Rouages essentiels de la réalisation de films d’archives, les recherchistes n’ont sans doute jamais été aussi indispensables qu’à l’heure de la profusion généralisée des images numériques et numérisées. Un article du journaliste Cédric Mal, pour la lettre Astérisque n°64.

C’est un paradoxe : plus les images sont disponibles, moins elles sont accessibles, et plus on a besoin de « guides » pour les comprendre et les décrypter. Leur (sur)abondance en ligne ne signifie pas qu’elles sont toutes utilisables, loin de là, et encore moins gratuites.
« Tout est fragmenté, décontextualisé, explique Jean-Yves de Lépinay, et tout ce qui semble évident ou lisible ne l’est pas vraiment. » Dans ce contexte, le président des Professionnels de l’image et des archives de la francophonie (PIAF) défend l’impérieuse nécessité des documentalistes : « Ce ne sont pas les algorithmes qui choisissent les images, ce sont les collections de regards qui se posent sur elles. Les bases de données, ça ne suffit pas. Les recherchistes ont une inestimable connaissance des sources et des images pour nourrir les projets de films. »


Coécrire

L’association PIAF regroupe une centaine de personnes, essentiellement des responsables de fonds audiovisuels et des documentalistes, mais aussi tous ceux qui souhaitent participer aux réflexions et débats qui animent ce secteur. Loin d’être un syndicat, loin de porter des revendications catégorielles, la PIAF cherche avant tout à alimenter les
« bonnes pratiques » dans l’écosystème archivistique francophone. Absolument central, souvent mésestimé et parfois oblitéré, le titanesque et minutieux travail des recherchistes préside régulièrement à l’écriture des films. Caroline Blache (de l’agence XYZèbre), qui accompagne Barbet Schroeder dans l’adaptation fictionnelle d’un roman en le nourrissant d’archives à partir desquelles le cinéaste suisse écrit son scénario, explique : « Notre travail aide régulièrement les auteurs à comprendre, et il peut avoir une influence décisive sur la narration d’une œuvre. » La recherchiste Valérie Combard ne dira pas le contraire, elle qui s’est vu proposer par Yves Jeuland, en 2005, de cosigner Le Siècle des socialistes tant son apport avait été décisif.


Démêler

Si les recherchistes peuvent tricoter les canevas dramatiques avec les auteurs, ils sont également essentiels pour éclaircir le brouillard dans lequel baignent parfois certaines archives. Marie-Hélène Barbéris, qui a travaillé sur La Tragédie des Brigades internationales (Patrick Rotman), explique : « La guerre d’Espagne est sans doute le premier conflit le plus filmé de tout bord, avec des fonds clairement franquistes et d’autres plutôt républicains. Il a fallu démêler tout ça pendant le développement du projet, ce qui a nourri la trame du film. » Rechercher des archives, c’est donc trier mais aussi traquer les erreurs (qui parfois se répètent à chaque nouvelle utilisation de la même image) ; c’est aussi négocier les prix et gérer les droits. Un travail de longue haleine qu’il convient de mener bien en amont de la salle de montage, pour ne pas se retrouver avec de (très) mauvaises surprises lors de la finition du film. Les sources ont bien sûr un rôle à jouer ici, comme le détaille Gilles Taquet, coprésident de Photononstop : « Nous accompagnons les projets tout au long de leur réalisation, et nous apportons notre expertise pour clarifier les droits ; il est de notre devoir d’assurer la sécurité des images et d’alerter sur des risques juridiques potentiels. » En un sens, les documentalistes sont d’ardents défenseurs du droit d’auteur. Caroline Blache explique : « Nous participons à la création et à la reconnaissance de droits : pour permettre une création nouvelle, nous reconnaissons le travail des autres, de ceux qui étaient là avant, dans un cercle vertueux pour tout le monde. »


Transmettre

Cette logique de transmission est aussi à l’œuvre dans un fonds aussi prestigieux que celui de Gaumont-Pathé Archives. Sa directrice, Manuela Padoan, insiste sur le rôle des recherchistes dans la conservation et la valorisation du patrimoine. « Nos documentalistes travaillent constamment pour détecter les images présentes dans nos fonds, que nous revisitons constamment par de nouveaux regards. C’est un travail éditorial et technique car, depuis les années quatre-vingt, nous avons changé sept fois de supports ! » Ce fonds, riche de quinze mille heures de films est aujourd’hui sous-utilisé : seules cinquante heures d’archives sont vendues chaque année, dont près de la moitié a déjà été vue. Face à ce rétrécissement des possibles, Manuela Padoan en appelle à l’audace des producteurs. Celle qui a notamment sollicité directement Program 33 pour produire Charles Pathé et Léon Gaumont, premiers géants du cinéma après avoir découvert des images inédites, conclut : « Plus on montre les images, plus elles seront utilisées. » Car une fois que l’appétit est ouvert…

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