La ministre de la Culture et de la Communication répond aux questions de la Scam.



Aurélie Filippetti, pas de citoyenneté européenne sans culture européenne

 

La ministre de la Culture et de la Communication assure qu’une « grande loi réaffirmant la valeur de la création artistique et sa protection » sera discutée début 2015.

 

Vous organisiez les 4 et 5 avril un Forum européen sur la Culture à Chaillot. Cette initiative a-t-elle des suites ?

Ce Forum de Chaillot a été un grand succès. Nous avions décidé de tracer les axes d’une stratégie commune sur la culture, pour la prochaine commission européenne. Avec les ministres de la Culture de treize pays de l’Union, nous avons fait une lettre conjointe et publié une tribune dans plusieurs journaux européens. Le besoin d’une stratégie culturelle pour l’Europe y est affirmé : la citoyenneté européenne ne se conçoit pas sans culture européenne et sans encouragement à la création. Cette déclaration inscrit la question des droits d’auteur et l’adaptation des mécanismes de financement de la culture à l’ère numérique dans les axes de cette stratégie. L’Allemagne, l’Italie, qui a pris la présidence de l’Union et avec laquelle les contacts sont étroits sur ces sujets, sont signataires.

Au conseil des ministres européen qui a suivi, nous avons exigé avec force l’inscription des aspects culturels qui n’y figuraient pas, dans la stratégie Europe 2020, la feuille de route de la nouvelle Commission.

 

La commission européenne a engagé une révision de la directive Droits d’auteur qui inquiète les ayants droit. Leurs craintes sont-elles justifiées ?

On attend le Livre blanc que doit publier la Commission en juillet. A ce stade, on ignore l’impact du changement de commission sur le processus. C’est pourquoi il était important pour les ministres de la Culture, avant même les élections, d’affirmer une position très forte, de donner une feuille de route très claire à la prochaine commission. Pour éviter une période de vacance où auraient pu se glisser des dispositions régressives du point de vue de la création.

La France, comme les autres pays, a répondu au questionnaire de la commission sur la révision de la directive Droits d’auteur. Si révision il doit y avoir, notre position c’est d’aller absolument vers l’adaptation aux enjeux du numérique. C’est-à-dire que l’on souhaite adopter, tant pour la régulation que pour la fiscalité, le principe du pays de destination constamment réaffirmé par la France pour les services en ligne, notamment culturels.

Je remarque à travers nos échanges que si tout le monde n’est pas prêt à suivre la position française, on nous laisse la défendre avec bienveillance. Par exemple sur la copie privée, les Britanniques ont marqué un net infléchissement : ils en acceptent le principe désormais, même s’ils décident que chez eux la rémunération sera nulle.

Je souhaite que la question de la rémunération des créateurs soit pleinement inscrite dans les objectifs de la nouvelle commission et qu’un futur commissaire au Marché intérieur ne puisse imaginer remettre à plat certains grands principes.

 

 

Quid de la fiscalité des géants du Net, les GAFA – Google, Amazon, Facebook Apple – et bientôt Netflix ?

Le principe du pays de destination implique justement que l’on parvienne à soumettre à la même fiscalité les GAFA et les opérateurs territorialisés. On ne peut accepter de se faire concurrencer par ces acteurs, qui, de plus, ont des pratiques de plus en plus dures commercialement, envers ceux qui ne veulent pas se soumettre à leurs clauses.

On a eu l‘exemple récemment avec YouTube et les labels musicaux indépendants, victimes de « black-out » [déférencés par YouTube. NDLR] ou avec Amazon aux Etats-Unis et en Allemagne avec des pressions sur les librairies et les éditeurs,

On travaille avec les parlementaires, avec l’OCDE, pour mettre en place le principe d’un établissement virtuel stable, qui permettrait de prendre en compte le vrai chiffre d’affaires créé sur un territoire national. Il y a aussi des contentieux fiscaux en cours.

