Dans un entretien réalisé par Emmanuelle Miquet pour Le film français, le président de la Scam, Oscar du meilleur documentaire avec « Un coupable idéal », évoque son passage à la fiction télé et réagit aux 15 propositions sur le documentaire de création et la sélection des nouvelles chaînes TNT.



Comment jugez-vous les 15 pistes issues de la mission documentaire de création, rendues publiques par le ministère de la Culture ?
Elles vont à 80% dans le sens de ce que la Scam demande, avec des chantiers que nous ne mènerons pas seuls, toutefois, car la situation concerne tous les créateurs, dans tous les genres. Notre inquiétude porte sur ce que l’on observe en France et dans les autres pays où nombre de chaînes ont éclos en très peu de temps : plus il y a d’offre, plus elle s’appauvrit. On le voit avec la TNT dont les programmes ne sont ni diversifiés ni nouveaux mais, souvent, très bon marché, mal fabriqués, populistes. Les rediffusions y sont nombreuses, et pas forcément d’œuvres patrimoniales. Concernant le documentaire, cette bataille est vitale. Car, si toutes les chaînes prennent des engagements, quand on fait le décompte précis, on a du mal à retrouver les heures censées être consacrées au documentaire, souvent maquillées en magazines, en télé-réalité… La frontière est extrêmement floue, d’où la nécessité de préciser les critères de la définition.

Ce qui est l’une des propositions de la mission…
Oui, et elle est extrêmement difficile, le genre étant très vaste et la notion même de documentaire de création, subjective. Mais cela peut passer par la mise en place d’une liste de critères de production objectifs, comme le temps de tournage, qui permettrait de bénéficier de bonus. Aujourd’hui, on souffre de tous les côtés. C’est une quadrature du cercle qui est tout sauf vertueuse. Les chaînes de la TNT, de plus en plus regardées, affaiblissent les chaînes traditionnelles, qui ont le plus de moyens et leur courent après. Sur France Télévisions, qui a connu une année 2011 très difficile en audience, on a vu émerger quelques programmes d’une qualité affligeante. Au final, ils singent M6, mais en moins bien, et n’atteignent aucun des objectifs poursuivis, dont celui d’attirer les jeunes. Au niveau du documentaire, les cases du groupe public sont en perte de vitesse. C’est une réalité qu’il ne faut pas se cacher. Alors que, pendant une dizaine d’années, l’offre du service public n’a cessé de se renforcer et de rencontrer un public de plus en plus large, depuis deux ans, en dehors de France 5 qui reste assez solide, les prime-times documentaire de France 2 ou France 3 sont fragiles. Ce n’est pas la qualité des films qui est en cause, ni la mobilisation des équipes. Sauf que l’érosion de l’audience a des conséquences sur les directives données aux producteurs et aux auteurs : aller davantage vers le public. La pression est plus forte et le niveau d’exigence, revu à la baisse. Le plus petit dénominateur commun l’emporte toujours. Nous devons être très vigilants là-dessus parce que nous n’avons aucune contrepartie ailleurs que sur le service public. Les conséquences de la TNT sont aussi extrêmement violentes pour Arte qui, en trois ans, a quasiment perdu la moitié de son audience. L’une des missions de l’équipe de Véronique Cayla est d’ailleurs de la redresser.

À ce propos, quelle est votre appréciation de ses premières inflexions éditoriales ?
Jérôme Clément n’ayant préparé ni sa succession, ni la mutation de la chaîne, l’héritage de Véronique Cayla est très difficile. Pour remonter la pente, je ne vois aujourd’hui qu’un seul salut : non pas prendre des téléspectateurs aux autres chaînes, mais regagner ceux qui ne regardent plus la télé. Pour y arriver, il ne faut donc pas leur proposer ce qu’on voit ailleurs. La production du documentaire repose sur France Télévisions et Arte, d’où le fait que nous devons également être extrêmement vigilants sur la pérennisation du financement de France Télévisions.

À deux jours du premier tour de la présidentielle, quels sont, selon vous, les chantiers audiovisuels prioritaires, sur les dix propositions formulées par la Scam ?
Pérenniser le financement de France Télévisions, précisément. Et trouver un moyen pour doter le groupe de moyens supplémentaires. Alors qu’à la Scam nous étions plutôt favorables à la suppression de la publicité, nous estimons aujourd’hui que sa suppression totale serait un peu suicidaire. Il y a aussi la question de l’augmentation de la redevance où, à droite comme à gauche, on observe un consensus total de frilosité. Même si le PS plaide pour une taxe des résidences secondaires qui rapporterait aux alentours de 150 M€.

