La Scam révèle au Sunny Side of the Doc #22, les résultats d’une enquête menée en 2011 auprès des auteurs, sur l’évaluation de leurs relations avec leurs producteurs et leurs diffuseurs. L’occasion de dresser un état des lieux du documentaire.


* Ce que les auteurs pensent des producteurs…
1. La précarité des auteurs
La Scam a réparti 78 millions d’euros en 2010 à près de 23.000 ayants droit. 18.110 auteurs ont perçu de la Scam, moins de 2.500 euros dans l’année, alors que seulement 4.800 ont perçu plus de 2.500 euros dans l’année (dont 933 plus de 20.000 euros).
▪ Un auteur-réalisateur sur deux (49 % exactement) a reçu un salaire hebdomadaire inférieur à 1.000 euros bruts, 44 % ont reçu un salaire compris entre 1.000 et 2.000 euros bruts par semaine et pour seulement 7 %, ce salaire était supérieur à 2.000 euros.
▪ Au regard de la loi, le salaire rémunère le travail pour faire un film et le droit d’auteur rémunère l’exploitation de l’œuvre, pourtant, dans 70 % des cas, les producteurs ont rémunéré les auteurs en conjuguant salaire et droit d’auteur dans des proportions non négligeables (les droits d’auteur représentant 30 à 50 % des rémunérations).
▪ 41 % des producteurs arguent des droits d’auteur à verser par la Scam pour fixer le montant (à la baisse) de ce salaire.

2. Le manque de transparence
▪ Seuls 8 % des producteurs respectent l’obligation légale de la reddition des comptes. Ainsi, trois producteurs sur quatre (74 % exactement) ne font jamais parvenir la reddition des comptes annuelle aux auteurs.
▪ 39 % des auteurs obtiennent entre 1 et 3 % des recettes nettes, 20 % n’ont même pas 1 %, seuls 13 % obtiennent plus de 5 %… mais pire, 67 % (deux auteurs sur trois !) ne voient jamais la couleur de cet argent.

3. Les auteurs évaluent les producteurs
▪ Si d’une manière globale, 55 % des auteurs considèrent leur relation avec leur producteur « satisfaisante » (16 % la considèrent même « excellente »), l’appréciation se dégrade lorsqu’on demande aux auteurs d’évaluer leur principal producteur sur :
– Les contrats proposés > seuls 24 % des producteurs ont une note supérieure à la moyenne.
– La collaboration sur le travail de création : les notes sont partagées puisque 32 % attribuent la moyenne, un autre tiers au dessous et un troisième tiers au dessus.
– L’exploitation commerciale : 55 % des auteurs n’attribuent même pas la moyenne.
– La communication autour des œuvres : 58 % des auteurs n’attribuent pas la moyenne non plus.
▪ A l’étape du visionnage avec le diffuseur, seulement 47 % des auteurs considèrent que leur producteur est un allié, 11 % considèrent même qu’il est contre eux !

* Ce que les auteurs pensent des diffuseurs.

4. Les auteurs évaluent les diffuseurs
▪ Un chiffre fera plaisir aux diffuseurs : 58 % des auteurs sont satisfaits de leurs relations avec leurs principaux diffuseurs (5 % les qualifient même d’excellentes), à l’inverse, ces relations sont insatisfaisantes pour 33 % des auteurs, voire conflictuelles pour 4 %.
Cependant, ce chiffre doit immédiatement être relativisé si on observe les évaluations des auteurs par domaine d’action. Ainsi, 37 % des auteurs n’attribuent pas la note moyenne aux télédiffuseurs en termes d’horaires de programmation (30 % accordent la note moyenne).
41 % n’attribuent pas la moyenne non plus quant à la rediffusion de leurs œuvres (31 % accordent la moyenne).
49 % n’attribuent pas la moyenne sur le travail de collaboration (1/3 attribue la moyenne).
et 62 % n’attribuent pas la moyenne sur la promotion des œuvres.

5. L’ingérence du télédiffuseur
▪ 55 % des auteurs considèrent que les diffuseurs s’immiscent incontestablement plus qu’il y a quelques années dans leur travail de création. Seuls 8 % considèrent cette ingérence comme positive et 27 % considèrent qu’elle dénature leur travail.
23 % des auteurs considèrent que leur dernier film ne correspond pas à leur projet initial à cause de l’intervention du diffuseur.
▪ 36 % des auteurs ont dû réécrire les commentaires de leur dernier film à la demande du diffuseur.
▪ Sur 61 % des auteurs qui ont dû faire des coupes à la demande des diffuseurs, la moitié des auteurs seulement était d’accord avec ces coupes.

