Maintes fois reporté, le projet de loi sur l’audiovisuel arrive enfin sur les bancs de l’Assemblée nationale avant de passer sur ceux du Sénat. Ce projet vise notamment à transposer dans le droit français les dernières directives européennes, notamment celle sur le droit d’auteur qui a suscité beaucoup de débats l’an passé. Ce projet de loi entend aussi repenser l’audiovisuel public, sujet auquel les autrices et auteurs de la Scam sont particulièrement attachés. La Scam tente de faire entendre sa voix sur cinq points.

1. Des droits pour tous les vidéastes

Les vidéastes du net, à la fois créateurs et utilisateurs, nourrissent régulièrement leurs vidéos d’extraits d’œuvres (musicales, audiovisuelles, graphiques, etc.). Ils et elles passent souvent contrat avec YouTube pour autoriser l’insertion de publicités dans leurs vidéos et en partager les recettes avec la plateforme (c’est le fameux concept de la « monétisation »).
Beaucoup se plaignent de fausses revendications entrainant des démonétisations abusives (c’est le concept des « claims »). Ainsi, des imposteurs se font passer auprès de YouTube pour les ayants droit desdits extraits, afin de percevoir la totalité des recettes qui devraient revenir au vidéaste.
Si, en théorie, les vidéastes disposent d’une possibilité de contester la mesure auprès de YouTube, dans les faits le système repose entièrement sur les affirmations du supposé ayant droit.
Le projet de loi ouvre un mécanisme de recours auprès des plateformes pour contester les retraits ou blocages abusifs, avec possibilité de faire appel devant la nouvelle autorité de régulation (Arcom), mais il reste muet sur la démonétisation.

La Scam propose
donc que le nouveau dispositif ne soit pas limité aux cas de retrait et de blocage mais s’étende aux cas liés à la démonétisation. Le ou la vidéaste pourrait ainsi bénéficier des mêmes outils de recours quand la totalité des revenus qu’il tire de l’exploitation d’une vidéo se trouvent affectés par la revendication d’un tiers qui se présente comme titulaire d’un droit de propriété sur un extrait.
À terme, il serait utile de mener une réflexion sur la mise en œuvre d’un système où la démonétisation subie par le ou la vidéaste serait applicable au prorata de l’extrait utilisé.


2. Renforcer la protection des auteurs et des autrices

Aujourd’hui, les auteurs et les autrices peuvent, en théorie, revendiquer auprès des sociétés de production une rémunération proportionnelle au succès de leur œuvre. Tout fondateur qu’il soit, ce principe demeure cependant assez faible au regard des nombreuses exceptions admises.
La multiplication des productions audiovisuelles commandées par des acteurs anglo-saxons détenteurs de tous les droits possibles sur des œuvres dont ils assurent également la diffusion, qui plus est en visionnage illimité, est entrain de creuser considérablement une fissure de notre Code de la propriété intellectuelle.
Le droit français en vigueur ne permet donc plus aux créateurs de faire valoir leurs droits élémentaires dans le nouveau marché audiovisuel de plus en plus dominé par des acteurs internationaux.
Le projet de loi entend faire respecter le droit d’auteur « à la française » en ne rendant exigibles au soutien public et à la comptabilisation au titre des quotas de production d’œuvres européennes que les clauses respectant le droit moral de l’auteur sur l’œuvre, preuve contractuelle à l’appui. Ceci est une réelle avancée.
Le projet de loi, plutôt que de transposer la directive sur le droit d’auteur, préfère maintenir le droit existant en prétendant que le principe français serait déjà suffisamment protecteur et ne mériterait pas d’être amendé.
Afin de permettre au principe de rémunération proportionnelle d’assurer son plein effet, la Scam propose de le faire évoluer : un « minimum garanti auteur » doit être mis en place sur le prix de chaque souscription à une plateforme de vidéo à la demande par abonnement, y compris pour les services en bundle où l’offre vidéo n’est qu’un service parmi d’autres.