Deux des nouvelles chaînes TNT retenues par le CSA, RMC Découverte et HD1, étaient soutenues par la Scam en raison de leurs engagements dans la production indépendante. Est-ce une bonne nouvelle ou cela renforce-t-il vos inquiétudes, eu égard aux déceptions précédentes sur la TNT ?
Ne faisons pas de procès d’intention. Alain Weill (actionnaire de RMC Découverte, Ndlr) n’est pas connu pour être un grand mécène de l’art mais il est visiblement convaincu que cette chaîne va fonctionner, attirer les annonceurs. Des accords ont été passés, pour le documentaire notamment, avec Arte et France Télévisions, afin d’ouvrir un deuxième marché, des engagements supérieurs aux obligations ont été pris… Dans un premier temps, on ne peut que se féliciter et attendre. Mais nous le prendrons au mot.

 

Votre actualité de réalisateur et de producteur, c’est une première fiction télé à venir sur France 2, La disparition, inspirée de l’affaire Viguier, ce professeur de droit toulousain accusé d’avoir tué sa femme. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous frotter à ce genre, que vous aviez déjà expérimenté via un long métrage, Sur ta joue ennemie, et un docufiction ?
C’est davantage une opportunité qui s’est présentée. Avec Antoine Lacomblez, le coauteur du scénario, nous avions commencé à écrire La disparition plutôt dans la perspective d’un long métrage, mis entre parenthèses par le tournage du docufiction sur l’affaire Courjault. Suite à sa diffusion, j’ai été amené à rencontrer des personnes de la fiction, à France Télévisions, touchées par le film, dont Vincent Meslet qui réfléchissait alors à un projet autour de l’affaire Viguier sans savoir que j’en développais un. Je lui ai dit que s’il nous laissait un peu de liberté et que nos exigences pouvaient se rencontrer, je n’avais rien contre la télévision ! Les choses se sont ensuite enchaînées très vite. Le scénario a été écrit en quelques mois et accepté sans aucune modification. Même si, bien évidemment, à partir du moment où l’on travaille pour la télévision, on n’écrit pas tout à fait de la même manière que pour le cinéma.

Avez-vous déjà d’autres projets de fiction ?
Je travaille sur un long métrage avec Gilles Taurand (déjà coscénariste de Sur ta joue ennemie, Ndlr). Il devrait se tourner quasiment intégralement aux États-Unis pour un budget compris entre 6 et 7 M€. J’ai également un autre projet avec Arte, même si l’équation de la fiction est assez terrible à la télévision : fabriquer avec pas beaucoup d’argent et dans un cadre contraignant.
Pour La disparition, notre approche de la production a d’ailleurs été plus proche de celle d’un film de cinéma. Avec un budget dans la moyenne d’un 90’ pour la télévision, soit autour de 1,8 M€, nous avons tourné sur 30 jours, et non les 21 habituels, ce qui a permis un travail sur la direction d’acteurs qui n’aurait pas été possible autrement.
Nous avons fait en sorte d’avoir une équipe un tout petit peu plus légère et que l’argent aille d’abord dans le film, même si la société dégage les frais généraux normaux. Si la volonté est là, on peut fabriquer autrement.

Vous êtes en plein montage de la suite de The Staircase, série documentaire diffusée sur Canal+.
Que racontera-t-elle ?

Nous retrouverons, huit ans et trois mois plus tard, Michael Peterson, que l’on avait quitté sur le verdict de sa condamnation à vie. Tous ses appels ont été épuisés et il lui reste une carte à jouer pour ne pas mourir en prison, celle du témoignage d’un expert qui le lie directement au supposé crime de sa femme et qui s’avère être un escroc. Si l’avocat de Michael Peterson réussit à prouver que cet expert a menti, alors le juge peut casser cette condamnation. Mais Michael Peterson restera mis en examen et le procès repartira à la case départ. Toute la difficulté, pour ce film de 2 h qui devrait être diffusé cet automne, est qu’il doit pouvoir être vu à la fois par ceux qui ne connaîtraient pas la série et par ceux qui l’auraient vue. Et que ces deux types de téléspectateurs se passionnent également pour le film ! Je crois que c’est le montage le plus complexe que j’aie jamais connu. Mais, au-delà d’être difficile à monter, The Staircase 2 se doit d’être excellent, au regard de la qualité de la série.

Et c’est bien ça, le véritable défi !

> Lire l’article publié dans Le film français N° 3474 du 20 avril 2012