Les auteurs-réalisateurs de l’audiovisuel institutionnel, dit de commande, sont les éclaireurs dans une bataille concernant l’ensemble de la profession : la défense du droit d’auteur, souvent contesté lors des diffusions internet. La Cie des Reals qui représente une centaine de ces auteurs dont la majorité est membre de la Scam, réagit.

L’audiovisuel de commande, dans le secteur de l’institutionnel, que l’on appelle également corporate, est un important marché qui concerne un très large public.
Il intéresse, depuis toujours, les principales entreprises du CAC 40, les PME-PMI mais aussi les institutions et les pouvoirs publics. Chacun de ces acteurs a toujours eu un gros besoin de communiquer vers son public interne comme vers le grand public ou encore un public de spécialistes. Ce secteur de communication touche toutes les composantes économiques et sociales de la société.

Ce marché, comme les autres, a subi quelques bouleversements depuis une quarantaine d’années ; autant dans la production et la réalisation des films que dans leur exploitation et leur diffusion.

Les interlocuteurs aussi ont évolué. Le responsable de la communication, qui était garant de la construction sensible, subjective, du contenu d’un message audiovisuel interne ou externe d’une entreprise a progressivement partagé et souvent cédé sa place au responsable du marketing et au responsable des achats.

Les raisons de cette transformation progressive sont évidemment d’ordre économique. Le recentrage, par ces entreprises, sur leur cœur de métier a eu tendance à reléguer et classer la communication audiovisuelle au même rang qu’une fourniture parmi tant d’autres. C’est ainsi que ce nouvel interlocuteur qu’est le responsable des Achats, s’est invité de plus en plus souvent à la table des décideurs. Et là, la matière intellectuelle et artistique d’un auteur-réalisateur de film de commande est passée à la moulinette implacable de la calculatrice. Quand on pèse les minutes d’un film à réaliser, les mesures de musique, les interventions de comédiens, les mots d’une voix-off comme on pèse habituellement les vis qui vont équiper le tableau de bord de la prochaine berline, on se dit qu’aborder la notion de droit d’auteur est une figure de style qui devient réservée uniquement au dernier des mohicans de ce métier.

Pour enfoncer le clou, le droit d’auteur est revisité par le service juridique de l’entreprise commanditaire pour aboutir à un contrat, disons le, à sens unique.
À ce stade de la compétition, il faut le constater, le producteur ne joue plus son rôle d’intermédiaire qualifié, il est devenu entièrement dévoué à son client. Le code de la propriété intellectuelle, qui devrait être relayé par cet acteur professionnel qu’est le producteur, est sciemment écarté. Écarté par ceux qui connaissent ces textes de loi, quasiment ignoré par les jeunes producteurs en herbe.

Ces dernières années, avec l’étendue du haut débit, se manifeste un besoin grandissant de contenu pour alimenter le flux des sites et des blogs. Il faut dire que cette ère du numérique permettant de diffuser immédiatement son opération de communication est devenue d’une simplicité enfantine. Désormais le film est-il tout juste fini qu’il est déjà visible par la planète entière. L’entreprise, la multinationale et l’institution peuvent maintenant rayonner à l’instant T et sur mesure. Pourquoi pas ? Car il ne s’agit pas d’entraver ce potentiel.

Mais qu’en est-il de la rémunération de cet auteur-réalisateur, qui doit faire le grand écart dans l’exercice de son métier pour répondre aux exigences grandissantes de ces nouveaux commanditaires, et qui voit son travail très largement diffusé sur la toile sans plus de considération et de respect de ses droits ?

Où est passée la notion de droit d’auteur qui respecte toute œuvre de l’esprit par une rétribution juste et proportionnelle, négociée de part et d’autre suivant le cadre d’exploitation? Dans certaines diffusions, même le générique disparaît…

Aujourd’hui, l’unique trace de droit d’auteur que l’on peut trouver à l’issue de la commande d’un film corporate est contrat détourné de sa fonction première, initié et poussé par le producteur vers son réalisateur, afin de transformer une partie du salaire de ce dernier en cession abusive de droits d’auteur. Cette « contrefaçon » de plus en plus instituée permettant au producteur de faire l’économie de quelques charges patronales.

