Une interview réalisée par Isabelle Szczepanski pour Electron Libre à l’occasion de l’ouverture de la Cinémathèque du documentaire.



Julie Bertuccelli est réalisatrice de documentaires et de fiction. La Cour de Babel et Dernières Nouvelles du Cosmos, ses deux derniers documentaires, sont sortis en salles. Elle termine actuellement le montage d’un film tourné au printemps avec Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni, dont le titre – encore provisoire – est « Claire Darling ». Nous n’en saurons pas plus sur ce film pour l’instant ! Il y a quelques années, Julie Bertuccelli a décidé de s’engager dans la défense des auteurs, et a été élue présidente de la Société Civile des Auteurs Multimédias (Scam). Cela lui a permis de faire avancer un projet qui lui trottait dans la tête depuis un bout de temps, et dont elle nous parle aujourd’hui : une cinémathèque dévolue au documentaire, et permettant à un large public de voir et revoir des films – français et étrangers – de tous les genres et de toutes les époques. Après quatre ans de négociations avec différents partenaires, ce projet arrive à son aboutissement : la Cinémathèque du documentaire sera lancée début janvier 2018, à la BPI du Centre Beaubourg à Paris mais aussi dans toutes les régions de France.

Comment vous est venue l’idée de la Cinémathèque du Documentaire ?

Je pensais que cela manquait et qu’il était nécessaire de mettre en avant la valeur patrimoniale du documentaire.
Du point de vue de la diffusion notamment, l’exposition des œuvres documentaires est restreinte : souvent, les films documentaires passent à la télévision ou sortent en salles, puis sont oubliés. Pourtant c’est un répertoire important pour nous tous, car il parle de notre société, éclaire notre rapport au monde, révèle sa complexité. Une autre chose que l’on ne dit pas assez, je trouve, est que le documentaire est d’abord une œuvre cinématographique, à voir sur grand écran. Le cinéma est né documentaire avec les frères Lumière ! Écriture, cadrage, montage, éclairage, style, tout est cinéma. Sans compter que le documentaire est un ensemble de genres, c’est un monde en soi. On oublie souvent ce qu’il y a derrière ce mot : une création cinématographique.
L’idée de la cinémathèque, c’est pour le révéler au plus large public. De plus en plus de documentaires sortent en salles, c’est formidable. Mais il nous faut aller plus loin. La Scam a pour vocation de promouvoir ces œuvres : c’est dans cet esprit que nous avons lancé L’Œil d’or – Le Prix du documentaire à Cannes-, en 2015. Et la Cinémathèque du documentaire va dans le même sens.

« Souvent, les films documentaires passent à la télévision ou sortent en salles, puis sont oubliés »

La Cinémathèque Française ne diffuse-t-elle pas déjà des documentaires ?

Oui, mais très peu en comparaison du nombre d’œuvres de fictions projetées. Et d’ailleurs cela se comprend très bien : le patrimoine fictionnel y tient une place majoritaire. Je réalise moi-même des fictions, et je comprends tout à fait la logique de la Cinémathèque Française. D’où la nécessité de créer une institution ad hoc offerte au documentaire. Elle va permettre de rééquilibrer les répertoires et de faire des ponts et partenariats avec la Cinémathèque Française. Mais il faut le répéter : documentaire et fiction font partie de la même famille : nous sommes frère et sœur.

« L'idée a été très bien accueillie partout, ce qui est formidable. Le seul véritable obstacle, c’est le temps que ce genre de projet prend à mettre en place ! »

Avez-vous rencontré des obstacles à la mise en œuvre du projet ?

Non, pas vraiment : l'idée a été très bien accueillie partout, ce qui est formidable. Le seul véritable obstacle, c’est le temps que ce genre de projet prend à mettre en place ! Beaucoup de, professionnels ont reconnu qu’une institution fédératrice comme la Cinémathèque du documentaire manquait, comme les fonds détenteurs d’œuvres, y compris France Télévisions, qui produit de nombreux documentaires, lesquels quelques semaines après leur diffusion, deviennent souvent inaccessibles. Du côté des politiques, nous avons aussi été très bien accueillis, même si il y a eu de nombreux changements d’équipes depuis que nous avons lancé l’idée. Aurélie Filippetti était ministre de la Culture à ce moment-là, et est la première à laquelle j’en ai parlé. Fleur Pellerin lui a succédé et manifesté le même intérêt pour le projet en confiant à François Hurard une mission qui a permis de lancer les bases du projet et de prouver sa faisabilité. Il a rendu son rapport au moment du départ de Fleur Pellerin. Dès son intronisation, Audrey Azoulay a repris le dossier. Elle a été très positive et enthousiaste. En dépit de la lourdeur des démarches administratives, indispensables puisqu’il s’agit d’argent public, elle a rendu les choses possibles dans un délai rapide. Le CNC a réalisé une bonne partie de ces démarches, et sa participation financière représente une très grande partie du budget de la Cinémathèque du documentaire. Le groupement d’intérêt économique (GIP) qui permettra de gérer la cinémathèque en réunissant des moyens mis à disposition par les différentes partenaires publics et privés a été créé la semaine du départ d’Audrey Azoulay : à une semaine près, elle n’a pas pu signer la concrétisation du projet. C’est une des premières actions de Françoise Nyssen à son arrivée au ministère de la Culture. La signature de l’officialisation de l’acte de naissance de la Cinémathèque. Et cela s’est fait au Festival de Cannes : tout un symbole. Rétrospectivement, c’est un miracle d’en être arrivé là, en un temps aussi rapide !

