L’avis de la Scam sur la note de synthèse du rapport de MM Gaudrat et Massé relatif au droit d’auteur et l’internet.

Communiqué du 11 octobre 2000

Il doit être précisé, au préalable, qu’il est fort regrettable que les personnes sollicitées pour rendre un avis sur le rapport de MM. Gaudrat et Massé n’aient eu accès qu’à une note de synthèse qui fait notamment l’impasse sur l’analyse juridique de leurs auteurs. Cette partie est pourtant la source des propositions qui sont faites dans le document qui nous a été communiqué et contient certainement des partis-pris juridiques sur la propriété littéraire et artistique. Nous savons tous qu’il n’existe pas de théorie générale du droit d’auteur unanimement reconnue, la nature même de ce droit est sujet à polémiques et c’est pourquoi la vision des auteurs du rapport constitue sans aucun doute un élément important du débat dont nous prive cette note de synthèse. Nous sollicitons donc officiellement la communication du rapport intégral de MM. Gaudrat et Massé rendu public par le ministère de la culture. Nous tenons par-là même à souligner que le présent avis est rendu non pas sur le rapport en lui-même mais sur la synthèse qui en a été faite. Nous n’excluons pas le cas échéant de le reconsidérer à la lecture du rapport.

Sauf à être scrupuleusement exhaustif, nous n’avons pas estimé nécessaire de commenter tous les aspects du rapport tels qu’ils ressortent de la note. Seuls les points qui nous paraissent importants ou en rapport avec notre activité font l’objet de remarques. Pour le reste, soit que les solutions nous donnent toute satisfaction, soit qu’elles ne suscitent pas d’observations particulières, elles ne sont pas relevées par la présente.

Les positions évoquées, relatives au redécoupage de la propriété intellectuelle, nous semblent les bienvenues.

Elles ont le mérite de clarifier la matière, elles ont aussi le mérite d’accorder les diverses protections avec leurs finalités réelles. Ainsi, la constitution d’un nouveau pan de la propriété intellectuelle attaché à la protection notamment des logiciels et bases de données est-il salvateur pour le droit d’auteur qui avait perdu de sa cohérence depuis leur inclusion. Nous nous félicitons de voir le droit d’auteur évoluer vers une réaffirmation de son aspect personnaliste et, dans cet objectif, débarrassé de régimes qui lui portaient atteinte. Par-dessus tout, participant à ce mouvement, la proposition audacieuse de suppression de la catégorie des ½uvres collectives est, bien entendu, l’une des plus attendues. Elle n’a jamais cessé d’être dénoncée par la doctrine et la Scam n’a pas caché lors de sa dernière consultation, son hostilité envers cette qualification que l’on prétendait encore étendre dans un précédent rapport.Dans ce processus de clarification, la naissance du « droit sur le format numérique d’un fichier », si elle permet d’isoler nettement les créations gravitant autour du droit de la concurrence déloyale tels que les logiciels et bases de données et de les distinguer du droit d’auteur, intègre néanmoins, pour des raisons obscures, « les ½uvres numérisées ». Etant donné le contexte dans lequel est amené ce droit sur les « ½uvres numérisées » – celui de la protection de l’investissement –, nous nous demandons s’il s’agit là d’un droit voisin à l’instar notamment du droit voisin des producteurs de vidéogramme. Dans ce cas, nous ne comprenons pas qu’il ne soit pas inclus dans la partie qui regroupe « les droits exclusifs sur les objets d’investissements ».