6. Le palmarès des diffuseurs.
▪ La Scam a demandé aux auteurs quels sont, selon eux, les meilleurs diffuseurs de documentaires. Que ce soit en termes de programmation, de variété de l’offre, de qualité ou de financement, le palmarès est le même : Arte monte sur la plus haute marche du podium, suivi par France 5 et par France 3. Il y a cependant quelques différences sensibles, ainsi en termes de financement, les 3 chaînes se tiennent (36 % pour Arte, 23 % pour France 5 et 22 % pour France 3) alors qu’en termes de qualité de l’offre de programmes, Arte marque sa différence (64 % pour Arte, 32 % pour France 5 et 21 % pour France 3).

Qui a répondu ? 1004 auteurs ont répondu au questionnaire de la Scam dont 65 % font des documentaires unitaires ou des grands reportages, 20 % des reportages. La majorité travaille pour le service public ou Arte. 93 % avaient signé un ou des contrat(s) depuis 2005, dont 67 % au cours des 12 derniers mois.

Paroles d’auteurs…
La Scam a demandé à la journaliste Isabelle Repiton de mener une enquête auprès de 24 auteurs-réalisateurs de documentaires pour connaître leur état d’esprit. Révélateur, nombre d’auteurs ont souhaité s’exprimer sous couvert
d’anonymat. Extraits :
« Filmer des gens, c’est la façon la plus forte de les rencontrer » … « Mais je n’arrive plus à vivre de mon métier »

1. Une profession précarisée
S’il reconnaît ne pas être représentatif car, « en 20 ans de métier, j’ai pu faire les films que j’avais envie de faire, en toute liberté et dans des conditions qui m’ont permis d’en vivre », Stan Neumann résume le changement de contexte : « De 1990 à 2000, il existait une vraie réflexion sur le documentaire d’auteurs et une économie qui allait de pair, articulée sur un travail commun entre les producteurs et la télévision, surtout sur Arte. Mais toutes les chaînes étaient engagées. L’unité documentaire de Canal+, par exemple, était alors tout aussi exigeante, de même que les chaînes du service public. Aujourd’hui, cette volonté et cette économie sont en miettes. On fait toujours des choses passionnantes, mais comme en pirate, par la bande, et le dos au mur : il est devenu plus difficile d’en vivre. ».
La précarisation touche ceux qui tournaient régulièrement jusqu’au début des années 2000. Difficulté à monter des projets, changement du statut des intermittents, salaires sans rapport avec le temps travaillé… autant de causes à cette fragilisation, qui oblige à de multiples activités parallèles : enseignement, traduction, rédaction d’articles… Denis Gheerbrant, à 63 ans, (…) confie : « En ce moment je n’arrive pas à vivre de mon métier pour la première fois de ma vie. J’ai perdu le chômage ». Sans entourage, l’équilibre économique est souvent hors d’atteinte. « Certes le tarif journalier est correct mais en fait on nous donne un forfait et de nombreux jours de travail de préparation, de montage, de postproduction, ne sont pas déclarés » explique C., 47 ans.
L., 40 ans, après trois films, ne touche plus d’Assedic. « J’écris des critiques dans des revues cinéma, je fais des formations. C’est une situation d’une extrême précarité ».
(…) De fait, s’ils n’abandonnent pas, c’est qu’ils restent passionnés. Pour G., «Impossible de s’arrêter. Même après vingt films, même si j’ai admis que je ne serai jamais une star connue et reconnue, on a toujours le même bonheur qu’au premier film. On a encore des rêves. Beaucoup abandonnent après deux ou trois films. Ceux qui restent, ce sont les obstinés. Les durs… ».

