2015 sera à l’évidence une année cruciale pour l’avenir de la création audiovisuelle, avec la nomination du président de France Télévisions pour les 5 ans à venir et les discussions qui s’ouvriront sur les obligations d’investissement des chaînes dans la création. Ce sont ces enjeux que la SACD et la Scam ont voulu placer au cœur du débat qu’elles ont organisé vendredi 23 janvier à l’occasion du FIPA de Biarritz.


de gauche à droite : Thomas Anargyros, David Assouline, Rémy Pflimlin, Julie Bertuccelli, Pascal Rogard, Sophie Deschamps, Patrick Bloche, Laurent Vallée

Pour ouvrir le débat, Sophie Deschamps, présidente de la SACD, et Julie Bertuccelli, présidente de la Scam, ont rappelé les exigences d’une politique ambitieuse à l’égard de la création :

– un financement du service public lui donnant la possibilité d’investir et de proposer une offre exigeante ;
– une éditorialisation des œuvres qui doit être améliorée pour mieux valoriser les œuvres et leur donner la chance de rencontrer le public ;
– un soutien aux œuvres d’expression originale française ;
– une diversité des œuvres : pour Sophie Deschamps, c’est là la principal problème notamment pour la fiction puisque aujourd’hui le polar représente environ 70% des fictions diffusées sur France 2 ;
– une place accordée aux femmes créatrices qui doit être améliorée ;
– une prise de risque à assumer, notamment pour le service public.

Pour Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, la télévision publique a un atout formidable : elle est la seule à pouvoir réunir les français. Elle le fait de deux manières : par l’information et par la création (« ce n’est pas une obligation de service public mais sa raison d’être »). Aussi, la question n’est pas pour lui d’opposer audience et création mais plutôt de faire des œuvres de création qui réunissent nos concitoyens.

Il considère que le travail qui a été accompli ces dernières années dans la fiction, en misant sur l’innovation, en signant avec les auteurs et les producteurs une charte sur le développement, en accroissant la place des séries, a porté ses fruits. Il voit notamment dans les nouvelles audiences de la fiction, qui a réuni en 2014 plus de téléspectateurs que les 3 années précédentes, le signe d’une confiance refondée avec le public.

La création originale est aussi une priorité dans la stratégie mise en œuvre par Canal +. Pour son secrétaire général, Laurent Vallée, l’enjeu est désormais de consolider cette dynamique et de renforcer les capacités de Canal + pour mieux financer ces œuvres « de classe mondiale ». Pour y parvenir et atteindre une taille critique afin de renforcer les budgets de ces œuvres et amortir leurs coûts, Laurent Vallée estime qu’il faudra revoir la réglementation et envisager des réformes concernant notamment la part indépendante dans les obligations d’investissement des chaînes et la définition même de ce qu’est une entreprise indépendante de production.

Thomas Anargyros, président de l’USPA, ne partage pas cette vision de la nécessité d’une intégration verticale de la production qui verrait les chaînes renforcer leurs capacités de production. Non seulement, la création indépendante lui semble avoir démontré sa capacité à produire de la création de qualité mais au-delà, les chaînes n’utilisent même pas aujourd’hui toutes les possibilités de production interne qui lui sont offertes par la réglementation. Selon lui, les chaînes veulent une intégration verticale poussée pour capter la valeur et laisser le risque aux indépendants. En revanche, il considère qu’une révolution éditoriale est indispensable et devra accompagner une augmentation des volumes, une différenciation des horaires de programmation, une diversité des formats, une meilleure éditorialisation pour ne plus diffuser par exemple 3 épisodes d’une même série à la suite.

Dans les relations avec les diffuseurs, il plaide enfin pour une transparence totale des coûts comme des exploitations.

La question de l’avenir de la réglementation concernant les obligations des diffuseurs et les relations entre producteurs et diffuseurs et du futur de France Télévisions a interpelé les parlementaires présents à la tribune.

Pour Patrick Bloche, président de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, le contexte que connaît la France depuis le 7 janvier l’oblige à réfléchir à la fonction et au rôle que doit jouer la télévision dans son ensemble. Le fameux triptyque de la télévision « Informer, éduquer, divertir » ne peut pas être l’apanage unique du service public. La responsabilité doit être collective.

