Le jury présidé par Gianfranco Rosi et composé d’Anne Aghion, Thierry Garrel, Amar Labaki et Natacha Regnier a remis L’Œil d’or 2016, le prix du documentaire, à Eryk Rocha. Le lauréat revient sur son parcours avec Emmanuel Raspiengeas. Une interview publiée dans Astérisque n°55.



Emmanuel Raspiengeas — Vous apparaissez très ému après la réception de ce prix de L’Œil d’or. Qu’est-ce que cela représente pour vous de faire partie du grand retour du  cinéma brésilien à Cannes ?

Eryk Rocha  — Être ici à Cannes, et y recevoir L’Œil d’or est très important, car mon film parle du Cinema Novo, qui était un mouvement de résistance durant les années soixante. Et je pense qu’il peut l’être encore aujourd’hui, qu’il peut inspirer les Brésiliens et les aider à construire le présent. Il y a une phrase dans le film, prononcée par le réalisateur  Paolo César Saraceni, où il dit qu’il voulait que le cinéma politique soit la plus belle des poésies. Actuellement au Brésil, nous avons un immense désir de changement, qui ne pourra se faire que grâce à la poésie, à l’imagination, à la création. Si nous, Brésiliens, nous ne pouvons pas regarder notre histoire, reconnaître notre passé, tout ce que l’on a créé, nous ne pourrons pas aller de l’avant, nous ne pourrons rien construire de neuf.


Comment avez-vous découvert le Cinema Novo ?

Je suis le fils du Cinema Novo ! Et pas seulement parce que je suis le fils de l’un des réalisateurs de ce mouvement, Glober Rocha. Ce n’est pas qu’une question de sang ou d’héritage. Mais parce que le cinéma que je fais aujourd’hui n’est possible que grâce aux enseignements du Cinema Novo. Ce film en particulier est le résultat de la rencontre entre la génération de mon père et la mienne, du dialogue qu’il y a eu entre elles. Comme disait Godard, « sans mémoire, il n’y a pas de résistance ».


Quelle était votre relation avec votre père ? Quelle a été son importance dans votre parcours de cinéaste ?

Mon père est mort quand j’avais trois ans. Je n’ai donc pas pu avoir une relation poussée avec lui, mais ses films ont illuminé mon parcours, m’ont guidé dans mes choix politiques, humains et esthétiques. Ils m’ont notamment appris qu’il était impossible de séparer politique et création artistique. Aujourd’hui, le contexte politique nous affecte tous, directement. En ce moment même, il y a une multitude d’occupations partout dans le pays, de très jeunes gens occupent des lieux publics jour et nuit, tout le monde résiste contre ce gouvernement illégitime qui vient de prendre le pouvoir, de commettre un véritable coup d’État.

La génération du Cinema Novo avait connu elle aussi une interruption du processus démocratique, et nous sommes en train d’expérimenter la même chose maintenant. Il est donc très important que l’on se souvienne aujourd’hui de nos aînés, qui ont donné leur vie au cinéma et à leur pays dans ces conditions si difficiles. Ce film est aussi un manifeste qui exprime ma croyance selon laquelle le cinéma peut dialoguer avec la réalité, peut faire ressentir le pouls d’une époque.


Faire de votre film une œuvre politique est-elle le point de départ de votre travail de réalisateur, où est-ce un processus plus inconscient, qui advient au fur et à mesure du tournage et du montage ?

J’ai passé neuf mois en montage avec Renato Valone. C’est le moment privilégié où je peux construire mon film poétiquement et politiquement. À mes yeux, le plus important pour ce film, et pour n’importe quel film, ce n’est pas son sujet, mais la relation qu’il établit entre le créateur et le monde. Il s’agissait moins de faire un film sur le Cinema Novo que de faire ressentir l’énergie créatrice qui a porté ce mouvement, la puissance de ses films, le souffle qui s’en dégageait.
C’est pour cela que je voudrais dédier mon film et mon prix à toutes les générations qui vivent aujourd’hui les bouleversements du Brésil, et qui essaient de créer des formes qui puissent traduire ce qui se passe dans le pays, d’un point de vue sensible, physique, pas seulement politique.