Le 6 septembre, le CNC et TV France International dévoilaient les nouveaux chiffres des programmes français à l’export. Une année historique. Mais si le documentaire affiche, lui aussi, de très bons chiffres, sa production peine encore à répondre aux attentes du marché international. Un article de la journaliste Anne-Lise Carlo, pour la lettre Astérisque n°61.

Les ventes de programmes audiovisuels français à l’étranger ont passé la barre des 200 millions d’euros en 2017. Elles ont plus que doublé en dix ans pour atteindre les 205,2 millions d’euros générés en 2017, contre 189,1 millions en 2016, soit une hausse de 8,5 %. « L’ensemble des exportations audiovisuelles françaises représente plus de 325 millions d’euros en 2017. C’est une année historique, la deuxième meilleure en vingt ans », saluait Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma (CNC), lors d’une conférence de presse qui s’est tenue à la Scam le 6 septembre. Parmi ces très bons chiffres présentés par le CNC et TV France International (TVFI), la baisse des coproductions vient quelque peu ternir le tableau. Elles ont ainsi chuté de 25 %, à 57 millions d’euros, des variations qui s’expliquent par les cycles de production. Les exportations ont, elles aussi, baissé de 3,2 % par rapport à 2016, mais cette précédente année était justement une année record.

Qui achète les programmes français aujourd’hui ? Les plateformes de streaming (type Netflix, Amazon, Hulu…), dont le poids va croissant, « permettent de faire circuler les programmes français dans des zones où ils n’étaient auparavant pas présents », souligne le président de TVFI, Hervé Michel, dont la mission est de promouvoir l’offre des programmes français sur le marché international. Dans cette idée, la décision de Bruxelles d’obliger les plateformes à exposer au moins 30 % d’œuvres européennes dans sa directive dite SMA ne peut que constituer « une opportunité extraordinaire », selon Frédérique Bredin. Ces plateformes doivent selon elle plus que jamais contribuer « au dynamisme du secteur ».

Par pays, la zone germanophone est le premier acheteur de programmes français, mais l’année 2017 a aussi été marquée par une forte augmentation des exportations vers les États-Unis et le Canada (+ 16 %). Les « droits monde » (des contrats de cession pour plusieurs territoires mondiaux) ont explosé l’an dernier et représentent désormais 14,2 % des ventes, illustrant la montée en puissance des plateformes de vidéos à la demande : 75 % des droits monde, contre 28 % en 2016. Mais l’étude du CNC et de TVFI souligne également que leurs tarifs d’acquisition restent souvent orientés à la baisse. Les questions de fenêtres, d’exclusivité et d’étendue des droits complexifient le marché des ventes internationales. Leur place croissante « doit nous alerter sur les pratiques commerciales, avec une attention particulière aux droits d’auteur », a prévenu Frédérique Bredin.

Si l’on détaille ce bilan par genre, se dessinent des évolutions différentes, même si tous ont progressé. Ainsi, c’est encore une fois l’animation qui enregistre les meilleurs résultats : le genre représente 37 % des ventes françaises, soit près de 76 millions d’euros. Des succès internationaux comme Grizzly et les lemmings, Molang ou Zig & Sharko en sont les meilleurs exemples. Les fictions ont, quant à elles, progressé de 28 % pour atteindre 64 millions d’euros. Un élan soutenu par des séries comme Baron noir, Zone Blanche, La Mante, Candice Renoir, Missions ou Trepalium.

Les documentaires ne sont pas étrangers à ce bon bilan. Ils représentent 17,3 % des ventes de 2017 et enregistrent leur deuxième meilleur résultat en dix ans : 35,5 millions d’euros de ventes, en légère reprise (+ 1,2 %) par rapport à 2016. Cette croissance est soutenue par des succès tels 700 requins dans la nuit de Luc Marescot (Arte France) ou Jeunesses hitlériennes, l’endoctrinement d’une nation de David Korn-Brzoza (ZED). « Ce qui a marché avec 700 requins dans la nuit, c’est le côté extraordinaire de l’expédition : une plongée de nuit au milieu de sept cents requins affamés… Le tournage s’est fait dans des conditions inédites, avec de très nombreuses caméras GoPro dans l’eau. Le film a été pré-acheté par la chaîne américaine National Géographic. Ils ne l’avaient jamais fait précédemment avec un film Arte. Il a fallu, du coup, faire beaucoup d’allers et retours aux États-Unis. Nous leur avons proposé une version de 45 minutes, plus orientée factual, même si rien n’a changé au niveau du contenu éditorial », raconte Céline Payot Lehmann, responsable de la distribution internationale d’Arte France.

