« Les journalistes et les réalisateurs de télévision sont-ils vraiment des témoins de leur temps ? »



photographies de Maïte Pouleur – maitepouleur@yahoo.fr

Salué comme une « innovation heureuse » par Le Monde (édition du 28 mars 07), le débat organisé par la Scam au Figra a permis à quatre auteurs (Mylène Sauloy, Hervé Brusini, Jean Michel Carré et Rémi Lainé) d’échanger sur leurs pratiques avec une assemblée de 200 personnes composée de festivaliers et de professionnels. Thème proposé : « Les journalistes et les réalisateurs de télévision sont-ils vraiment des témoins de leur temps ? » Benoît Duquesnes qui animait cette table ronde, a tenu son rôle avec la prestance qu’on lui connaît à l’antenne, prenant part lui aussi au débat. Dans une ambiance conviviale, les uns et les autres ont pu exposer des points de vue parfois contradictoires.

Partant de l’intitulé générique, des questions très pratiques ont été posées, avec des réponses variant selon les interlocuteurs. Si dans leur prime jeunesse, les auteurs réunis autour de la table semblent avoir tous eu pour ambition de “changer le monde”, ils ont dû réviser leurs prétentions à la baisse. Avec un bel ensemble, ils insistent néanmoins sur la nécessité de s’engager, de continuer à se battre pour disposer du temps nécessaire à témoigner de la complexité des êtres et des situations, dans leurs films ou leurs reportages. Mylène Sauloy et Rémi Lainé revendiquent “une approche empathique” des personnes qu’ils filment. Mylène Sauloy explique sa volonté de rechercher l’humanité au milieu de l’horreur, avec l’espoir de transmettre au téléspectateur “l’envie d’agir” pour la cause qu’elle défend. Jean Michel Carré s’inscrit dans une démarche de “contre-pouvoir” face à un pouvoir en place (politique, économique, etc.) qui occupe “un temps de parole énorme”.

Répondant aux critiques sur le contenu des journaux télévisés, Hervé Brusini insiste sur l’importance de l’information, regrettant que les journalistes soient de moins en moins dépêchés sur les lieux de l’actualité. Si les images ne suffisent pas à faire l’information, elles peuvent parfois changer le cours des événements, rappelle-t-il, regrettant le manque de liberté accordée aux journalistes en Irak, par exemple. Jean Michel Carré considère que lorsque les journalistes sont bridés dans leur travail, le champ est ouvert aux documentaristes pour des approches différentes et des films menés plus en profondeur. Sceptique, Mylène Sauloy confie son malaise à propos de son film “Tchétchénie, la vidéo qui accuse”, réalisé à partir de bandes montrant des exactions filmées par des soldats russes. Elle espérait des réactions face à l’horreur. Elles n’ont pas été à la hauteur de ses attentes. Sans doute, analyse Benoît Duquesnes, ces scènes-là sont-elles convenues aux yeux du public alors que la diffusion des images d’Abou Graïb ont révélé des pratiques de l’armée américaine a priori insoupçonnées. L’image que l’on n’attend pas serait d’autant plus marquante. Ce qui fait dire à Hervé Brusini que les images qui ont changé le cours des choses ont toujours été des images d’actualité. Il fait part des réflexions menées à France Télévision pour respecter une charte éthique de l’information. Il rappelle les coutumes des premiers JT qui intégraient dans les sujets une partie des procédés de fabrication (journaliste dans le cadre, équipe de tournage à l’image, utilisation des à-côtés voire des ratés) et avaient l’avantage de rappeler au téléspectateur que l’info était fabriquée.

En réponse à l’interpellation d’un festivalier qui regrette que les documentaires diffusés à la télévision, donnent l’impression d’un point de vue péremptoire, Rémi Lainé rappelle qu’un documentaire est censé avoir été précédé d’une écriture et d’un long repérage. Il est donc légitime que le réalisateur affirme son point de vue, étayé par le travail de préparation. Jean Michel Carré attend toujours que ses convictions de départ soient bousculées. Il cite le cas de son tournage avec les femmes détenues. Il considérait en entreprenant ce travail que la violence due à la privation de liberté n’avait pas d’égal. Pour découvrir au final que la prison préservait certaines de ses interlocutrices d’une déchéance totale.

Un autre festivalier demande comment l’on vit du documentaire. Rémi Lainé explique qu’avec deux films par an co-produit par des chaînes généralistes hertziennes, il dispose de revenus comparables à ses confrères journalistes d’actualité. Il précise qu’il est de plus en plus difficile de faire aboutir des projets qui nécessitent un temps de travail conséquent et regrette le manque de réactivité des chaînes. Mylène Sauloy rappelle que seul le statut d’intermittent lui permet de poursuivre son travail.