par Marion Lary, pour l’Interrezo qui regroupe les associations de documentaristes en Régions

Début mai une quinzaine de réalisateurs et de réalisatrices de l’Interrezo [1] se sont retrouvés pendant deux jours au Moulin d’Andé.

Au vu de la qualité des échanges de ces deux journées et des perspectives qui s’en sont dégagées, cette initiative est un succès. Des décisions concrètes de travail ont été prises et nous souhaitons tous faire de ces rencontres un rendez-vous annuel. La qualité de ces rencontres est le fruit d’une préparation en amont qui a permis de rassembler les énergies des associations partenaires d’Interrezo. Comme quoi, on peut être implantés en Régions, disséminés un peu partout en France et réussir à travailler ensemble !

Au fil des rendez-vous annuels d’Interrezo − à Doc’Ouest et au festival Cinéma du Réel − deux thèmes se sont dégagés, émanations des préoccupations des réalisateurs, qui concernent les nouvelles pratiques de production et de diffusion de nos films. Autant de questions qui traversent notre société face aux nouvelles technologies et au flux incessant d’images en tout genre.La première journée, consacrée aux espaces de diffusion en mutation, commence sur un constat général : la télévision n’est plus le partenaire n°1 de la production. De plus en plus de films montent leur financement sans elle et trouvent d’autres voies de diffusion. Parallèlement, les institutions et collectivités publiques développent des aides qui n’exigent pas d’avoir un télédiffuseur. Comment se restructure le plan de production face à cette nouvelle donne ? Un tour de table a permis d’évaluer les dispositifs d’aide existant en région. Addoc qui a participé avec le Rod[2] à la création de l’Aide au développement renforcé au CNC (qui accorde des financements sans télédiffuseur) fait le bilan des trois premières éditions de l’Aide. L’association Atis détaille les nouveaux règlements d’intervention du Conseil régional d’Aquitaine en matière de cinéma et d’audiovisuel votés en février 2012 : ils intègrent une aide à la production destinée aux documentaires sans télédiffuseur et qui présentent dans leur plan de financement des diffusions hors réseau commercial[3].

En confrontant les expériences, il apparaît que des dispositifs se mettent en place pour que les films soutenus financièrement à l’échelle régionale soient vus sur le territoire. En Languedoc-Roussillon, les films aidés sont projetés dans les locaux du Conseil régional. En Bretagne, le Conseil régional travaille à la mise en place d’une aide à la diffusion. En Aquitaine, l’Acpa (Association de cinéma de proximité d’Aquitaine) anime le dispositif Cinéquadoc qui favorise la diffusion sur grand écran des films produits en région (organisation de projections, mise en place d’un catalogue). Même type d’initiative en Alsace : l’Apaa, Association des producteurs, lance L’Apaa fait son cinéma, cycle de projections de documentaires produits en Alsace. En Lorraine, les films produits en régions sont diffusés à l’occasion de la Quinzaine du film lorrain.

Nous nous accordons néanmoins sur le fait que les producteurs n’ont pas l’envie et/ou les moyens de faire ce travail d’accompagnement des films pour une diffusion non commerciale. Bien souvent, les réalisateurs prennent en charge ce travail, individuellement, au cas par cas. Comment mutualiser les pratiques ? Pourquoi ne pas créer une coopérative de réalisateurs qui ferait circuler les films dans nos réseaux ? Comment être mieux informés sur les catalogues existants ou à mettre en place ?

L’idée émerge de renégocier la répartition des droits de diffusion pour les projections dans le réseau non commercial. Il ne s’agit pas de revendiquer systématiquement que la distribution dans le réseau culturel revienne au réalisateur mais de donner un outil supplémentaire à chacun pour négocier son contrat en connaissance de cause.

La question de la rémunération des réalisateurs dans l’accompagnement de leurs films est soulevée. Nous constatons qu’il faut avant tout travailler sur les mentalités et faire reconnaître qu’accompagner son film dans les projections est un travail. Un guide sera rédigé à l’attention des structures qui nous accueillent pour les sensibiliser à cette question et donner des pistes concrètes.
Et comme il s’agit d’une réunion de réalisateurs et de réalisatrices, nous regardons des films. Ces rencontres sont aussi un moment pour échanger sur nos pratiques de réalisation, une façon de s’enrichir et de mettre en jeu notre travail en le confrontant aux regards de nos pairs.

