Un texte signé Anouk Perry, autrice de podcast, Prix Scam 2018 du podcast documentaire pour la lettre Astérisque n°67 – Septembre 2021.

Enfant, il n’y avait à mes yeux rien de plus charmant que les mondes imaginaires qui pullulaient dans ma tête. Le réel ne m’intéressait pas, trop « banal », « sans histoire » pour moi. Mon rêve était de devenir une grande autrice de fiction.

Et puis mon amour du réel m’a rattrapé au tout début des années 2010, quand je me suis prise de passion pour le stand-up, l’art de faire sur scène un monologue ponctué de punchlines humoristiques. J’ai tout naturellement voulu essayer, me trouvant très drôle dans la vraie vie, mais malheureusement pour mon ego, je n’étais vraiment pas marrante devant un public. Cette douloureuse expérience (qui a tout de même duré plus d’un an et demi) a été ma première en termes d’écriture du réel, mais aussi de confrontation avec une audience (très réelle aussi). Toutes les trente secondes, je débitais une blague les yeux dans les yeux avec des inconnus qui parfois riaient, parfois ne riaient pas…

Si j’évoque cette expérience, c’est parce qu’elle a été fondatrice dans mon écriture du réel. Tout d’abord parce qu’il est bon d’apprendre à se planter (pour se rendre compte que ça n’a finalement rien de grave), mais aussi parce que ça m’a ouvert les yeux sur l’étendue infinie des histoires que je pouvais raconter en me basant sur mon entourage et en puisant dans… ma vie.

Par la suite, je suis devenue (par hasard) journaliste et mon amour du réel a continué à croître. J’aimais questionner, écouter, et je me rendais compte que cet amour était partagé par les gens qui me lisaient : plus les histoires racontées étaient intimes et sincères, plus ils semblaient prendre de plaisir à les lire.

Quelques années plus tard, quand j’ai voulu me lancer dans les podcasts, il m’a donc paru très naturel de débuter en racontant mes propres histoires et celles de mes proches. C’était en quelque sorte le choix de la facilité : si je ne me sentais pas légitime pour aborder des inconnus et leur demander de raconter leur vie au micro (que je ne maîtrisais pas encore très bien), mes amis, eux, accepteraient. Cela dégageait plus de temps pour l’écriture, la réalisation, et permettait également de se former.

L’autre avantage était que je connaissais déjà leurs histoires, ou plutôt que j’avais des antennes pour débusquer celles qui me semblaient bonnes à raconter. Comme cette connaissance, Kevin, à l’origine de l’un de mes premiers podcasts. Un jour, il me dit au détour d’une conversation que c’était parfois compliqué de porter son prénom tant il est connoté pour les gens de notre âge. Ç’aurait pu être une anecdote parmi d’autres, c’est devenu le thème de mon épisode La malédiction des Kevin ou j’interroge la manière dont un prénom change le regard des inconnus sur soi. Il y eut aussi cette amie d’amie qui m’avait dit un jour qu’elle voyait encore des monstres, à l’âge adulte. Ça a donné le podcast Des monstres devant les yeux.

Et puis un jour, j’ai croisé par hasard la route d’un organisateur professionnel de gang bangs1. Je lui ai évidemment proposé un entretien mais j’ai aussi décidé d’aller plus loin, de suivre Emma, une participante, lors de son gang bang. Le son me permettait d’accéder en direct à cette sexualité, tout en contournant la censure de l’image. Ainsi est né La délicatesse des gang bangs, podcast primé par la Scam en 2018.

Si j’aime tant entrer dans l’intimité des gens, et si je n’ai pas peur de raconter la mienne (j’ai fait une série entière nommée Qui m’a filé la chlamydia ?, où le titre désigne explicitement ce dont il est question), ce n’est pas par impudeur. C’est parce que je trouve que dans nos petites histoires du quotidien se dessinent des récits qui façonnent la société.
En tant que lectrice ou spectatrice, la fiction me plaît toujours autant, mais comme autrice, j’ai fait de la réalité ma spécialité. Je sais trouver les histoires qui fonctionnent, faire parler les timides et révéler les petits et grands secrets des personnes qui témoignent. C’est mon arme pour mieux appréhender le monde… Et peut-être aussi pour me sentir moins seule.

1Gang bang : Pratique sexuelle où une femme a des rapports avec plusieurs hommes en même temps.


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