Dans son intervention, il a également insisté sur la nécessité de protéger, dans la réglementation, les œuvres en langue française : « Ce n’est jamais une contrainte mais bien une chance et une opportunité. » Il a aussi fait part de sa réticence à réintroduire de la publicité sur les antennes de France Télévisions après 20h afin de ne pas déstabiliser les acteurs de la télévision privée et un marché publicitaire dont les recettes ne croitront pas dans un avenir proche. Ce faisant, il plaide pour un financement de l’audiovisuel recentré autour de la redevance audiovisuelle, rebaptisée contribution à l’audiovisuel public, et qui soit totalement indépendant du budget de l’État.

Un point de vue également partagé par Rémy Pflimlin qui constate que la révision des budgets tous les 6 mois créé une situation d’instabilité pour le groupe public, empêche de développer une vision à moyen et long terme et fragilise les projets de création, dont la réalisation s’étale sur plusieurs années et sur lesquels France Télévisions souhaite investir.

Pascal Rogard, directeur général de la SACD et animateur du débat, a rappelé à cette occasion que le ministère des Finances conservait malheureusement pour le budget général de l’Etat la taxe prélevée sur les fournisseurs d’accès à Internet, pourtant instituée pour compenser les pertes de recettes publicitaires de France Télévisions suite à la réforme de 2009. Au-delà, il a estimé que cette réforme n’a pas vraiment bouleversé la programmation des chaînes publiques.

David Assouline a voulu partager avec le public un problème et une proposition. Un problème : l’audimat moyen de France télévisions s’établit à environ 60 ans alors que la mission du service public est de s’adresser à tous les publics. Cela rend aussi plus difficile de défendre un renforcement des moyens du service public. Une proposition : l’audiovisuel public doit être à la pointe en matière de pluralisme de la création et doit engager une offensive pour être l’élément structurant du paysage audiovisuel. Pour que France Télévisions « donne le la » et qu’il ne soit pas en retrait par rapport aux chaînes info, David Assouline soutient l’idée d’une chaîne publique d’information en continu et de documentaires.

Venue clore les débats de la matinée, Fleur Pellerin a développé ses 3 axes prioritaires pour la création audiovisuelle :

Soutenir la création, et en particulier la jeune création
Tout en soulignant son attachement aux obligations d’investissement des diffuseurs, la ministre a annoncé que l’amélioration du dispositif de soutien à l’animation devra s’accompagner d’une meilleure prise en compte de la nécessité de mieux valoriser la création et notamment le travail des auteurs, ainsi que l’écriture en langue française.
Elle a aussi rappelé le rôle majeur que doit jouer France Télévisions dans le financement et la diffusion de la création française, dans toute sa diversité.

Favoriser le rayonnement et l’attractivité de notre pays

Si l’exportation des œuvres françaises doit être renforcée, cela ne doit pas se faire au détriment de l’utilisation de la langue française dont elle a souligné qu’elle était « un aspect essentiel de la diversité culturelle ».
Elle comprend le souci de certains producteurs et de certaines chaînes à pouvoir investir davantage dans les coproductions internationales en langue anglaise et n’est pas opposée à ce qu’on puisse en tenir davantage compte dans les obligations d’investissement. Cependant, elle considère que tout élargissement devra s’accompagner de mesures sur l’emploi et la formation des auteurs de langue française.

Mieux partager le risque
Selon la ministre, notre modèle de réglementation est devenu trop complexe. D’où son souhait de lancer des réflexions pour simplifier les règles, clarifier les modèles de production et structurer le secteur de la production.
Ces chantiers doivent être menés de front avec un autre de ses engagements: parvenir à soumettre les opérateurs étrangers de l’Internet qui peuvent aujourd’hui s’exonérer de toute contribution au financement de la création en s’établissant hors de France. C’est d’autant plus urgent que « les marges de financement de la création artistique se trouvent dans des comptes bancaires dans des paradis fiscaux ».

> Lire le discours prononcé par Fleur Pellerin