C’est un combat très long et très politique. La France doit continuer à marquer des points, à ne lâcher aucun pouce de terrain. La nouvelle loi encadrant la vente de livres à distance [qui limite notamment le port gratuit pratiqué par Amazon, en contradiction avec la loi française sur le prix unique du livre. NDLR] apporte une petite pierre. Cela montre que l’on ne relâche pas notre vigilance. J’ai demandé à la commission d’être attentive à Amazon et au risque de pratiques discriminatoires vis-à-vis des éditeurs européens.

Face à l’arrivée de Netflix, notre démarche est aussi de valoriser les acteurs français qui sont solides. Nous souhaitons encourager les plateformes européennes qui participent au financement de la création, en recherchant par exemple des systèmes de bonus incitatifs. Par ailleurs, le CNC réfléchit à un système de référencement qui mettrait en valeur les offres françaises en matière de vidéo à la demande.

 

Les ayants droit réclament la révision de la directive Commerce électronique et du statut de l’hébergeur, qui exonère les grands acteurs Internet de responsabilité a priori sur les contenus qu’ils hébergent. Est-ce un combat que vous allez mener ?

Le rapport Lescure évoquait ce sujet, qui par nature relève de discussions qui se poursuivent au niveau européen. Au-delà de la question de la responsabilité des hébergeurs, c’est bien la question de la loyauté de l’ensemble des intermédiaires qui doit être posée, que ce soient les hébergeurs, mais aussi les moteurs de recherche. La lutte contre les contenus illicites doit impliquer l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur. Il s’agit d’une responsabilité commune que l’Etat se doit de rappeler. La réflexion se poursuit en ce sens, avec la volonté de garantir l’ensemble des droits et libertés numériques. Et je rappelle à cet égard que le Conseil constitutionnel a bien donné au droit d’auteur et aux droits voisins une valeur constitutionnelle.

 

 

Depuis le rapport Lescure, les ayants droit attendent avec impatience la mise en œuvre des préconisations concernant la Hadopi, la lutte contre les échanges illicites d’œuvres culturelles. A quand la loi promise ?

Le rapport Lescure comportait quatre-vingts propositions, dépassant largement le sujet Hadopi. La véritable question, ce n’est pas celle de la Hadopi posée en l’état. C’est celle de la protection de la création et de l’importance qu’il y a à préserver une pédagogie autour de la valeur de la création. La création, ce sont des femmes et des hommes, c’est un travail, intellectuel, qui a une forte valeur. Je veux rappeler l’importance de cette pédagogie autour de ce que représente la création. S’agissant du rapport confié à Pierre Lescure, une bonne partie, qui va dans le sens des créateurs, est mise en place progressivement depuis un an : la rémunération plus juste des photojournalistes est en cours de finalisation ; le contrat d’édition numérique a été adopté par le Parlement le 26 juin ; les assises de la diversité dans le cinéma se poursuivent, des réformes sont en cours.

 

Concernant la lutte contre la contrefaçon, le rapport disait qu’il fallait en priorité renforcer la lutte contre la contrefaçon commerciale. C’est le sens du travail que j’ai confié à Madame Mireille Imbert-Quaretta. Son rapport remis mi-mai fait des propositions visant à impliquer dans une démarche d’autorégulation les intermédiaires de publicité ou de paiement en ligne, afin d’assécher les ressources des sites contrefacteurs. D’autres questions, fondamentales, sont posées. Est-il normal que des contenus illégaux notifiés et retirés réapparaissent ? Est-il normal que des décisions de justice de blocage de sites illicites ne soient pas effectives et que des sites miroirs contournent ainsi le juge ? Ces questions sont fondamentales et nécessitent une approche politique transversale pour que nos actions soient efficaces. L’enjeu de l’efficacité est la clé de la lutte contre le piratage commercial. L’efficience des décisions du juge doit être assurée. C’est pourquoi ce combat est un combat que je mène en lien avec mes collègues, à l’échelle du Gouvernement mais également dans le cadre d’échanges avec les parlementaires. Les dispositions nécessaires ne sont pas uniquement de nature législative. Et de manière générale, il nous faut agir aujourd’hui sur plusieurs leviers : des leviers juridiques, techniques et pédagogiques.

