L’édito de Ange Casta, président



Les grandes manœuvres ont commencé. Les modes de diffusion explosent, se fragmentent en une multitude de voies, débouchent sur un espace infini de réseaux. Les images et les sons arrivent sur de multiples supports, écrans, portables, d’autres demain. La numérisation a rendu possible le croisement de l’informatique, des télécommunications et de l’audiovisuel. Ils se bousculent pour atteindre le « client ». Toutes les configurations de la diffusion et de la réception sont bouleversées. Le temps et l’espace n’existent plus. Un clic d’ordinateur fait passer du monde réel au monde virtuel. Le vertige. Les mentalités changent, des comportements nouveaux, imprévisibles – en apparence – naissent. Tout semble devenir possible à l’imaginaire. Les techniques numériques mettent à portée de main d’infinies combinaisons avec les mots, les sons et les images. Chacun peut créer, échanger, diffuser. Il semble qu’un immense espace de liberté s’ouvre…
Les modèles, les structures existantes, l’économie de l’espace médiatique, les stratégies élaborées jusqu’ici deviennent obsolètes.
Alors les questions essentielles resurgissent. Pour créer quoi ? Échanger quoi ? Diffuser quoi ?
Qui va tenter de s’emparer des clés, s’en empare déjà ? Au profit de qui ?
Jusqu’ici, ceux qui par vocation, choix de vie ou objectif de carrière, ont emprunté les chemins de la création et de la communication avaient des interlocuteurs identifiés, identifiables : chaînes et réseaux de télévision, producteurs, éditeurs ; un cadre légal ou réglementaire, des conditions de vie économiques, difficiles et fluctuantes, certes, mais en quelque sorte guidées par l’usage, même si celui-ci a été quelque peu perverti au fil du temps.
Se met en place aujourd’hui une toile, un filet, aux multiples ramifications dont l’objectif essentiel sera la conquête des marchés, en canalisant l’immense flot de tous ceux qui veulent accéder à l’expression, à la communication, au besoin d’exister. Deux voies se profilent déjà : la gratuité financée par le marché au moyen de la publicité, et le ticket payant d’entrée dans le système avec de multiples accommodements. Des budgets importants de publicité sont en train de quitter les grandes chaînes généralistes de télévision pour se reporter sur Internet, de grands groupes de télécommunication élaborent déjà des stratégies de production de contenus, les sites payants de « vidéo à la demande » (VOD) fleurissent…
Le pire serait que la bataille sans pitié qui se déroule déjà et dont l’argent sera le moteur devienne le champ bien délimité que se répartiraient quelques grands groupes de communication planétaires déversant des « contenus » appropriés sur un innombrable « troupeau » normalisé et marchandisé.

Les contenus, justement. Autrement dit, où se situe le devenir des auteurs dans ce maelström qui semble sur le point de tout emporter ? Une chose est certaine, le besoin de créer, de s’exprimer, d’être entendu, reconnu, de partager ses émotions et son savoir demeurera.
Les nouvelles technologies ouvrent donc un champ pratiquement illimité à ce désir, à ce besoin, qui au cours des siècles a fondé les cultures. C’est en cela que le meilleur est possible. À condition d’avoir la volonté, la clairvoyance, la capacité de reconstruire, d’inventer, d’ouvrir de nouvelles voies.
On mesure, en disant cela, la place que pourrait, que devrait occuper la télévision publique entre les aspirations de la société à l’épanouissement culturel et les objectifs d’une économie essentiellement fondée sur les valeurs du marché, de la consommation et de l’argent.

Le sigle de la Scam (Société civile des auteurs multimedia) prend encore plus de signification dans l’évolution qui se dessine. Au cours de l’année qui s’ouvre, la Scam organisera un cycle d’information/formation avec des intervenants qualifiés qui analyseront les données de cette mutation, avec ses conséquences sur les plans technologique, culturel, économique, sociologique et juridique, pour aider les auteurs à trouver leur chemin.

Le monde change
. Regardons-le en face.

Ange Casta, président.