Dans un courrier adressé à la ministre de la Culture Françoise Nyssen, 56 auteurs appellent à un droit à rémunération pour les mises en ligne de leurs œuvres.

Madame la Ministre,

La réforme de la directive 2001/29/CE sur le droit d’auteur va rentrer dans les prochaines semaines dans une phase décisive, autant au Parlement européen qu’au Conseil européen.

Tout au long du parcours et des travaux menés ces dernières années pour préparer cette révision de la directive, les auteurs ont pu compter sur l’engagement résolu de la France à défendre une vision ambitieuse du droit d’auteur à l’ère numérique. Alors qu’un certain nombre d’États et de responsables européens espéraient remettre en cause les fondements du droit d’auteur et de la territorialité des droits, les autorités françaises se sont engagées fortement pour en assurer la pérennité.

Nous nous adressons à vous aujourd’hui car il nous semble indispensable que la France se mobilise désormais avec la même énergie, la même force et la même détermination pour convaincre ses partenaires de l’urgence d’instaurer un droit à rémunération proportionnelle, incessible et inaliénable, pour les auteurs du cinéma et de l’audiovisuel quand leurs oeuvres sont diffusées sur des plateformes en ligne.

Il y a aujourd’hui un paradoxe affligeant en Europe que la défenseure de la diversité culturelle que vous êtes ne devrait pouvoir supporter : les auteurs, qui sont sans doute les plus convaincus de la nécessité de renforcer la diffusion de leurs œuvres, en particulier sur les plateformes de vidéo à la demande, sont en même temps ceux qui sont les moins associés à l’exploitation et au succès de leurs films.

A la différence d’autres sujets portés par la France, parfois de manière isolée au titre de l’exception culturelle, plusieurs autres États membres (l’Estonie, la Pologne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique et les Pays-Bas.) ont déjà mis en place au niveau national des solutions pour assurer aux auteurs une juste rémunération. La France en fait aussi naturellement partie, grâce aux possibilités offertes à nos sociétés de gestion collective d’aller percevoir directement auprès des plateformes les rémunérations qui nous sont dues.

En revanche, dans l’ensemble des autres pays de l’Union, les auteurs européens ne perçoivent aucune rémunération proportionnelle quand leurs œuvres sont exploitées, notamment sur les plateformes en ligne. Ils ne sont pas associés à leur succès.

C’est malheureusement aussi souvent le cas pour les auteurs français quand leurs œuvres sont exploitées sur des plateformes dans ces pays européens qui ne prévoient aucun droit à rémunération ou quand elles doivent transiter par les producteurs et par de nombreux intermédiaires.

Au-delà de l’injustice criante de ces pratiques, le risque est évidemment d’appauvrir et d’assécher la création européenne en privant les créateurs d’un cadre juridique adéquat et de rémunérations utiles.

La révision de la directive sur le droit d’auteur offre l’opportunité unique, assurément la dernière avant longtemps, d’étendre à l’Europe une composante essentielle du modèle français : le droit à rémunération pour les auteurs.

Beaucoup de députés européens ont d’ores et déjà apporté leur soutien à cette initiative qui ne porte nullement atteinte aux prérogatives des producteurs, notamment français. Au-delà de la diversité de leurs horizons politiques très variés et des pays qu’ils représentent, ces parlementaires ont été sensibles à faire du numérique une chance pour la rémunération des créateurs partout en Europe.

Ils ont aussi entendu confier à la gestion collective le soin de collecter directement les rémunérations auprès de ces plateformes numériques pour s’assurer de la plus parfaite transparence et efficacité des remontées de recettes. Ils ont enfin souhaité consacrer l’inaliénabilité de ce droit pour garantir qu’aucun rapport de force ne pourra faire renoncer un auteur à cette rémunération.

C’est le sens du dispositif adopté le 11 juillet dernier en Commission ITRE (amendement ITRE 56) que nous souhaitons voir étendu en Europe, au-delà des seuls pays qui l’ont déjà mis en œuvre.

Nous attendons aujourd’hui du gouvernement français qu’il le soutienne publiquement et qu’il porte avec clarté cette même ambition au sein du Conseil de l’Union européenne. Jusqu’à présent, lors des derniers conseils, la France ne semble pas avoir demandé l’instauration de ce droit à rémunération dans le projet de directive.

Nous le savons tous, la parole de la France est traditionnellement attendue et écoutée par ses partenaires dès lors qu’on évoque le droit d’auteur, cette invention française qui est un outil aujourd’hui encore au service de la création et de la liberté. Au-delà, vous avez l’opportunité de défendre non pas une exception française mais un droit, qui a déjà essaimé dans quelques pays et qui mérite de devenir une réalité européenne.

Aussi, nous comptons sur vous pour que la voix de la France rejoigne celle des créateurs en vue d’aboutir à cette réforme juste et espérée par les auteurs français et européens.
Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, en l’assurance de notre haute considération.

Signataires

Marie Amachoukeli – Jacques Audiard – Luc Battiston – Julie Bertuccelli -Sandrine Bonnaire – Guillaume Brac – Patrick Braoudé – Thomas Cailley – Gilles Cayatte – Christian Carion – Catherine Corsini – Costa-Gavras – Sophie Deschamps – Evelyne Dress – Jacques Fansten – François Farellacci – Frédéric Farrucci – Philippe Faucon – Denis Gheerbrant – Yann Gonzalez – Laurent Heynemann – Caroline Huppert – Thomas Jenkoe – Cédric Klapisch – Hélèna Klotz – Gérard Krawczyk – Agnès Jaoui – Pierre Jolivet – Pierre Lacan – Christine Laurent – Philippe Le Guay – Claude Lelouch – Jean-Xavier de Lestrade – Laurent Lévy – Sébastien Lifshitz – Thomas Lilti – Naël Marandin – Paul Marques Duarte – Radu Mihaileanu – Jonathan Millet – Christine Miller-Wagner – Steve Moreau – Anna Novion – Katell Quillévéré – Rithy Panh – Nicolas Philibert – Christophe Ruggia – Jean-Paul Salomé – Thomas Salvador – Pierre Salvadori – Dominique Sampiero – Julien Selleron – Alain Stern – Bertrand Tavernier – Marie-Pierre Thomas – Laurent Tirard