Deux projections publiques sont organisées : un regard croisé entre Atis et ALRT. Au programme, Terre Promise de David Foucher et Ce qu’il reste à finir de Lisa Diaz.

La deuxième journée est consacrée à la production, aux co-productions et à une pratique qui se développe de plus en plus : l’autoproduction. Là encore, les frontières se brouillent : c’est le métissage des pratiques.

Autour de la table, plusieurs d’entre nous ont créé une association pour produire leur film. Chacun témoigne des avantages et inconvénients du statut associatif. Il ne s’agit pas de produire le film de A à Z mais plutôt d’être co-producteur pour valoriser l’écriture, le développement. Une manière de chiffrer le travail en amont, souvent pas ou mal rémunéré. C’est aussi la certitude d’une plus grande autonomie dans la réalisation et d’une meilleure diffusion du film. Cette implication grandissante des réalisateurs dans la production de leurs films transforme les relations avec les producteurs (qui quelquefois se plaignent d’une concurrence déloyale : les associations n’étant pas assujetties à la TVA).

Cela étant, nous nous accordons à dire que nos associations n’ont pas vocation à remplacer les sociétés de production. Il s’agit plutôt d’un outil complémentaire.
L’après-midi est dédiée aux relations avec les télévisions qui, d’une région à l’autre, présentent des situations très contrastées. La pétition contre le changement de la case de diffusion du documentaire sur France 3 Régions ayant bien fonctionné, nous décidons de nous adresser directement aux pôles régionaux, et d’aller au rendez-vous à plusieurs associations, ce qui permet d’améliorer le rapport de force.

Le plus réjouissant de ces rencontres reste les perspectives, l’avenir. En effet, nous nous quittons avec des objectifs précis : rédiger une clause qui puisse être intégrée au contrat auteur/producteur pour permettre aux auteurs de percevoir les droits sur la diffusion culturelle de leur film ; élaborer un guide pour la rémunération des réalisateurs qui accompagnent la diffusion de leurs films. Nous allons jusqu’à évoquer la création d’une coopérative des auteurs pour améliorer la diffusion de nos films.

Ces rencontres riches et fructueuses ont conforté les réalisateurs impliqués dans l’Interrezo sur l’importance du travail mené jusqu’à présent. Et donné envie et énergie de poursuivre la réflexion commune !



[1] L’Interrezo regroupe les associations de documentaristes en Régions : Addoc pour l’Ile-de-France, L’Inconscient collectif pour la Haute-Normandie, Les Ateliers du doc pour la Basse-Normandie, ALRT pour les Pays de la Loire, l’Arbre pour la Bretagne, Atis pour l’Aquitaine, Réal pour le Languedoc Roussillon, la Safire Alsace, la Safire Lorraine et la Safir Nord. À l’occasion des rencontres au Moulin d’Andé, s’étaient déplacés : David Foucher, Lucas Vernier, Pauline de Tastes, Mika Gianotti, Anne Galland, Meryl Moine, Ariane Doublet, Cécile Patingre, Antoine Tracou, Ariel Nathan, Laure Pradal, Max Disbeaux, Delphine Maza, Mickaël Hamon, Lisa Diaz, Bérangère Goossens, David Desramé

[2] Le Rod – Réseau des organisations du documentaire – regroupe des producteurs et des réalisateurs depuis 2007 : l’Addoc, le Spi (Syndicat des producteurs indépendants), la SRF (Société des réalisateurs de films) et l’Uspa (Union syndicale des producteurs audiovisuels).

[3] Le réseau commercial recouvre les sorties dans des salles soumises à la billetterie CNC (y compris avec visas temporaires). Pour le non commercial, hors billetterie CNC, le réseau est dense et pluriel. Il recouvre une multitude d’acteurs (festivals, associations, médiathèques, etc.)