Un texte signé Rithy Panh, cinéaste et président du jury du Prix L’œil d’or 2015 à Cannes pour la Lettre Astérisque n°52.

Il manquait un prix du documentaire au
Festival de Cannes. C’est une très belle
idée d’avoir créé L’Oeil d’or.

Des documentaires ont bien sûr été
sélectionnés et primés au Festival de Cannes, du
Monde du silence

de Jacques-Yves
Cousteau et
Louis Malle
aux documentaires de Michael Moore. D’autres seront à coup sûr couronnés
dans les sélections officielles.
Mais
la présence ces dernières années de
films documentaires de grande qualité, de regards à l’intensité particulière
(Frederick Wiseman, Nicolas Philibert,
Errol Morris, Claude Lanzmann…) imposait que soit créé, à part entière, un prix
du documentaire.

Avec le soutien de
Thierry Frémaux, L’Oeil d’or va donner
une visibilité à ces films et j’espère que
cela attirera un public plus large.

Il faut
se réjouir que le documentaire ait acquis
sa place dans les enseignements de
l’éducation nationale et qu’il gagne du
terrain dans les programmations cinéma.
Pourtant l’économie du documentaire
reste fragile, avec des fenêtres de diffusion réduites et des programmations
à la télévision de plus en plus tardives. C’est un grand honneur pour moi d’avoir
été le président du premier jury de
L’Oeil d’or composé du cinéaste Nicolas
Philibert, de l’actrice Irène Jacob, de la
productrice syrienne Diana El Jeiroudi
et du critique américain de Variety,
Scott Foundas. Je suis conscient de
ma chance et des responsabilités qui
nous incombent.

Nous avons débattu cette année sur des films remarquables
qui avaient adopté des formes très
différentes
: des portraits, des histoires
poignantes, des films sur des personnalités hors du commun, sur l’absence, sur
le deuil inachevé, sur la dépossession
de la terre, sur des laissés-pour-compte,
sur la violence sociale et la misère
économique…

Les discussions furent
longues, amicales et parfois dures, parce
qu’exigeantes, parce que les membres
du jury ont eux aussi des sensibilités
très différentes. Mais quelle richesse
que ces débats
! Ce premier prix documentaire à
Cannes
a donc été attribué à Marcia
Tambutti Allende pour le film consacré à son
grand-père,
Allende, mi abuelo Allende
(Allende mon grand-père)

; un film délicat et très personnel qui essaie de
rompre le silence qui pèse depuis des
décennies dans sa propre famille sur
ce personnage légendaire.

Le jury a également décerné une mention à Stig Björkman pour
Jag är Ingrid
(Je suis Ingrid Bergman)
, ému par le
montage de ce journal intime sur une
femme qui a traversé une époque de
cinéma inoubliable avec une liberté et
une inspiration profonde réinventant un
chemin personnel bien au-delà des frontières culturelles artistiques et familiales.

Entre la fiction et le reportage, le documentaire peine parfois à trouver sa
place. L’Oeil d’or offre non seulement
une occasion de lui rendre ses lettres
de noblesse cinématographiques mais
il ouvre, grâce au Festival de Cannes,
des opportunités de distribution des
films. La capacité de Cannes à mettre
en lumière le travail d’un cinéaste est
incomparable.

Accueillir
L’Oeil d’or initié
par la Scam, c’est apporter un soutien
inestimable aux auteurs de documentaire
et c’est réaffirmer avec force que leurs
films sont au cinéma ce que le souffle
est à la vie.

> Lien vers la Lettre Astérisque n°52 (pdf)