Dans le cas contraire, l’intégration de créations originales du seul fait qu’elles sont numérisées, dans cette catégorie qui, au regard du régime juridique qui se dessine, n’a rien à envier à celui de l’½uvre collective, va dans le sens contraire des finalités de clarification et de recadrage du droit d’auteur autour de la personne du créateur que préconise le rapport. La note de synthèse fait valoir qu’il serait nécessaire de modifier l’article L.111-3 du code de la propriété intellectuelle afin de repréciser la distinction entre l’½uvre et son support, ce dernier pouvant s’avérer immatériel, tels les supports « interactifs ». Si l’on veut bien considérer que l’on peut tout aussi bien parler ici de « support numérique » (réseau, cédéroms, dvd, …), nous ne voyons pas pourquoi celui-ci, alors que son régime est, au regard de l’art. L.111-3, indépendant de la propriété littéraire et artistique, commanderait celui de l’½uvre. Ce « droit sur le format numérique d’un fichier » n’a en fait pas vocation à accueillir les ½uvres de l’esprit quel que soit le support sous la forme duquel elles sont divulguées, sauf à considérer que la suppression de l’½uvre collective n’est qu’un v½u pieux. Que l’½uvre soit numérisée ou bien publiée, projetée, exposée, ne bouleverse évidemment pas la détermination de l’originalité parce que sa finalité est esthétique. Il en est tout autrement lorsqu’on évoque les logiciels et les bases de données dont la finalité est fonctionnelle.

Nous demandons donc un éclaircissement sur ce point particulier de façon à lever toute ambiguïté sur un régime spécifique de l’½uvre de l’esprit numérisée.

Nous sommes également partisans de la solution adoptée par le rapport concernant les créations élaborées dans le cadre d’un service public par l’auteur fonctionnaire ou agent public.

Il va de soi que le progrès est sensible au regard de la précédente solution du rapport du Conseil d’Etat qui était de transposer les dispositions de la propriété industrielle en la matière à la propriété littéraire et artistique. L’auteur demeure titulaire initial des droits d’auteur mais ne peut les revendiquer vis à vis du service public qui l’emploie lorsque l’½uvre est exploitée dans le cadre de la mission qui lui est conférée. Cette réforme et la solution qu’elle emporte, a l’avantage de se substituer à l’avis juridiquement désastreux rendu par le Conseil d’Etat sur la question le 21 novembre 1972.

Il n’empêche que derrière cette inopposabilité du droit d’auteur et la persistance d’un droit à rémunération, il y a là tous les éléments de l’instauration d’une licence légale au profit de l’Etat. Nous ne contestons pas l’opportunité ni le fondement de cette licence, pourvu qu’elle n’ait pas un caractère exclusif. Aussi bien, la note n’exclut-elle pas que l’auteur puisse exercer son droit concurremment au service public. Dans le cas contraire, à moins de remettre en cause la nature même du droit d’auteur, il s’agit d’une expropriation donnant droit à une indemnisation préalable et dès lors, nous estimons qu’une telle proposition doit être rejetée.

Nous demeurons en tout état de cause très dubitatifs sur la réalité du versement d’une quelconque rémunération au créateur fonctionnaire ou agent. Peu de collectivités locales et de services publics sont au fait du régime du droit d’auteur, il n’est cependant pas rare qu’ils s’emploient à la production d’un film institutionnel ou un film documentaire. Cette réforme devra sans nul doute s’accompagner de modalités pratiques pouvant garantir l’exercice de ce droit à rémunération. Il va de soi que nous serons extrêmement attentifs à leur mise en place.

Concernant la question des auteurs salariés et le correctif apporté à l’article L.131-1, nous sommes extrêmement réservés.

Il est d’ores et déjà nécessaire d’établir une distinction entre les auteurs employés pour une durée déterminée et ceux employés pour une durée indéterminée. La note de sy
nthèse ne fait pas une séparation assez claire selon nous, entre les deux situations. Il est évident que l’exception au principe édicté par l’article L.131-1 du code de la propriété intellectuelle ne saurait se justifier que par une permanence dans la relation entre l’auteur et l’exploitant et voulue comme telle par les deux parties. Cette permanence ne peut se déduire que de l’existence d’un contrat à durée indéterminée ou alors cette modification remet en cause le principe de la prohibition de cession globale des ½uvres futures que le document soumis maintient pour la raison qu’il « recèle une part importante du statut protecteur du créateur ».

Quant au mécanisme décrit par la proposition de modification de l’article L. 131-1 du code de la propriété intellectuelle, outre qu’il nous semble douteux qu’un droit de propriété puisse faire l’objet d’une cession par le biais d’une convention collective, il représente une menace pour la gestion collective et un danger pour l’existence du droit patrimonial de l’ensemble des auteurs salariés permanents ou sinon pour leur situation sociale. Quoi qu’il en soit, nous nous opposons formellement à son adoption.