2. Contraintes d’écriture, sujets tabous, formatage, interventionnisme…
(…) S. se dit choquée « par la frilosité, le manque de prise de risque et le peu d’imagination des producteurs et diffuseurs quand à d’éventuelles thématiques de projets proposés. En France, en ce moment, il vaut mieux EVITER de proposer des sujets : ETRANGER, POLITIQUE ou FEMME par exemple. (…) »
M.qui a fait vingt doc en quinze ans, a vu les choses se détériorer : « Avant, il me suffisait d’avoir une idée et de la proposer. Maintenant, je dois aussi réfléchir à la façon dont je vais présenter le projet pour qu’il soit accepté, à la manière de « tordre » le projet, pour qu’il corresponde à leurs critères, à leur demande. Les chaînes vous répondent souvent de façon mécanique : « on a déjà fait un film sur ce sujet ». Mais ce n’est pas le sujet qui est important, c’est le point de vue ! … Ce qui se dégrade, c’est cette diversité. Avant on pouvait déranger, être impertinent, maintenant, on nous demande d’être lisse et je trouve cela très difficile. » (…)
Le formatage et l’obligation de faire rentrer les films dans des cases : voilà le principal reproche fait aux grandes chaînes.
Pour Mariana Otero, 47 ans, qui ne travaille plus pour la télévision depuis dix ans, « Le formatage vient de la peur du diffuseur de perdre de l’audience entre autres durant les dix premières minutes ». (…)
Le corollaire du formatage est l’interventionnisme des chaînes sur les films. Un thème qui rend les réalisateurs souvent virulents, car ils estiment ces interventions faites par des gens qui n’ont aucune compétence sur leur métier. S. raconte ses neuf mois de bras de fer pour résister à l’exigence de modifier la voix du commentaire après acceptation du PAD. Et s’insurge : « Que dire des fonds noirs bannis pour les interviews, du 4/3 étiré en 16/9, du générique qui doit être comme ça et pas autrement, de la demande d’« incarner » les sujets en mettant en scène des faux héros artificiels, des dossiers –pseudo-synopsis– écrits et réécrits ad nauseum etc. ». (…)
Sans en être lui-même victime, Stan Neumann décrit ce qu’il voit autour de lui. « (…) Un producteur et un diffuseur ont le droit de dire : « ça ne marche pas, c’est confus, c’est moche… ». Ils sont là pour ça. Mais ça devrait s’arrêter là. Au réalisateur ensuite de faire son travail, de comprendre ce que cela veut dire et de trouver la réponse. Mais ce que je vois autour de moi, ce sont des diffuseurs qui croient tout savoir, ils ont la solution, ils donnent la recette, disent comment monter une séquence, combien de temps doit durer un plan. Qu’est-ce qu’ils en savent ? Leur seule véritable expérience est la plupart du temps une expérience de spectateur, et encore ».
(…) M., 50 ans, qui se dit pourtant dans la situation privilégiée où elle parvient « à peu près à faire les films que je veux », et à « ne travailler que sur des sujets que je propose, souvent difficiles », réalise que de plus en plus souvent elle, « s’autocensure, c’est-à-dire que je ne présente pas certains sujets en me disant qu’ils n’en voudront pas, qu’il n’y a pas de case ou d’espace pour ça. J’ai intégré une partie de leur discours. C’est très insidieux. Ça m’énerve, car ça veut dire que malgré tout je me soumets indirectement à leurs exigences et à leur pression.
Si moi même, j’intègre déjà une forme de censure, imaginez ce que devient votre projet une fois qu’il est passé par le producteur, qui lui aussi décide par anticipation de ce qui pourrait ou non convenir à la chaîne, et puis le chargé de programme qui n’est pas décisionnaire, qui fait aussi des choix pour essayer de satisfaire la demande de son directeur… ».

Le grand désaccord entre auteurs de documentaires de création et chaînes, porte en fait sur le rôle de la télévision publique.
(…) Pour Frank Cassenti, « le service public a perdu son âme, en inversant les termes de sa mission et en mettant le public à son service ». (…) Et c’est Arte, qui fut et reste pour certains, « le refuge du documentaire de création », qui est le plus souvent accusée de faire fausse route : « Arte dans les premières années s’était constituée un vrai public, curieux, ouvert et attentif mais elle l’a perdu en formatant les œuvres sans en gagner véritablement un autre » dit une documentariste qui après quatre films dans les années 90 ne travaille plus pour la chaîne. « Arte avait été créée comme une alternative pour les artistes. Elle perd cette spécificité en se préoccupant de l’Audimat » poursuit G. « La chaîne se trompe en cherchant à faire de l’audience » approuve celui-ci, de dix ans plus jeune.
Derrière ces critiques nombreuses aux diffuseurs publics, il faut pourtant noter qu’une fois un projet accepté, les choses peuvent très bien se passer, et que certains réalisateurs ont construit de bonnes relations avec leurs interlocuteurs dans les chaînes. Tout en déplorant que « Personne (chaînes, voire même production) ne cherche à repérer les talents, à encourager l’originalité, à soutenir les idées culottées, à défricher des terrains vierges. Une banalité de le dire mais une grande violence de le vivre ». (…)

