Quand américains et européens partagent les mêmes craintes et les mêmes espoirs… Au lendemain du Sommet mondial des créateurs qui s’est tenu les 4 et 5 juin à Washington, le directeur général de la Scam revient sur les principaux échanges pour Le Huffington Post.



La Confédération internationale des sociétés d’auteurs, la Cisac, organise tous les deux ans, en alternance Bruxelles et Washington, un grand rassemblement des professionnels concernés par la gestion des droits.
Deux jours pour s’informer, échanger, débattre et, si possible, faire avancer les sujets brûlants : piraterie des contenus sur le net, accès facile et économiquement raisonnable aux répertoires du monde entier, diversité culturelle, etc.

Cette année, c’est surtout du côté des pouvoirs publics américains qu’est venu l’intérêt d’assister à cette grande messe.
En effet, le Congrès américain a planifié une révision profonde de la législation sur le droit d’auteur, la plus importante depuis 1962, a déclaré la représentante du Copyright Office. Nul doute que l’Europe va devoir suivre de près cette réforme car ce qui se passe aux États-Unis a toujours une incidence sur l’activité des grands acteurs américains de la culture, des médias et de l’internet opérant en France et dans les États membres de l’Union Européenne. On observera aussi que cette initiative intervient au moment où de son côté l’Union européenne, à l’initiative du commissaire Barnier, a lancé une consultation très large à l’horizon de 2014 pour mesurer la nécessité ou pas de revoir le cadre juridique des droits d’auteur et des droits voisins. Autant dire que nous rentrons dans une phase d’incertitudes.

Dans ce contexte, qui inquiète le secteur et notamment les guildes nord-américaines de créateurs, l’administration Obama accorde, reprenant ainsi la suite de Bill Clinton, à la question culturelle et à celle des droits une importance certaine. Ceci dans la tradition démocrate, toujours à la recherche du soutien des créateurs et des producteurs de la côte ouest.

Ainsi, en ouverture du sommet, la représentante du Président des États-Unis pour la propriété intellectuelle, Victoria Espinel, a tenu les propos qu’on entend à Paris dans la bouche de nos ministres de la Culture : fermeté contre la piraterie, soutien à des systèmes de réponse graduée (issus aux États-Unis d’accord entre majors et fournisseurs d’accès), fluidité dans la gestion des droits avec un soutien aux créateurs. Ceci étant confirmé tout au long des interventions des représentants de l’exécutif comme du législatif américain.
Pourtant la réforme promise est supposée revoir un nombre considérable de sujets : durée des droits, œuvres orphelines, système du DMCA, qui a été la première loi contre la contrefaçon en ligne, périmètres des droits exclusifs dont sont investis les ayants droit, etc.

Le Président de la commission juridique du congrès, M. Goodlatte, lui-même fervent défenseur du droit d’auteur estime qu’une révision est indispensable pour plusieurs raisons. D’abord, la jurisprudence qui influe de plus en plus sur l’évolution du droit, ensuite, les innovations technologiques et enfin, les professionnels eux-mêmes qui demandent des changements notamment sur la question des droits musicaux à la radio. Cette volonté réformatrice du Congrès intervient, ne l’oublions pas, dans un contexte tendu : l’échec spectaculaire de la procédure d’adoption d’une législation contre la contrefaçon en ligne, le Sopa (Stop online piracy act) et les campagnes des opérateurs du net contre le droit d’auteur. Rien n’est acquis. D’autant que l’autre membre de la chambre des représentants impliqué dans l’élaboration du projet, Anna G. Eshoo, qui a rivalisé de sourires éclatants et d’amabilités envers l’assistance, est élue de la circonscription californienne de la Silicon Valley. Difficile d’imaginer qu’elle n’est pas sensible aux intérêts des sociétés du net et que ces dernières ne vont pas mobiliser leur immense puissance de lobbying au Congrès.

En attendant, de leur côté, les créateurs présents ont évidemment plaidé la cause de la gestion collective ou, à tout le moins, la cause de la protection effective des droits et la possibilité d’être rémunérés. Partout, la question centrale, Pierre Lescure en France l’a souligné, est celle de l’efficacité de la documentation nécessaire à la perception et la répartition des droits ainsi que l’échange de ces données entre sociétés. D’où un travail extrêmement complexe de constitution de bases de données des répertoires disponibles mondialement et de mise au point des formats standardisés correspondants. Ceci est au cœur des travaux de la Cisac qui appelle à un rassemblement international des acteurs concernés pour les métadonnées. Et si les sociétés musicales n’ont pas d’autre choix que de liciter des œuvres qui circulent d’ores et déjà, les sociétés qui gèrent les droits audiovisuels se doivent de préparer l’avenir pour la circulation des films de cinéma et des programmes de télévision. Ce sont là les clefs de leur légitimité et donc de leur insertion dans l’univers numérique. À défaut, le risque est que les œuvres soient gérées à terme, auteur par auteur, œuvre par œuvre, production par production, par des sociétés privées spécialisées dans le reporting des exploitations recensées sur les plateformes du net. Et ce sans aucune protection collective en prenant le risque d’un isolement et d’une fragilisation fatale de la situation des auteurs.

Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, si le cadre juridique est sensiblement différent, les inquiétudes sont donc grosso modo les mêmes. La distance entre les créateurs et un public prompt à se servir sans payer sur le net est identique des deux côtés de l’Atlantique. Comme la Scam le souligne sans cesse, forte de la diversité des auteurs qu’elle réunit (documentaristes, journalistes, photographes, écrivains…) la multiplication des moyens offerts au public d’accéder aux œuvres ne génère pas des revenus en rapport avec cette dissémination sans précédent. Des deux côtés de l’Atlantique, personne ne veut de licence globale et chacun recherche, non sans difficultés et tâtonnements, des scénarios favorables au développement de la création et des offres de services culturels.

À cet égard le discours de Paul Williams, le président de l’Ascap, a résumé les craintes des créateurs d’outre Atlantique et leurs réserves sur la loi à venir. On aura remarqué, moins attendu, Axel Dauchez, le patron de Deezer, service d’écoute de musique en ligne, qui semble, à tout prendre, trouver bien pratique de négocier avec les sociétés de gestion collective et obtenir ainsi, d’un coup d’un seul, les droits des auteurs, des compositeurs et des éditeurs. Du même coup, il critique la remise en cause de cette dernière par les éditeurs musicaux internationaux. On ne le dit en effet jamais assez : une des grandes vertus de la gestion collective tient à l’efficacité de l’autorisation délivrée pour l’ensemble d’un répertoire sans restriction.

On est resté enfin frappés, à une ou deux exceptions près, par l’absence des Apple, Google, Amazon et autres géants du net. Peur de parler ? Refus d’un dialogue pourtant nécessaire ? Ils ont préféré ne pas venir ou en dire le moins possible. Mauvais signe.

Et puis on n’a pratiquement pas dit un mot sur la future négociation commerciale États Unis – Europe et l’exclusion du secteur des médias. Comme quoi pendant ces deux jours au pays d’Obama, on a pu croire que les États-Unis et l’Europe étaient unis sur l’essentiel. C’est aussi le signe qu’il a été beaucoup plus question de musique que de cinéma et d’audiovisuel.

 

Hervé Rony
directeur général de la Scam

> A lire à partir du 10 juin sur le http://www.huffingtonpost.fr/herve-rony