C’est le commentaire laissé par une journaliste. Plus de 3 700 journalistes ont répondu à un questionnaire1  de la Scam complété de plusieurs entretiens. Une enquête réalisée par Béatrice de Mondenard, pour la lettre Astérisque 62.



Carte de presse

88 % des personnes ayant répondu possèdent la carte de presse… mais que représente aujourd’hui la carte de presse, comme preuve d’une activité journalistique, lorsqu’elle est possédée par 27 % des personnes pour lesquelles le journalisme n’est pas l’activité principale ?

Multiplicité et précarisation des statuts

17 % des journalistes déclarent plusieurs situations, contre 12 % en 2013. La part des journalistes ayant le statut de salarié permanent chute de 6 points, au profit des pigistes notamment (42 % en 2018 contre 28 % en 2013). 

 

2018

2013

Salariat permanent

56%

62%

Salariat pigiste

42%

28%

Auteur / autrice

8%

6%

Auto-entrepreneuriat

7%

6%

Travail indépendant

4%

6%

Intermittence

4%

3%

NB : Total supérieur à 100 % car plusieurs situations possibles.

Les plus sujets aux statuts multiples sont les réalisateurs et réalisatrices (à la fois pigistes, auteurs/autrices et intermittents), les photographes (permanents, pigistes, auteurs/autrices et travailleurs indépendants) et les journalistes multi-supports.
En radio, en TV mais aussi sur le Web, les salariés permanents restent assez largement majoritaires. En presse écrite, la majorité est courte mais les pigistes sont majoritaires dans toutes les autres catégories (réalisateurs, photographes, journalistes multi-supports, journalistes sans activité principale).
Chez les moins de 35 ans également, la part des pigistes (51 %) est supérieure à celle des permanents (49 %). La diversité des statuts pose problème à beaucoup de journalistes. Un exemple parmi tant d’autres : « Je cumule plusieurs statuts (journaliste pigiste, réalisatrice, auto-entrepreneuse). J’ai été en congé maternité récemment et je me suis rendu compte de la difficulté d’être sur plusieurs statuts car on ne me reconnaît pleinement dans aucun ; je n’ai donc eu droit qu’au minimum des aides. »
Les situations deviennent parfois kafkaïennes : « En tant que journaliste, je suis amenée à être payée en tant qu’intermittente mais aussi à la pige au régime général. Mais les deux régimes ne se cumulent pas, si bien que, cette année par exemple, j’ai davantage travaillé en tant que pigiste au régime général que comme intermittente. Je vais donc perdre mon statut d’intermittente qui me permettait de compenser les périodes plus difficiles où le travail se fait rare. Mais au régime général, je n’ai rien pour compenser cette perte.
De même, ma demande d’un financement en CIF pour une formation à l’Afdas en tant qu’intermittente m’a été refusée parce que je n’ai pas justifié assez d’heures sur les douze derniers mois. Mais il m’est impossible de demander ce financement en tant que pigiste parce que je ne peux pas justifier de deux ans de carte de presse.
En effet, même si cela fait plusieurs années que je travaille sous ce statut, je n’ai pas fait de demande de carte de presse parce qu’intermittente. » Un journaliste résume le sentiment général : « J’ai été très longtemps pigiste et considère que le développement de la pige est en soi un signe de la précarisation du métier. »

Rémunérations

En effet, les pigistes connaissent des rémunérations stagnantes voire en baisse. Les témoignages sont légion sur ce sujet. « La rémunération des piges dans les rédactions pour lesquelles je travaille n’a pas évolué d’un iota depuis cinq ans. » Ou encore : « Lorsque j’ai commencé à travailler, en 1981, une double page photos était payée 10 000 francs. Aujourd’hui, en 2018, la même double page dans le même magazine (Paris Match) est payée 1 500 €… exactement le même tarif de piges en trente-sept ans ! » Pire : « En quelques années, mes rémunérations de pigiste ont été divisées par deux par mon employeur (pour la même quantité de travail). »

Modes de rémunération

76 % ont un seul mode de rémunération, qui est majoritairement le salaire. Parmi les 24 % qui ont plusieurs modes de rémunération, 15 % cumulent salaires et droits d’auteur, 5 % salaires et factures, moins de 1 % salaires et factures et 3 % les trois modes de rémunération. Si 98 % des répondants perçoivent des salaires, 19 % sont également rémunérés en droit d’auteur et 10 % émettent des factures. La rémunération en droit d’auteur est plus répandue chez les réalisateurs et réalisatrices (81 %), les photographes (41 %), les journalistes sans activité principale (28 %), les journalistes multi-supports (23 %) et les journalistes TV (23 %). La rémunération en factures est plus répandue chez les journalistes sans activité principale (30 %), les journalistes multi-supports (21 %) et les photographes (14 %).