3. Renforcer la protection des œuvres

Pour faire l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur, une « œuvre de l’esprit » doit présenter plusieurs caractéristiques, dont celui de l’originalité, un critère sans définition légale. Une jurisprudence en accordéon qui admettait jadis l’originalité d’un panier à salade ou d’un itinéraire de randonnée pédestre, la refuse désormais pour des photographies d’excellente facture. Les juges ont surtout opéré un revirement majeur. Ainsi, un artiste victime d’une contrefaçon doit désormais fournir les éléments nécessaires à l’établissement de la preuve, avant qu’il ne soit demandé de comptes au contrefacteur.
Force est donc de constater que l’absence d’assise légale est très dommageable pour les auteurs et les autrices, à l’heure où les usages numériques démultiplient l’accès aux contenus culturels.
À ce stade, le projet de loi n’aborde pas cette question. Dans l’esprit des réflexions actuellement à l’œuvre au CSPLA, la Scam plaide pour l’adoption dans la loi d’un principe de présomption d’originalité des œuvres, par amendement du Code de la propriété intellectuelle. Cette disposition permettra de restaurer la sécurité juridique dont les créateurs et créatrices ont besoin.


4. La création au cœur de France médias

France Télévisions étant le pilier de la diffusion de programmes documentaires en France, le service public est vital tant pour les auteurs et autrices du réel que pour les publics dans leur diversité.
Le service public audiovisuel évolue sous la pression d’une offre foisonnante et des nouveaux modèles d’accès aux œuvres. Alors qu’à la BBC, modèle souvent regardé comme un parangon par les décideurs publics, la prise de risque créatif est érigée en exigence légale, y compris quand le succès de l’œuvre peut par ce biais être compromis, le législateur français exige davantage la qualité plutôt que l’innovation, et préfère le talent au génie.
Les missions des sociétés filiales de la future France médias se réfèrent plusieurs fois à la qualité de la programmation en exigeant que ces sociétés « portent une haute ambition culturelle » ou « participent au développement de la création audiovisuelle et cinématographique dans toutes ses dimensions ». Mais le projet de loi ne comporte aucune mention aux concepts de « prise de risque créatif » et d’« audace » dans la programmation.
Si un audiovisuel public fort, indépendant et adapté aux usages numériques est la volonté de cette réforme, les auteurs et autrices de la Scam rappellent l’importance du financement que seule une redevance acquittée par les contribuables est capable d’assurer.
Pour continuer de croire en l’avenir du service public, la Scam propose que la « prise de risque créatif », l’« audace », voire la « distinction » par rapport au reste du paysage audiovisuel soient intégrées dans la liste des missions des sociétés de l’audiovisuel public.


5. France 3 : inverser la logique de décrochage national/régional

Un audiovisuel public fort doit assurer la meilleure exposition à toutes les créations, depuis tous les territoires. Les téléspectateurs français se sont accoutumés à un service hybride, France 3, antenne nationale qui ménage des fenêtres dédiées à la diffusion de programmes locaux.
Si les programmes d’information semblent trouver toute leur place sur ce service, les créations documentaires régionales restent sous-exposées : montrés une fois à l’occasion d’une case horaire hebdomadaire dédiée et tardive, ces documentaires sont ensuite bien souvent introuvables sur l’offre de rattrapage de France 3.
Dans le projet de loi, le mot « région/régional » apparaît à de nombreuses reprises dans les dispositions consacrées aux obligations de France Télévisions, ce qu’il faut saluer. Mails il est bien spécifié qu’ils sont avant tout cantonnés aux décrochages régionaux et qu’au mieux ils « peuvent être repris au niveau national ».
Afin de donner toute leur force aux programmes conçus par les antennes régionales de France 3, la Scam reprend une proposition formulée par Bruno Studer : inverser progressivement la logique de décrochage régional de la chaîne ; autrement dit, faire naître à terme un service régional à décrochage national.
En outre, afin d’assurer à la création issue des territoires la meilleure exposition possible, le groupe doit être obligé de proposer la reprise en rattrapage de tous les programmes sur lesquels il dispose des droits pertinents.