Les sociétés d’auteurs reposent sur des apports en droits de la part de leurs adhérents ; or le système de cession globale dérogatoire suggéré par le document qui nous est soumis empêche dans ce cas tout apport à notre société. De ce fait, un tel régime fragilise considérablement notre position vis-à-vis de nos partenaires tant audiovisuels que radiophoniques ou multimédia et multiplie les interlocuteurs en termes de gestion des rémunérations. Il est évident que la force représentative des auteurs s’en trouve affaiblie et éclatée et que leur situation va s’en ressentir. En outre, il sape le fondement même de la gestion collective qui veut que la rémunération soit égale pour tous les auteurs quelle que soit par ailleurs leur réputation. Ce principe mutualiste sur lequel repose la gestion collective qui ne fait dépendre la rémunération que du critère objectif de la diffusion de l’½uvre, est bouleversé par cette proposition. En laissant chacun tirer son épingle du jeu, elle privilégie gravement l’auteur réputé ou qui saura se créer des relations et fragilise l’auteur débutant ou inconnu.

Il est illusoire, notamment dans le secteur audiovisuel, de se rassurer par un mécanisme élaboré qui laisse à penser que la négociation des cessions de droits d’auteur saura trouver un équilibre alors que le rapport de force n’est manifestement pas en faveur des auteurs. Personne n’ignore qu’actuellement, les syndicats sont éparpillés et pas très représentatifs, que le secteur audiovisuel – mais que l’on songe seulement au secteur multimédia – entretient volontairement une précarisation des auteurs de façon à taire les revendications sociales. Quel poids pourront avoir les syndicats dans la négociation des rémunérations des auteurs permanents alors que la syndicalisation est extrêmement faible dans la multitude de sociétés de production audiovisuelle satellites des diffuseurs ?

En cas d’adoption du système proposé par le rapport, nous ne nous faisons pas d’illusion quant à la disparition, à plus ou moins brève échéance, de la propriété artistique des auteurs salariés permanents en particulier dans les sociétés de production multimédia ou chez les éditeurs de presse, déjà peu familiarisés avec la matière. Sans même évoquer la mensualisation des versements des redevances, parfaitement contraire à l’esprit du droit d’auteur, le rapport lui-même envisage déjà des « cessions à titre gratuit » en contrepartie d’un « salaire maximum ». Il est au demeurant assez paradoxal que ce même rapport fustige la présomption de cession de droits d’auteur dans la législation allemande au motif qu’elle « ne prévoit aucune autre rémunération que le salaire » et lui reproche de n’être qu’une « cession implicite », pour aboutir strictement au même résultat.

Enfin, quand bien même cette propriété persisterait ce qui serait le cas dans les sociétés privées de production audiovisuelle, nous nous demandons dans quelle mesure la coexistence de la gestion des salaires et celle des redevances – mensualisées – ne va pas aggraver le statut social de l’auteur salarié permanent. Nous nous effrayons de ce que la note de synthèse parle d’ « équilibre naturel » entre l’une et l’autre rémunération, sachant que la couverture sociale attachée à la redevance n’est pas adaptée à un tel contexte et qu’elle est largement inférieure à celle du salaire. L’employeur sera forcément tenté de réduire au minimum le salaire et de compenser cette baisse par les redevances pour payer moins de charges patronales.

L’économie du droit d’auteur, à moins d’en perdre l’esprit en forçant les principes s’accommode mal avec la logique du droit du travail qu’on voudrait lui imposer au travers de ces propositions. Tenter de les faire cohabiter en alignant la propriété littéraire et artistique sur ce dernier (gestion des droits et rémunérations par voie de convention collective, mensualisation), comme le fait cette note de synthèse, c’est les mettre inévitablement en balance et provoquer leur affrontement. A cet instant, suivant le cadre et les usages du secteur concerné, soit l’auteur s’effacera au profit du salarié et nous n’aurons rien à envier au régime du copyright, soit le salarié permanent se trouvera handicapé du fait de sa qualité d’auteur et davantage précarisé.

