Par Hervé Rony. Un texte publié dans le cadre de la consultation Europe et numérique sur Contexte Positions et adressé aux dirigeants français et européens à la rentrée 2014.



Le droit d’auteur est bousculé par le développement des réseaux et l’usage illicite des œuvres en ligne mais il n’est pas aidé par la Commission européenne qui a la fâcheuse tendance à le présenter comme un obstacle au développement d’un marché numérique de la culture. Tous les professionnels jugent les textes applicables mais l’Europe continue à prêter l’oreille aux adversaires de la propriété intellectuelle.

D’un côté, la communauté culturelle est invitée, au motif séduisant de leur « modernisation », à accepter des entorses à leurs droits en étendant le champ des exceptions; De l’autre, statu quo pour des intermédiaires techniques qui s’enrichissent depuis des années en permettant la circulation d’œuvres protégées, sans aucun contrôle.

Les adversaires de la propriété intellectuelle ne visent qu’à accroître leurs bénéfices. Mais que vise la Commission en les soutenant ? Après 50 ans de construction européenne, les mêmes enseignes commerciales couvrent les rues de Marseille, Séville ou Stuttgart. La Commission souhaite-t-elle que les européens lisent les mêmes livres, voient les mêmes films ? Et pourquoi pas aussi parlent la même langue ?

L’Europe est constituée d’une mosaïque d’États et de régions qui puisent leur identité culturelle dans des réalités hétérogènes. On ne construit pas une Europe du disque, de l’audiovisuel, du livre, de la photographie comme on construit une Europe de l’agro-alimentaire ou de l’énergie. Même Google et Netflix qui souhaitent s’imposer aussi uniformément que possible, savent qu’on n’investit pas de la même manière et en même temps de Stockholm à Lisbonne et de Londres à Bucarest.

Non, la territorialisation des activités culturelles et des médias, de la gestion des droits et des implantations économiques dans ces secteurs n’est pas aussi problématique que Bruxelles l’affirme.

Par ailleurs, l’inertie des États membres et de la Commission pour mettre un terme à la situation fiscale aberrante qui règne au sein de l’Union devient scandaleuse.

Aucun pays n’est en mesure de taxer le chiffre d’affaires réalisé sur son territoire par les grandes entreprises américaines (Google, Amazon, Facebook, etc.) qui peuvent impunément « optimiser » leur fiscalité via le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Irlande. L’Europe fait la courte échelle aux mastodontes d’outre-Atlantique sans avoir été capable de construire de grandes sociétés européennes ! Où sont les visionnaires qui ont su créer Airbus ou Ariane espace ? Si la Commission milite pour un marché unique de la culture, elle roule pour l’efficace industrie de l’American way of life.

Une étude du cabinet Roland Berger indique que le CA de Google, Amazon, Facebook, Apple réunis serait de 5.6 MM€ contre 505 M déclarés, ce qui génèrerait un impôt de 512 M€ contre 16 encaissés par l’État ! S’ils étaient aussi assujettis à l’obligation de financer la culture, la somme récoltée pourrait atteindre 63 M€. La concurrence entre des acteurs qui agissent sur un même marché n’est-elle pas faussée ?

Les auteurs sont doublement menacés : la faiblesse des revenus issus de l’exploitation numérique de leurs œuvres et la mise en danger du pré-financement des œuvres faute de contribution des grands acteurs du net. La Scam espère que l’Europe aura enfin la volonté politique d’agir.

Hervé Rony, Directeur général de la Scam