 

Moyenne

Médiane

CDI (net mensuel)

3050€

2900€

CDD (net mensuel)

2100€

1900€

Pige Presse écrite au feuillet

68€

68€

Revenus annuels

Les revenus annuels des journalistes sont très proches de ceux de l’enquête 2013. Ces chiffres confirment les nombreux propos recueillis par ailleurs affirmant que les salaires n’ont pas augmenté depuis une décennie : « J’ai vraiment du mal à dire combien je gagne par mois tant l’activité est différente d’un mois à l’autre, d’une année à l’autre. De plus, je ne survis que grâce à Pole emploi, qui « sponsorise » mon indépendance ». L’inégalité entre hommes et femmes reste criante. Il y a deux fois plus de femmes (15 %) que d’hommes (8 %) qui perçoivent une rémunération inférieure au Smic. Inversement, en haut de la pyramide, seules 4 % des femmes perçoivent un salaire supérieur à 60 000 euros, contre 10 % d’hommes.

Répartition des journalistes par tranches de revenus et par année

 

2018

2013

< 13 800 €

11%

12%

13 800 – 20 000 €

17%

18%

20 000 – 40 000 €

45%

46%

40 000 – 60 000 €

21%

18%

> 60 000 €

6%

6%

Répartition des journalistes par âges et tranches de revenus

 

< 35 ans

35 – 49 ans

>50 ans

< 13 800 €

17%

8%

11%

13 800 – 20 000 €

30%

14%

11%

20 000 – 40 000 €

49%

50%

35%

40 000 – 60 000 €

4%

23%

30%

> 60 000 €

0%

5%

13%

Activités extra-journalistiques

26 % disent avoir une activité extra-journalistique (essentiellement dans les secteurs de la communication ou de l’enseignement). 23 % des encartés et 46 % des non-encartés ont une activité extra-journalistique. Si l’on exclut les permanents, dont 14 % ont une activité extra-journalistique, ce sont 41 % des non permanents qui ont une activité extra-journalistique contre 14 % des permanents.

Deux profils distincts

• Permanents : 64 % d’hommes, 93 % de cartes de presse, télévision et radio surreprésentées, avec des revenus très au-dessus de la moyenne (40 % ont plus de 40 000 €).
• Non-permanents : 56 % de femmes, 26 % n’ont pas la carte de presse, presse écrite surreprésentée, revenus très en dessous de la moyenne (52 % ont moins de 20 000 €).
La motivation pour ces activités extra-journalistiques est tout autant financière (60 %) que due à un intérêt pour une autre activité (56 %). « Je songe à raccrocher chaque année, même si je fais ce métier depuis plus de vingt ans et que je l’aime.
L’enseignement me permet de compléter mes revenus, mais j’aimerais vivre à nouveau entièrement de ce métier. Ou je devrai le quitter. »

Social

Les non-permanents bénéficient d’une moindre protection sociale. Plusieurs journalistes à l’étranger sont en grande difficulté pour leur sécurité sociale et leur retraite.

Couverture sociale

1,7 % a déclaré ne pas bénéficier d’une couverture sociale, dont une forte proportion de pigistes, de moins de 35 ans, ou de résidents à l’étranger. Des journalistes de RFI tirent la sonnette d’alarme, en prélude probablement à ceux de … /…

France Télévisions : « Le métier se précarise de plus en plus.

Ainsi de nombreux médias français demandent à leurs correspondants pigistes de souscrire à la CFE (Caisse des Français de l’étranger) ou à une assurance santé locale. Lorsqu’on est pigiste avec une CFE inabordable financièrement et lorsqu’on est en Afrique où les systèmes sanitaires sont inexistants, on se retrouve sans couverture santé. Il faut réfléchir à un statut du pigiste français à l’étranger. »
Une autre, plus alarmiste encore : « Je suis journaliste correspondante à l’étranger depuis cinq ans. Mes collègues et moi-même avons désespérément besoin d’un statut spécifique… particulièrement au moment où RFI, Le Monde,
France 24 décident de ne plus cotiser pour notre retraite et notre sécurité sociale. Nous avons besoin d’un statut, pour pouvoir poursuivre notre travail à l’étranger. »

Complémentaire santé

8 % n’ont pas de complémentaire santé. La proportion s’élève à 13 % chez les jeunes et grimpe à 40 % pour les journalistes à l’étranger.

