Par Guy Seligmann, président de la Scam, en remerciement à Laurent Duvillier, directeur général qui a pris sa retraite après 28 années passées au service la société.

Très cher Laurent,

Eloge : le dictionnaire me rappelle qu’en Grec, étymologiquement, cela signifie « belle parole » ; un discours pour célébrer quelqu’un. Votre discrétion en souffre déjà ; la mienne aussi, puisqu’il s’agit d’une première pour moi et surtout parce que, sous l’éloge sincèrement écrit, il y a toujours de l’affectif pour ne pas parler d’amour, la seule belle parole.
Aussi me suis-je donné une contrainte, cela permet d’endiguer les effusions, comme notre litote ou l’understatement britannique qui peut heureusement voiler ce que Scam veut dire dans la langue de Britten. La contrainte est musicale, cela ne vous étonnera pas, en forme d’une partition brève comme celles de Berg que vous affectionnez. Quatre minutes, quatre mouvements, quatre lettres.

Premier mouvement : S de Scam : Scherzo. Mouvement joué d’une manière vive, gaie et légère. Scherzando donc ce qui ajoute à la vivacité, la gaîté et la légèreté. Et c’est bien ainsi que vous avez pris en mains la gestion de l’Antique SGDL, sous la direction de Charles Brabant, chef à ce moment-là d’un tout petit orchestre. Lors de notre première rencontre, vous m’avez fait penser à Franz Liszt ; je ne savais pas que vous étiez musicien, mais dès cette époque, je vous ai vu mettre en musique la SGDL. Elle en avait besoin, vous en avez composé la partition.

Deuxième mouvement : C, de Scam : Con Brio. Le dictionnaire précise que ce mot espagnol, utilisé en Français pour la première fois par Stendhal, exprime la vivacité, l’élégance et l’énergie. C’est le moment, en 1981, de la création de la Scam : un orchestre de 24 musiciens. Votre vivacité, votre élégance, votre énergie surtout, font de la Scam un orchestre symphonique. Les musiciens déjà nombreux vont former une phalange telle qu’ils peuvent jouer déjà la Symphonie des Mille, dont l’exécution nécessite un nombre imposant de musiciens, chanteurs et choristes d’où son surnom, je ne vous l’apprends pas. Gustav Mahler donc : sa musique ne vous quitte pas. Son image non plus, puisque dans votre bureau, ses portraits côtoient les tableaux de votre père. Peintures, photos, musique, c’était en somme l’audiovisuel, et le multimedia déjà. Il y a un somptueux « Veni creator » dans cette 8ème symphonie, un chant paroxystique de joie, voilée de mélancolie. C’est la musique de ces années-là.

Troisième mouvement : A de Scam. J’ai hésité entre Andante et Allegro. Il y a des deux dans cette période. Andante, parce que le divorce d’avec la SGDL, cette partition au sens premier, a été véritablement un mouvement andante. Allegro parce que la Scam trouve à Vélasquez une résidence nouvelle pour son orchestre. Très jeune, cher Laurent, vous avez été marié avec la Scam et depuis bientôt trente ans d’une radicale fidélité, malgré certaines sirènes fort musicales qui, finances aidant, cherchaient en ce temps-là à vous pousser au divorce. Vous n’avez pas quitté la Scam un seul jour. Tout au long de ces années, vous avez, Allegro, dirigé la Scam.

Quatrième mouvement : M, de Scam : Moderato. Pas à pas, patiemment, tenacement, telle l’araignée filandière, vous avez tissé la toile de la Scam qui rassemble aujourd’hui près de 30.000 auteurs. Cet orchestre a fait quelques couacs, mais si l’harmonie l’a emporté, vous y êtes, Laurent, pour beaucoup. Pas à pas, vous quittez maintenant la Scam, Moderato, en douceur. L’orchestre pourrait vous jouer la Symphonie des Adieux, la 45ème de Haydn, dont le dernier mouvement si émouvant pousse un à un les musiciens à quitter la salle, après avoir, tour à tour, soufflé la bougie qui éclairait leur pupitre. Le compositeur soufflant la sienne en dernier, avant de s’éclipser discrètement, comme vous êtes en train de le faire, pour se consacrer à son art.

N’étant pas musicien, je ne saurai me joindre à l’orchestre, je ne puis, au nom de la Scam, que vous faire part de notre gratitude. Laurent Du Villier de La Scam : voilà un titre de noblesse républicaine qui vous conviendrait, cher Laurent. Si j’en avais le pouvoir, je vous ferais bien Chevalier de cet ordre-là. Vous l’auriez mérité.
Un éloge sincère, voile quelque chose, vous ai-je dit en commençant, levons le voile !
Comme sous l’Opéra coule la Bièvre, mon éloge, cher Laurent, sous son architecture un peu solennelle, à l’image du Palais Garnier, couvre aussi une petite rivière : celle de l’amitié.
Je tenais à vous le dire ce soir.

Merci Laurent.

Guy Seligmann, président de la Scam