en une série poétique, attentive à ses personnages d’adolescents. 

De plus, la websérie favorise « l’hybridation : mixer le réel, la fiction, l’animation, tous les modes de captation, de filmages ou d’insertion d’archives. C’est une esthétique du fragment, de l’ellipse, avec un générique très court et une narration directe qui va à l’essentiel », souligne Daniel Khamdamov. L’internaute étant adepte du zapping, les auteurs captent son attention par un incipit percutant, une narration efficace et parfois un aperçu de l’épisode suivant. Ce format ne néglige en rien la rigueur documentaire, car « il ne s’agit pas de monter une série d’images et de propos à une vitesse effrénée. Même si le rythme est alerte, on y trouve une patte d’auteur et une identité visuelle propre à chaque projet. L’habillage créatif fait aussi partie intégrante des intentions de l’auteur », poursuit Daniel Khamdamov. S’ajoute une intense liberté de ton. Sur IRL, la catégorie Fact Checking rassemble des séries décalées et engagées comme #Datagueule ou Les Chroniques écologiques du professeur Feuillage. Jeux de mots, registres familiers, humour ou prises à partie, tout est (presque) permis pour river l’internaute à son écran.

Des séries en feuilleton, thématiques ou à concept

Quelles sont alors les formes narratives déployées par le genre ? Dans les webséries feuilletonnantes, les ressorts de la fiction se mêlent aux logiques du web. Commises d’office d’Olivia Barlier suit trois jeunes avocates d’un tribunal de banlieue : chaque épisode enchaîne une ouverture graphique originale et des séquences documentaires enlevées, puis se clôture par un climax. Certains récits s’achèvent en fin d’épisode, tandis que d’autres se poursuivent au-delà. La musique électro dynamise l’ensemble. Lorsque la websérie décline une thématique, elle boucle une narration dans chaque épisode, mais chacun d’eux éclaire un aspect d’une problématique : « on doit également imaginer un début et une fin à l’ensemble de la série », précise Sébastien Carayol. Si le format court implique une écriture précise et des tournages ciblés, le montage joue un rôle essentiel. Pour Arte creative, Léo Favier dans #Propaganda détourne des images issues de banques en ligne (les stock shots) accompagnées d’une voix off impertinente : « C’est une fiction documentaire très écrite », précise Daniel Khamdamov. « La série propose un parcours thématique à partir du livre Propaganda d’Edward Bernays. Dans chaque épisode, un spin doctor décrypte un mécanisme d’influence contemporain. Et la série se prête à une diffusion sur des réseaux sociaux, car l’internaute peut s’emparer d’un épisode en fonction de l’actualité. » Quant à la websérie à concept, elle propose des dispositifs innovants pour « adopter les codes de la génération à laquelle l’auteur veut s’adresser », explique Cédric Mal. Dans Selfiraniennes de Ségolène Davin et Charlie Dupiot, de jeunes Iraniennes collent un smartphone sur leur miroir et parlent à visage découvert en mode selfie de sujets intimes. Intégrant nos pratiques numériques, ces webséries s’adapteraient difficilement à une forme longue audiovisuelle. D’autres reproduisent des échanges via smartphone dans de petits films associant les idées, les Gifs et les émoticones, qu’on visionne avec ou sans le son, sur tous les appareils. Le langage du web se trouve ainsi réintroduit dans des oeuvres pour le web. 
Autre cas : les séries pensées pour les réseaux sociaux comme le Madeleine project de Clara Beaudoux sur Twitter qui donna ensuite un livre, ou Les Parisiens du mois d’août de Stéphane Mercurio sur facebook. En 2016, la réalisatrice décrit son dispositif sur le réseau : « une déambulation caméra au poing le long d’un itinéraire qui commencera sous le périphérique parisien dans le parc de la Villette le 1er et qui se terminera le 31 août quelque part, le long de la Seine ». Elle marche trois heures seule chaque jour, reprend où elle s’est arrêtée la veille, et met ensuite en ligne un texte personnel, des photographies ou une séquence vidéo. Le projet connaît une saison 2 et un prolongement documentaire pour France 3. L’œuvre en réseau s’adapte ainsi à une temporalité quotidienne, invite à l’imaginaire et à participer, ouvrant la porte à un work in progress. Sur Instagram, avec le lancement en 2018 d’IGTV pour des vidéos dépassant 1 minute, d’autres horizons s’ouvrent avec une réalisation en format vertical.

Toucher un public sur le web

Enfin, la websérie permet « d’initier au documentaire de nouveaux publics et de rajeunir l’audience », déclare Daniel Khamdamov. Sur Internet, chaque série doit trouver sa communauté, ou en additionner plusieurs, favoriser l’hyper-distribution des contenus à travers tous les écrans possibles, trouver des influenceurs… En matière d’audience, il faut distinguer le clic sur une vidéo et son visionnage en entier. Et le succès se mesure aussi à l’aune des partages ou des réactions suscités. Provoquer un débat, alerter, enrichir et divertir : la websérie, même parcellaire dans son propos, désire faire bouger les lignes comme toute œuvre documentaire exigeante, et sur le web, elle tend à répandre un souffle positif en montrant des actions inspirantes. Si les auteurs souhaitent traiter autrement le réel, ils nous invitent souvent avec ce format à être autrement. 

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