Retraite

9 % des salariés disent ne pas avoir de couverture retraite (32 % ne savent pas !). Ce taux atteint 12 % pour les journalistes radio, 14 % pour les photographes et journalistes sans média principal et grimpe même à 26 % pour les réalisateurs et les journalistes à l’étranger.

Assurance

Seulement 52 % des journalistes disent être assurés quand ils partent en reportage. 35 % ne savent pas et 13 % disent ne pas être assurés. Chez les journalistes travaillant à l’étranger, 43 % disent ne pas être assurés. L’assurance est prise en charge par l’employeur pour 80 % des journalistes, ce qui signifie donc que 20 % des journalistes doivent payer leur assurance professionnelle. Ce taux monte à 30 % pour les journalistes à l’étranger et même à 46 % pour les journalistes non permanents.

Journalistes auteurs / autrices

62 % des journalistes se considèrent auteurs ou autrices, soit 9 points de moins que dans l’enquête 2013, probablement en raison du rajeunissement de la profession. Ils sont encore 27 % d’un avis contraire. Les jeunes se sentent en effet beaucoup moins auteurs que leurs aînés : ce sentiment est partagé par 51 % des moins de 35 ans, 62 % des 39-50 ans et 70 % des + de 50 ans.
Le sentiment d’être un auteur ou une autrice est plus fort chez les réalisateurs et réalisatrices (91 %) et chez les photographes (82 %). Celles et ceux qui partagent moins ce sentiment sont les journalistes de presse écrite (31 % de non) et les journalistes du web (35 %).
Les femmes partagent moins ce sentiment que leurs collègues masculins : 57 % contre 67 % pour les hommes.

Évolution du métier

L’exercice du métier de journaliste s’est dégradé pour 3 journalistes sur 4 au cours des cinq dernières années. Davantage encore pour les femmes, les journalistes de plus de 50 ans, les journalistes à l’étranger, les photographes, les réalisateurs et les réalisatrices… Le tsunami numérique n’a pas fini de bouleverser le métier de journaliste et de transformer les médias qui cherchent toujours la meilleure adaptation aux géants du web. « Face à la perte constante de lecteurs et d’acheteurs de presse écrite, les directions générales et les rédactions en chef n’ont d’autre initiative que de tenter de singer ce qui se fait sur le web… à savoir de l’info Kleenex et spectacle. » Le métier change : « On assiste depuis plusieurs années à une multiplication des tâches annexes imposées au journaliste rédacteur. Ce dernier doit désormais être photographe, vidéaste et SR, ajouter des tags et des liens hypertexte à ses articles, participer à des réunions qui s’éternisent. Au détriment, souvent, de notre mission première : rédiger des articles informatifs, « multi-sourcés » et agréables à la lecture ». Beaucoup envisagent « une reconversion tellement les conditions de ce métier se dégradent » ou de « quitter le métier sans aucun regret ». Partant du constat « Entreprise en difficulté = réduction des coûts = licenciements de journalistes », ce questionnaire est le révélateur des nombreux malaises de la profession.

Les points qui posent problème

Rémunération

54%

Manque de déontologie

32%

Image du journaliste

53%

Statut

21%

Précarité

46%

Égalité femme/homme

20%

Conditions de travail

45%

Liberté d’expression

14%

Organisation du travail

40%

Dangerosité

12%

Mélange des genres

40%

Aucun

2%


Dans un secteur en crise profonde, la rémunération et la précarité qui en découlent sont les sujets qui inquiètent le plus en raison du sentiment de déclassement social : « On passe du journaliste artisan à l’OS de l’information », ou : « Dangereux glissement vers le statut de chargé de contenu », ou encore : « Comme tous les pans de la société, l’ubérisation touche aujourd’hui le journalisme et les journalistes. »
L’image du journaliste arrive cependant en deuxième position des sujets d’inquiétude. « Tous dénoncent BFMTV, mais BFMTV est devenu de fait la référence. Moins cher, pas une tête qui dépasse, le rêve de Peyrefitte. Le journaliste ne part plus en reportage avec un angle, mais avec un synopsis pondu en conférence de rédaction par des chefs. La réalité du terrain n’existe plus, le centralisme domine désormais, saupoudré d’une bonne dose de parisianisme aigu. Une caste de bien-pensants a pris la tête de l’information en France. […] 
Le travail des journalistes est devenu inintéressant, mécanisé, standardisé, sans saveur. Pas étonnant que les Français ne nous comprennent plus. »

1. Étude publiée pour les Assises du journalisme de Tours (mars 2019), disponible en ligne, ou sur demande auprès de communication@scam.fr. Profil des personnes ayant répondu que le journalisme est leur activité principale : 52 % de femmes, 48 % d’hommes. Âge moyen : 44 ans.

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