3. Les producteurs : meilleurs alliés ou meilleurs ennemis
L’affaiblissement de l’économie du documentaire a eu pour conséquence « l’affaiblissement des producteurs. La télévision publique avait réussi à créer un réseau de producteurs forts. La relation triangulaire, diffuseur-réalisateur-producteur, est pour moi essentielle. Elle protège le film et le réalisateur. Mais aujourd’hui cette relation triangulaire est fragilisée. Beaucoup de réalisateurs se retrouvent quasi seuls, livrés à eux mêmes et à la merci des dictats des diffuseurs » note Stan Neumann. Lui, comme Denis Gheerbrant et quelques autres, ont réussi à établir une relation durable et complice avec un producteur. (…)
Mais certains réalisateurs ont vécu des expériences désastreuses. Pour son premier film en 2001, pour France 3, L. se souvient de sa « productrice à plat ventre devant le diffuseur, qui devançait ce qu’elle croyait être les désirs de la chaîne, faisait pression pour que je coupe certaines scènes, ou que j’en ajoute d’autres, avec des larmes… Quand le diffuseur est venu dans la salle de montage, la productrice répondait à ma place, ne défendait pas mon point de vue ».
« J’ai rencontré une productrice qui vient au visionnage avec des lunettes de soleil et critique ensuite la colorimétrie des images » raconte A. Ce jeune réalisateur, ex-JRI, qui fait ses premiers 52 minutes, travaille « pour l’instant pour de petites sociétés de production qui veulent bien s’intéresser à moi. Je leur suis reconnaissant de bien vouloir me donner ma chance, et je crois que cela me pousse à accepter des conditions de travail souvent mauvaises, des salaires faibles ».
L’un des griefs faits aux producteurs, c’est le refus de financer la moindre part de l’écriture. (…)
Les conflits sur le respect des droits, les négociations âpres sur la rémunération, la répartition droit d’auteurs/salaire… sont donc fréquents. (…)

4. Quel avenir ? Chemins de traverse à l’écart des grandes chaînes
(…) Pour retrouver une liberté, du temps, beaucoup de réalisateurs se tournent vers le cinéma. « C’est aussi très dur, très concurrentiel, car nous sommes de plus en plus nombreux dans le documentaire à nous tourner vers le cinéma. Mais au cinéma, une fois le financement réuni, on a une totale liberté, le dialogue se fait entre le réalisateur et son producteur » constate Mariana Otero, qui a franchi le pas il y a dix ans. (…) D’autres recherchent la liberté sur le web. D. qui a produit un webdocumentaire financé par MSN (Microsoft) est ravi « des possibilités de scénarios infinies », qu’il y a trouvées. Et de « l’œil qui brille encore chez les gens de MSN quand on leur apporte un sujet nouveau. Un rapport, tellement plus agréable qu’avec des diffuseurs qui s’enfilent deux à trois documentaires par jour ». Reste que l’économie du webdocumentaire, aux expériences près menées par MSN, Arte, France 5, est encore à trouver. (…) Autre espace de liberté mais à l’économie réduite : les chaînes thématiques et les chaînes locales. A CinéCinémas, pour son film sur une réalisatrice japonaise, L. a trouvé « un vrai espace de liberté pour le documentaire de création ». (…) Enfin, Marie-Monique Robin, elle, teste un nouveau mode de financement : la vente du DVD de son prochain film par une souscription en ligne, dont elle compte récolter 90.000 euros, la trésorerie nécessaire pour lancer la production. S’y ajoute l’apport d’une ONG belge, SOS Faim, remporté sur appel d’offres.

Isabelle Repiton

Les propositions de la Scam
Cet état des lieux du documentaire mené par la Scam depuis de nombreux mois tombe à point nommé pour apporter une contribution à la mission confiée par Frédéric Mitterrand à Catherine Lamour, Serge Gordey, Jacques Perrin et Carlos Pinsky sur le documentaire de création. Au regard de cet état des lieux, la Scam demande :

1. Le contrôle des comptes des sociétés de production
Le CNC doit veiller à ce que les sociétés qui ont un compte de soutien automatique respectent l’obligation annuelle de reddition des comptes et en cas contraire, suspendre les aides.
2. Le renforcement de la gestion collective
Les faibles pourcentages accordés aux auteurs dans les contrats, les rares versements de droits de la part des producteurs, l’absence notoire de reddition des comptes militent pour un renforcement de la gestion collective des droits.
3. La création d’un guide professionnel auteur/producteur en partenariat avec les syndicats de producteurs dans lequel leurs membres devraient, par exemple, s’engager à fixer un pourcentage minimal (9 %) des recettes d’exploitation au profit de l’auteur.
4. La rédaction d’une charte tripartite auteur/producteur/diffuseur encadrant notamment les interventions du diffuseur dans le travail de création de l’auteur.
5. La redéfinition de l’audiovisuel public
A l’instar de l’identité des différentes stations de Radio France, France Télévisions débarrassée de la contrainte de la publicité, doit s’affranchir des contraintes de l’audience qui continue d’être considérée comme seul gage de rentabilité.
6. Les conventions d’écriture
Sous prétexte de rentabilité, les économies sur l’étape essentielle de l’écriture sont de mauvaises économies. Elles sont nuisibles autant à l’auteur, qu’au producteur et au diffuseur. Les diffuseurs et en particulier France Télévisions doivent pouvoir financer l’écriture de projets y compris lorsque ceux-ci n’impliquent pas encore un producteur.

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