La série documentaire Duels dirigée par Annick Cojean (devenue Face to Face, distributeur Balanga) tire aussi son jeu sur le terrain international. « Sur le documentaire, le format en série est très demandé, en raison des plateformes notamment. Cela favorise des succès comme celui d’Apocalypse la deuxième guerre mondiale par exemple. En France, la production reste toutefois encore très tournée vers l’unitaire », explique d’emblée Roch Bozino, président de Java Films et membre de la commission sélective des aides à l’export du CNC. Dans le même ordre d’idées, le format en série a aussi porté le projet Rêver le futur (Update Productions, Bonne Pioche, APC), vendu dans une centaine de pays et à une soixantaine de chaînes ou de services VOD (certains couvrant plusieurs territoires). « Le programme cochait beaucoup de cases : la thématique porteuse de la « pop science », autrement dit une science vulgarisée, accessible tout en étant précise. Le réalisateur Pierre-François Didek a particulièrement le sens du rythme. Sa mise en images nous avait séduits tout de suite. Et le format de série en vingt épisodes, très rare en France, a joué en sa faveur », raconte Emmanuelle Guilbart, qui dirige la société de distribution About Premium Content. Rêver le futur est devenu un benchmark pour les gens qui s’intéressent à l’international. On aimerait en trouver d’autres, on en cherche ! », ajoute-t-elle. Globalement, Roch Bozino souligne « le niveau de professionnalisme de la production documentaire française ». Hervé Michel confirme : « Il y a en France un savoir-faire indéniable pour ce genre. Nous faisons partie des grands pays du documentaire avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Il faut que l’on capitalise là-dessus et que l’on fasse en sorte de mieux répondre à la demande existante pour les productions françaises. »

Céline Payot Lehmann rappelle d’emblée que le « documentaire reste un genre fragile et fragilisé et que ces bons résultats ne doivent pas faire oublier que ce ne sont que quelques films qui portent le chiffre global. Les chaînes à l’étranger paient globalement moins et prennent par contre plus de droits. Pour reprendre l’exemple des 700 requins, il faut accepter de faire un film pour National Geographic, qui demande une exclusivité pendant quinze mois. » Roch Bozino, lui aussi, nuance l’enthousiasme général en rappelant « l’atomisation du secteur et des prix qui baissent » : « on vend pourtant plus de films qu’avant, et tous les matins il faut trouver une nouvelle solution innovante. Nous sommes sur le terrain toute l’année, très actifs sur les réseaux sociaux qui sont évidemment chronophages ». Le président de Java Films raconte que pour que des productions comme Cash Investigation aient une vie hors de l’Hexagone, il faut les vendre en version raccourcie à 52 minutes, « désincarnée » c’est-à-dire remontée sans la journaliste Élise Lucet. « Pour vendre à l’international, cette désincarnation ou le remontage du film sont souvent nécessaires. Il ne faut pas pour autant que l’auteur se vexe. Ce n’est en aucun cas un désaveu en sa direction », ajoute Roch Bozino. Une de ses « belles histoires » de ventes internationales reste celle du film La Rançon, du réalisateur
Rémi Lainé, au forum de l’IDFA à Amsterdam. « Nous avions pitché avec le réalisateur. C’est un beau travail d’équipe qui nous a permis d’obtenir quinze préventes pour le film », se souvient Roch Bozino.

Enfin, même s’il confirme que les ventes en vue d’une diffusion TV restent majoritaires, le président de Java Films donne aussi comme nouvelle opportunité des chaînes télé suédoises achetant des programmes documentaires pour du non-linéaire (leurs sites web par exemple) et non plus pour leurs antennes. « Il faut aussi induire plus de variété dans la production documentaire française. Mais, pour cela, il faut du volontarisme, sinon ça ne marchera pas ! Cela a déjà pris beaucoup de temps en fiction pour parvenir aux chiffres actuels », ajoute Emmanuelle Guilbart. « Sur le documentaire, il n’y a pas de baisse des ventes cette année à l’international, rappelle Hervé Michel, qui veut rester optimiste. Il faut donc poursuivre nos efforts dans cette voie. Dans ce genre, il n’y a pas encore le renouveau qu’il y a eu sur la fiction depuis 2014 ni de cercle vertueux comme en connaît la filière d’excellence de l’animation depuis très longtemps. Mais cela va venir. »

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