« Nous voulions un projet d’ampleur tout en faisant très attention au coût »

Où en est le projet aujourd’hui ?

Nous avons eu notre premier conseil d’administration ! Nous allons recruter un directeur ou une directrice dans les prochaines semaines. Nous voulions un projet d’ampleur tout en faisant très attention au coût : il s’agit d’argent public et les temps sont plutôt à l’économie. L’équipe permanente sera composée de trois personnes. Les frais de comptabilité notamment, seront mutualisés : les structures du CNC s’en occuperont, ce qui ne génèrera pas de surcoûts. Et des structures préexistantes et extrêmement compétentes comme Images en Bibliothèque, qui s’occupe notamment du Mois du Film documentaire et qui fait partie des membres fondateurs, vont être des partenaires majeurs pour accompagner et travailler avec cette petite équipe, et développer par exemple un site et un réseau internet, pour les professionnels et pour les usagers, partout en France.

« Le documentaire, ce sont des œuvres à voir ensemble, pour en parler ensuite »

Comment la Cinémathèque s’articulera-t-elle avec les initiatives locales déjà existantes ?

En effet, il y avait déjà des initiatives locales pour mettre en valeur les documentaires, mais elles avaient besoin. En effet, il y avait déjà des initiatives locales pour mettre en valeur les documentaires, mais elles avaient besoin d’une synergie plus forte, d’une puissance fédératrice. Le patrimoine documentaire est immense – environ 40 000 œuvres – il fallait aussi un projet qui répertorie ces œuvres et permette de les mettre en valeur, pour rendre leur diffusion possible. La Cinémathèque du documentaire s’en changera avec l’appui du formidable site Film-documentaire.fr, autre membre fondateur du GIP, qui développera et complétera avec la Cinémathèque sa base de données. Un autre aspect du film documentaire, c’est de pouvoir créer et alimenter le débat ! La Cinémathèque permettra tout cela, et aussi d’organiser des projections en présence des auteurs. Le documentaire, ce sont des œuvres à voir ensemble, pour en parler ensuite. Toutes les régions sont à égalité dans l’action de la Cinémathèque : nous nous appuyons sur des lieux qui font déjà ce travail à plus ou moins grande échelle. Ils sont plus de trente déjà adhérents. Il s’agira de les aider par exemple pour l’organisation du voyage des auteurs, pour mettre en place une documentation sur les films, pour négocier les droits, pour faire tourner des rétrospectives ou cycles thématiques dans plusieurs régions, etc. La Cinémathèque est aussi un outil de communication : tous ces lieux et ces évènements seront portés et promus par un réseau commun.

« Toutes les régions sont à égalité dans l’action de la Cinémathèque : nous nous appuyons sur des lieux qui font déjà ce travail à plus ou moins grande échelle »

Quel sera le rôle de la BPI ?

Il était important d’avoir un lieu-phare à Paris. Nous voulions un lieu existant, pour que le projet puisse démarrer vite. La BPI du Centre Pompidou était le lieu idéal ! Un lieu évidemment hautement culturel, où il y avait déjà de temps en temps des diffusions de documentaires, un fonds important de films, une équipe formidable et aussi évidemment l’incontournable festival Cinéma du Réel. Désormais, il y aura une diffusion structurée, organisée, avec pas moins de 400 diffusions par an. Ce sera donc un lieu de rendez-vous quotidien autour du documentaire, qui travaillera aussi avec les étudiants, et avec les écoles. La BPI inaugure donc la Cinémathèque avec du 15 janvier au 19 mars une rétrospective du grand documentariste néerlandais Johan van der Keuken, qui sera reprise dans d’autres lieux du réseau, par exemple fin mars à Rennes par Comptoir du doc à la Parcheminerie.

« La BPI inaugure la Cinémathèque, avec du 15 janvier au 19 mars une rétrospective du grand documentariste néerlandais Johan van der Keuken, qui sera reprise dans d’autres lieux du réseau »

Pourquoi ne pas avoir installé la Cinémathèque au Forum des Images, qui porte déjà le festival « Les Étoiles du Documentaire » ?

Le Forum des Images disait ne pas pouvoir diffuser autant de documentaires – 400 diffusions par an c’est beaucoup ! – mais continuera sa programmation de documentaires tous les mardis dans le cadre de 100%Doc, initiée par la Scam et en partenariat avec elle. Nous espérons bien continuer notre travail avec eux. Il y aura comme ça tous les jours des documentaires à voir à Paris, La BPI du centre Pompidou étant fermée le mardi !