Isabelle Repiton a rencontré la directrice générale de la BnF, Sylviane Tarsot-Gillery, pour un article paru dans la lettre Astérisque n°56.



Depuis 1976, la Bibliothèque nationale de France (BnF) est chargée d’une partie du dépôt légal audiovisuel. Cet interview a pour objectif de sensibiliser les auteurs à l’intérêt de ce dépôt pour conserver et donner accès à leurs oeuvres même en cas de défaillance d’un producteur.

La BnF évoque avant tout le livre. Quel est son rôle pour l’audiovisuel ?

Sylviane Tarsot-Gillery – La Bnf est une bibliothèque patrimoniale qui a vocation à conserver toute la production intellectuelle, culturelle ou artistique quel que soit le support. Depuis l’origine, elle conserve des estampes, photos, partitions de musique et des objets, comme ceux liés aux spectacles (costumes, masques) ou aux supports de la production. Elle a ainsi une collection de phonographes à pavillon pour écouter les collections sonores anciennes que nous conservons, sur disques 78 tours.
Le dépôt légal s’est d’abord appliqué à l’écrit, puis il a été progressivement étendu aux nouvelles formes de production intellectuelle et à l’évolution des supports : les disques et la musique, puis la vidéo, puis le jeu vidéo. Le dépôt légal audiovisuel est sans doute moins connu que le livre, car il est de création plus récente et moins incontournable que pour un livre, où il est institué de longue date ; l’imprimeur a une obligation de déclaration et un livre ne peut sortir sans le numéro (IS BN) délivré par la BnF. L’audiovisuel est le dernier département créé à la BnF en 1976. Sa mission est de conserver « toute la production d’images films ou vidéo ayant fait l’objet une diffusion publique à destination du public français ».


Entre le CNC, l’Ina et la BnF, on s’y perd un peu. Qui conserve quoi ?

Même si le catalogue du dépôt légal de l’Ina peut être consulté à la BnF, nos rôles sont bien distincts. Le CNC est en charge du dépôt légal des films ayant reçu un visa d’exploitation en salles ; l’Ina, de celui des émissions de télévision et radio diffusées en France. La Bibliothèque conserve tous les films diffusés en France sur support physique depuis 1975. Dans certains cas, les collections se recoupent : un film diffusé en salles sera déposé au CNC , son édition DVD à la BnF et sa diffusion télévisée à l’Ina. Ce n’est pas toujours exactement la même oeuvre, le DVD comporte des bonus par exemple. Et nos perspectives sont différentes : l’Ina s’intéresse au contexte de diffusion de l’oeuvre dans un flux télévisuel, la BnF à tout ce qui documente la production de l’oeuvre elle-même (étapes de travail, courriers échangés…).
Le critère de « diffusion publique » du dépôt légal de la BnF englobe des films militants, des films d’entreprises, d’associations, des films projetés uniquement dans des festivals. Cette collection est riche de 250 000 titres dont plus de 40 000 documentaires, qui peuvent être visionnés sur les écrans installés dans nos sites mais en aucun cas reproduits ou vendus par extraits.
Le catalogue s’enrichit aussi de dons, comme celui des archives de Michel Jaffrennou, inventeur de la « vidéothéâtrie » et pionnier de la création à base d’incrustation vidéo, dont l’oeuvre fera l’objet d’une exposition à la BnF en 2018. Le département a aussi fait l’acquisition, en 2016, de dix chefs-d’oeuvre du « cinéma vérité » américain du réalisateur et producteur Robert Drew, en liaison avec le don des archives des années parisiennes de son associé, le documentariste anglais Richard Leacock. Le partenariat avec la Maison du Doc de Lussas permet aussi le dépôt légal de tous les films inscrits aux États Généraux du Documentaire.
Nous avons enfin des archives « papier » autour de la production. Par exemple, Michelle Porte, qui a réalisé de nombreux documentaires sur la littérature et les écrivains (Marguerite Duras, Annie Ernaux), nous a cédé ses archives papier.


La BnF a aussi la charge du dépôt légal d’Internet ?

