L’association du prix Albert Londres se joint à la douleur de la famille de Claude Sempère. L’ampleur des hommages venus de toute part, adressés à sa femme Dominique, et leurs deux enfants Mathilda et Esteban, montre assez la qualité humaine et professionnelle incarnée par notre regretté confrère. Cette « exception » lui avaient valu d’être le lauréat de notre prix audiovisuel en 1997 pour l’émission « d’Envoyé spécial » de France2 consacrée à la Corse le 10/10/1996.
Pour l’ensemble du jury, il était apparu que ce journaliste-là était pourvu d’une personnalité singulière, un mélange d’empathie et de tête dure. D’apparence et d’âme juvénile. Car son exigence était celle d’une jeunesse, engagée, emportée par la passion de son métier. Rien à voir avec l’arrogance d’un baroudeur ou le calcul d’un ambitieux. Claude Sempère était profondément, un modeste, superbement méthodique et soigneux dans l’usage des mots comme des images. Tout investi qu’il était par la responsabilité que représente le métier d’informer. Il ne s’en laissait pas compter. Et il y en avait pour tout le monde. La Corse fut en quelque sorte le précipité de sa personne.
Dans la spéciale « Corse à la dérive », il dénonce sans ambages le « cirque médiatique des conférences de presse clandestines organisées dans les profondeurs du maquis… les journalistes complaisants, les mises en scène… » Il parle de « la sale guerre entre les uns et les autres pour le pouvoir, pour l’argent du racket, loin des idéaux du mouvement nationaliste… » Et surtout Claude Sempère obtient des témoignages inédits. Longs entretiens où la vérité d’un combattant perdu finit par se livrer entièrement à nu, parfaitement sincère. Moments rares où le silence de l’omerta s’en est allé.
Le questionnement simple du journaliste avait su obtenir cela. L’émission qui était aussi un travail d’équipe, (autre dimension de la personnalité de ce confrère), faisait une large place à la mort, à la série meurtrière apparemment sans fin, et à ce questionnement : Pourquoi ? Quel sens a cette tragédie quotidienne ?

Dans un numéro précédent, Claude Sempère avait démarré son reportage avec le monologue d’une mère s’adressant au cercueil où reposait son fils. Au beau milieu de la foule, la vieille dame s’exprime en corse. Sobre, Claude ponctue : « Une mère qui pleure et qui n’appelle pas à la vengeance ». Ce reporter savait valoriser le contre-courant.

Parce que telles sont les exigences du métier, il a souvent été confronté aux drames, aux chaos, à la violence des vies brutalement interrompues. A travers le monde, en Afghanistan, en Haïti … Claude accompagnait cette souffrance, sans emphase. Souvent aux côtés des sauveteurs, dont il soulignait le dévouement. Très tôt donc il a côtoyé l’épreuve.
Face à la maladie aussi la tête dure s’est mise en mouvement. Longtemps, avec ses vagues de luttes successives. Le juvénile était toujours souriant, jamais dans la plainte. Résolu, ce reporter savait aussi admirer la nature avec la même détermination que dans ses batailles sur le terrain ou avec lui-même. On aimait ce bougon tendre et insatisfait. Une tête dure, une « caboche de reporter ».
Précision du Larousse : « Caboche, clou à grosse tête, utilisé pour renforcer la semelle des chaussures à fatigue. »

Hervé Brusini, membre du jury du Prix Albert Londres