Enfin, la lutte contre le piratage commercial recouvre également la question du développement et de la visibilité de l’offre légale. Nous travaillons à une meilleure valorisation des sites vertueux au regard du droit d’auteur.

 

Mais le grand projet de loi Création qui était annoncé et qui devait transférer les missions de Hadopi au CSA est-il toujours d’actualité ?

Le calendrier législatif comme vous le savez est contraint. J’ai néanmoins obtenu l’engagement du Premier Ministre d’une fenêtre législative, pour le ministère de la Culture, début 2015, avec des dispositions sur la création, le spectacle vivant, le patrimoine et le numérique. L’enjeu est celui d’une grande loi réaffirmant la valeur de la création artistique et sa protection.

S’agissant de la Hadopi, j’ai supprimé la coupure d’accès Internet, jugée par un large consensus, exorbitante du droit commun. Je rappelle que la réponse graduée, dans son volet pédagogique, fonctionne. A cet égard, les crédits de la Hadopi sont stabilisés. Les nominations des personnalités qualifiées au collège de la Hadopi sont faites mais la vérification des conditions déontologiques très strictes imposées aux membres et les circuits interministériels en période de remaniement prennent du temps. Et je le répète, cela n’empêche en rien la Hadopi de fonctionner. La riposte graduée n’est pas désarmée. La menace d’une mise en demeure de l’Etat par la Hadopi [que vient de brandir le collège de la Hadopi. NDLR] est une attaque hors de propos.

Enfin, l’enjeu est également et à titre principal, comme je l’ai évoqué, celui de la lutte contre la contrefaçon commerciale.

 

Êtes-vous favorable à une augmentation de la redevance audiovisuelle que Bercy vous aurait d’ores et déjà refusée ?

On a besoin d’un audiovisuel de qualité au service du public, pour lequel on doit trouver les moyens d’un financement solide et indépendant. La contribution à l’audiovisuel public est la source de financement la plus pérenne, la plus équitable et la plus porteuse d’indépendance. Aujourd’hui, il demeure une partie de subvention de l’Etat dans le budget de France Télévisions ; l’objectif à terme est d’éteindre cette subvention. Un groupe de parlementaires a travaillé sur ce sujet, mais la discussion et la décision auront lieu à l’automne, dans le cadre du projet de loi de finances. Aucune décision n’est prise à ce stade. 

 

Quel est votre regard sur les programmes de France Télévisions, et notamment la place du documentaire sur ses antennes ?

Par principe, je ne me prononce pas sur le contenu ou le détail des programmes. Mais pour moi, le genre documentaire est extrêmement important, j’y suis très attachée, cela fait partie des programmes qui approfondissent et renouvellent notre regard sur le monde. La France a une vraie excellence dans ce domaine.

J’avais annoncé au FIPA en janvier à Biarritz une réforme[1] du soutien en faveur du documentaire de création qui se met en place actuellement afin de mieux financer les œuvres les plus ambitieuses, avec un accent sur les documentaires scientifiques et historiques, sur l’exportation.

Il faut continuer d’accompagner les jeunes auteurs, l’écriture et la réinvention permanente de ce genre polymorphe. J’ai souhaité une réforme du COSIP qui va permettre de réserver aux dépenses d’écriture un pourcentage du soutien reçu par le producteur. Et j’ai tenu à ce que la place du documentaire soit encore mieux valorisée sur le service public. Ces exigences ont été rappelées fermement dans le contrat d’objectif et de moyens de France Télévisions. Et cela concerne aussi Arte.

 

Qu’apporte aux auteurs le contrat d’édition numérique sur lequel une loi a été adoptée le 26 juin ?

Cela leur donne la garantie d’un suivi de l’exploitation de leurs œuvres. Si l’éditeur ne peut démontrer qu’il a mis en œuvre une exploitation effective d’un livre en numérique, l’auteur peut demander à récupérer ses droits. Les contrats d’édition pour le livre physique et pour le livre numérique doivent aussi être distingués. Les obligations de transparence dans la reddition des comptes sont réaffirmées et précisées. C’est donc un texte très protecteur pour les auteurs, qui a nécessité quatre ans de négociation entre éditeurs et auteurs. Cet accord a été transcrit dans la loi, car il modifie le code de la propriété intellectuelle.