La loi a en effet été votée en 2006, avec un décret d’application de 2011. Avec les publications en ligne, la collecte exhaustive de la production qui était l’objectif du dépôt légal, n’est plus accessible. La BnF (ou plutôt ses robots informatiques) « moissonne » en priorité des sites dont l’extension est liée au territoire français (.fr), ou dont les contenus sont produits en France, les auteurs, domiciliés en France ou qui s’adressent au public français. L’objectif est que le dépôt légal soit représentatif. À la différence d’un support physique qui nous est déposé, c’est à nous d’aller chercher les contenus. Une collecte large, sur plus d’une dizaine de milliers de sites à des fréquences variables, et une collecte ciblée sur des thématiques ou des projets fixés annuellement, sont réalisées. Pour les campagnes électorales, par exemple, la collecte est assez systématique. En 2015, on a aussi collecté largement autour des événements sur Charlie Hebdo.
Pour mener à bien cette mission, la BnF se heurte à l’impossibilité d’accéder à certains contenus, protégés par des mesures techniques (DRM). Dans ce cas, nous avons besoin d’une démarche volontaire des éditeurs pour qu’ils nous laissent y accéder.
Certaines oeuvres audiovisuelles, certains films sortent directement en ligne (e-cinéma, services de vidéo à la demande), sans passer par la salle ou l’édition DVD. Ils échappent alors à tout dépôt légal. La loi actuelle prévoit que la BnF ou l’Ina « collectent » les documents sur le web mais ne dit rien quand cette collecte devient impossible. Nous discutons avec le ministère de la Culture d’une adaptation de la réglementation, qui précise l’obligation de dépôt d’une oeuvre publiée uniquement en ligne, avec la possibilité d’obtenir une version sans DRM.
Nous menons auprès de tous les acteurs de l’audiovisuel, de la musique, du jeu vidéo — producteurs, éditeurs, auteurs et ayants droit — une campagne de sensibilisation au fait que le dépôt légal, au-delà d’une obligation, est une chance et qu’il est de leur intérêt que la BnF conserve leurs œuvres et y donne accès. Quand une société de production disparaît, qu’une oeuvre n’a pas eu d’édition physique, elle n’existe plus, et toutes les étapes de travail (rushs, master) ont disparu. Je crois que la Scam partage cette préoccupation.


La BnF est aussi intervenue à l’occasion de la mise en liquidation des Productions de la Lanterne pour conserver les masters de certains films. Est-ce une nouvelle mission ?

Nous avions été alertés par les réalisateurs des Productions de la Lanterne, mises en liquidation judiciaire en 2014. La BnF a établi une convention de dépôt volontaire des masters des films produits pendant plus de quarante ans par cette société. Ils ont été sortis de l’actif de la société, ce que le liquidateur et le Tribunal de Commerce ont accepté.
L’idée est de pouvoir, au cas par cas, sauvegarder les fonds de sociétés de production qui font faillite, si les oeuvres n’existent pas par ailleurs. Nous pouvons passer des conventions de dépôt volontaires avec des auteurs, éditeurs et producteurs, pour qu’ils déposent les archives d’une production : les masters des films eux-mêmes mais aussi les écrits, courriers échangés, scénarios, manuscrits, rushs, étapes de la production. Ce dépôt ne vient pas en contradiction du droit de préemption des auteurs sur leurs oeuvres lors d’une liquidation. Il a une vocation de conservation.
Mais le volontariat ne peut suffire. Pour être plus efficace, nous avons pris contact avec les représentants des ayants droit, notamment la Scam. Nous imaginons des accords avec les sociétés d’auteurs afin qu’elles prévoient dans les contrats de leurs membres, des clauses les engageant à déposer leurs oeuvres à la BnF. Nous avons fait la même démarche auprès du syndicat des producteurs de disques, le SNEP, car depuis que la musique est dématérialisée, beaucoup de titres ne sont plus déposés.


Comment le catalogue audiovisuel de la BnF est-il mis en valeur ?

Notre première mission est d’en permettre la consultation. En 2015, 31 000 documents vidéo ont été consultés à la bibliothèque d’étude ouverte à tous et 16 000 à la bibliothèque de recherche, réservée aux lecteurs accrédités.
Chaque année d’octobre à février, nous proposons un cycle de projections un mardi par mois dans le cadre du « Cinéma de midi », en partenariat avec l’université Paris-Diderot, qui met en lumière des films du catalogue, souvent des documentaires. On y a vu les oeuvres de Jean Rouch.
Cet automne, sur le thème « L éo Ferré aurait 100 ans », une sélection de disques, des captations de concert et un documentaire étaient à consulter sur les écrans audiovisuels de la BnF. Nous organisons aussi des journées d’études, des colloques sur des auteurs.
La BnF est également partenaire du projet de cinémathèque documentaire, initié par la Scam, qui commence à s’ébaucher avec le CNC et la Bibliothèque publique d’information (Bpi), qui favorisera l’accès aux films.


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