Ajoutons que certains sites d’entreprise ressemblent à de véritables vidéothèques, tels les sites des chaînes de télévision créées pour la VOD. La comparaison pourrait s’imposer, mais l’univers de l’entreprise n’est pas celui des professionnels de l’audiovisuel qui, eux, ont l’habitude d’intégrer dans leur devis un ‘plan media’ ou encore un budget pour les droits de diffusion. Notons que de nombreuses entreprises n’ont absolument pas conscience de leurs nouvelles responsabilités de Diffuseur-Editeur qu’elles ont endossé en mettant en ligne sur leur site leur filmographie. Elles s’exposent, sans le savoir, à l’utilisation frauduleuse de leurs images si la diffusion de celles-ci n’est pas régulée par un contrat.
D’autres, plus précautionneuses, mais tout aussi peu respectueuses du cadre légal font signer des contrats à leurs producteurs exécutifs prévoyant cession des droits sur les films, voire des rushes, sur tous les supports répertoriés et à venir, le tout à titre gracieux. Malheureusement, le producteur qui dans la plupart des cas n’a pas signé de contrat avec tous les ayants droits, cède des droits qu’il ne possède même pas…

Rajoutons qu’à cette transformation du cadre d’exploitation des films corporate, s’ouvre une diffusion toujours plus large via les plates-formes et les réseaux sociaux que constituent Dailymotion, You Tube, Facebook… Etc.
Ces plates-formes audiovisuelles sont encore un moyen d’augmenter sa visibilité pour une entreprise ou une institution, qu’elle ne veut pas bouder. La mise en ligne des films par ces commanditaires se fait sans plus de considération pour les droits et les rémunérations des auteurs, en dehors des cadres pourtant existant qui permettraient au contraire de rester dans la légalité.

À cette panoplie de nouveaux canaux Internet, vient aujourd’hui se rajouter l’insertion de publicités avant programme ; un nouveau marché d’annonceurs se met en place. Des contrats signés par la SCAM avec Dailymotion ou d’autres plateformes tentent de positionner la gestion collective dans le tout numérique. Mais seul les « official content » sont concernés et en priorité les œuvres ayant eu une diffusion télévisuelle. Cela a l’avantage de démontrer ce que l’on affirme, les commanditaires deviennent bel et bien des diffuseurs ET ils sont reconnus en tant que tels. Nous devrions en toute logique recevoir des droits associés à nos films multidiffusés sur Internet mais aujourd’hui quel auteur arrive à négocier un contrat en bonne et due forme, équitable et actualisé en regard à ces nouveaux types d’exploitation ?
Jusqu’à présent aucun. Nous sommes la proue de ce qui se passera demain pour tous les auteurs de films corporate, documentaires… si ce qui s’est appliqué au domaine de la télé ne s’applique pas au domaine d’Internet.

Les groupes internationaux, les PME-PMI, le Medef, les institutions et les pouvoirs publics ont besoin de professionnels audiovisuels fiables et responsables pour répondre avec justesse et efficacité à leur image, à leur problématique de communication. Nier les droits des auteurs qui travaillent pour ces commanditaires c’est galvauder leurs compétences, c’est faire prendre l’eau à l’économie de son propre secteur, c’est déséquilibrer un système fragile qui permettait jusqu’à présent de produire des programmes personnalisés et de qualité, c’est générer des conflits et s’exposer dans un futur proche à ternir l’image de sa propre entreprise.

Le respect mutuel des règles dans des secteurs d’activité convergents est vital pour l’ensemble des acteurs. Cette confiance, par exemple, est indispensable pour ces entreprises qui font signer des chartes de confidentialité à leurs prestataires audiovisuels… On le voit bien, avancer sans règles, sans respect, c’est avancer en aveugle avec les accidents que cela génère.

La confiance et le respect se construisent dans la durée, pour le bien de chacun.

La CIE des REALS
Association professionnelle des réalisateurs d’oeuvres audiovisuelles institutionnelles et corporate (75% de ses membres sont également membres de la SCAM, de la SACD et/ou de la SACEM http://www.laciedesreals.org)