Il semble pourtant que la gestion collective offre une garantie de sécurité juridique tant pour les auteurs eux-mêmes pour lesquels l’apport en droits constitue une force dans la négociation des redevances, que pour les exploitants, à tous les niveaux, dont les demandes croissantes de contenu culturel amènent à rechercher, parfois sans succès, les titulaires des droits d’auteur. Le document qui nous est soumis n’a d’ailleurs pas tort de soulever le problème de « l’identification des bénéficiaires de la rémunération ». En vain proposera-t-on la création d’«un fichier central des auteurs » et une inscription forcée sans y voir une mesure particulièrement ambiguë au regard des libertés publiques alors que l’adhésion aux sociétés d’auteur est libre et, en pratique, ne pose pas de difficultés. Par ailleurs, il convient d’ajouter au nomadisme de l’auteur la pérennité très relative des sociétés de production ou d’édition qui pose un problème crucial pour la recherche des titulaires des droits d’auteur et qui intéresse d’autant plus la diffusion du patrimoine culturel français.

Cette proposition dans son entier représente une menace pour les intérêts des auteurs que nous défendons et nous demandons son rejet.

Il nous faut revenir en dernier lieu sur l’ensemble des propositions relatives au droit moral dont l’abus ou le détournement est toujours craint.

Certains des tempéraments apportés au droit moral ne posent pas de difficulté. Le document souligne à juste titre le rapport étroit existant entre l’originalité de l’½uvre et l’exercice du droit moral. Dans la mesure où cet équilibre est respecté, nous ne contestons pas les propositions inspirées par l’intérêt public et atténuant son exercice dans le cadre du fonc
tionnement du service public.

En revanche, la focalisation de la note de synthèse sur le droit de divulgation nous paraît surfaite car il s’agit là d’un droit, somme toute, peu revendiqué. De plus, c’est un droit aux contours mal définis dont la doctri
ne ne s’accorde pas à le distinguer nettement de l’exercice du droit patrimonial et à déterminer le moment où le droit de retrait s’y substitue. Selon nous, les propositions accentuent le flou autour de la notion de divulgation. Enfin, elles partent de considérations parfaitement équivoques : « Il (l’auteur) ne met pas le droit moral dans la balance pour avoir une meilleur rémunération … ». Nous nous rangerons derrière l’avis de M. Pollaud-Dullian selon lequel « le droit moral défend les intérêts intellectuels de l’artiste. La pureté de ces intérêts échappe au contrôle du juge, mais, lorsque l’on invoque des intérêts pécuniaires, cet aveu implique que les conditions légales d’exercice du droit moral font défaut et l’auteur ne saurait obtenir gain de cause »[1]. Il nous semble par conséquent inutile d’apporter les tempéraments suggérés au droit de divulgation auquel le juge sait assigner des limites raisonnables.

Nous estimons que les propositions ébauchées tendant à l’affirmation d’un droit à l’agrément de la version définitive pour l’auteur de l’écriture de l’½uvre audiovisuelle, sont fondées. Elles vont d’évidence dans le sens d’un renforcement de la collaboration des auteurs et la justification de l’application du régime de l’½uvre de collaboration. Nous appuyons également l’abandon de la suspension de l’exercice du droit moral jusqu’à l’établissement de la version définitive (article L.121-6 du code de la propriété intellectuelle). En revanche, nous ne comprenons pas la suppression totale de l’article L.121-5 du code de la propriété intellectuelle. Cette disposition a le mérite d’apporter un précieux éclairage sur la question très sensible qui entoure le montage définitif dans le milieu audiovisuel et nous souhaitons son maintien. Pour tenir compte des changements proposés, il suffirait amplement de supprimer l’adverbe « éventuellement » au premier alinéa de cette disposition et faire disparaître son dernier alinéa.

Nous tenons à souligner, en conclusion, que les propositions qui nous sont soumises marquent très certainement une évolution au regard des solutions du rapport adopté par le Conseil d’état le 2 juillet 1998. Elles suscitent cependant notre vigilance. Il est bien évident que nous demeurerons extrêmement attentifs notamment aux propositions intéressant la création salariée et que pour l’heure, les solutions évoquées sur cette question par la note de synthèse sont à rejeter.

[1] « Abus de droit et droit moral », F. Pollaud-Dullian, D. 1993, chron., p. 97.