 

Dans la production audiovisuelle, syndicats de producteurs et auteurs de la Scam ont négocié une Charte de bonnes pratiques, dont ils demandent l’extension à l’ensemble des productions documentaires. Y êtes-vous favorable ?

Je vais faire analyser ce texte. A priori je suis favorable à une extension, si cela ne pose pas de problème juridique.

 

La mission que vous aviez confiée à Francis Brun-Buisson sur la situation des photographes de presse n’est-elle pas sur le point d’échouer ?

Elle n’échoue pas, puisque nous sommes en train de parvenir à un accord entre les agences et les éditeurs. Cette mission de médiation m’a été demandée par les agences de presse, je suis heureuse que celles-ci aient pu aboutir à un texte satisfaisant pour elles. En revanche, c’est vrai que seule une organisation minoritaire auprès des représentants des photojournalistes souhaite aujourd’hui signer. Ce code restera ouvert à signature dans le temps si d’autres syndicats ou organisations professionnelles souhaitent s’y agréger. 

Des avancées importantes existent, notamment les engagements des titres de presse de réduire les mentions « DR » aux seuls cas où les auteurs ne sont effectivement pas connus. Mais je comprends l’insatisfaction des photographes qui voudraient voir modifier des pratiques, comme le fonctionnement de la commission de la carte de presse, qui n’entraient pas dans le champ de la mission. 

 

Les résultats de cette mission montrent la fragilité et la difficulté du dialogue social au sein de cette profession. Ce n’est pas digne de la presse qui se veut de qualité. Ma détermination est totale et je l’ai dit aux éditeurs de presse. Désormais, les aides à la presse ont un bonus-malus conditionné au respect de bonnes pratiques sociales. Cela figure dans le décret « aides à la presse » publié en juin. Je prends par ailleurs pleinement mes responsabilités en ayant transmis pour avis au Conseil d’Etat un décret permettant la mise en œuvre d’un barème minimal de pige faute d’accord entre les partenaires.

 

Mais l’Etat ne peut se substituer aux partenaires sociaux pour ce qui est de leur ressort, c’est pourquoi je souhaite que les discussions continuent entre acteurs. C’est une négociation difficile mais il a bien fallu quatre ans pour parvenir à un accord auteurs-éditeurs du monde du livre sur le contrat d’édition numérique !

  

Où en est la parité hommes-femmes dans le secteur audiovisuel ?

Depuis deux ans, on a fait un énorme progrès dans toutes les institutions culturelles et dans l’audiovisuel. Marie-Christine Saragosse a été nommée à la tête de France Médias Monde fin 2012, et j’ai désigné Agnès Saal à l’INA en avril dernier, sans oublier Véronique Cayla qui dirige Arte.

Le CSA a un groupe de travail sur l’égalité hommes-femmes et a désormais une mission de lutte contre les stéréotypes dans les programmes. Le CNC a fait une étude sur le sujet dans le cinéma à ma demande. France Télévisions a pris l’engagement d’avoir au minimum 30 % de femmes invitées comme expertes sur les plateaux. Le groupe a pris des engagements aussi bien dans son organisation interne que dans la présence des femmes à l’antenne. Donc ça bouge.

 

La Scam souhaite la création d’une Cinémathèque dédiée au documentaire. Etes-vous prête à aider ce projet ?

Une cinémathèque du documentaire est une très bonne idée et je l’ai dit à Julie Bertuccelli, présidente de la Scam. Nous devons travailler ensemble pour en étudier la faisabilité, le coût bien sûr, et la forme que cela pourrait prendre. Je vais confier cette mission d’évaluation à une personnalité.

 

 

propos recueillis par Isabelle Repiton

 



[1]          cf. Astérisque 48 – avril 2014 : « La réforme du Cosip en 4 questions »