La Scam salue la mémoire de Michel Le Bris et publie le texte d »Olivier Weber, président du jury du Prix Joseph Kessel.
C’est un sacré capitaine qui vient de larguer les amarres à jamais. Un homme aux semelles de vent qui aimait la bourrasque et dévorait les livres à fond de cale, qui adorait les tempêtes fussent-elles littéraires comme les grands calmes à contempler les cieux. À la barre d’Étonnants Voyageurs depuis sa création en 1990, Michel Le Bris avait fait de Saint-Malo le point d’ancrage et le phare de la « littérature-monde », ce grand livre ouvert à tous les vents et surtout au cœur des hommes. Coureur d’horizons, découvreur de talents et pas des moindres, passionné par les chercheurs d’or comme par les flibustiers, éditeur enthousiaste pour les écrivains des antipodes, spécialiste de Stevenson, féru de jazz comme du romantisme allemand, ce dévoreur de livres, ogre falstaffien par excellence, ne cessait de plaider pour une cause humble et merveilleuse, « nous sommes plus grands que nous ». Et il est vrai que du singulier rendez-vous sur les quais malouins, nous ressortions grandis.
Sa vie était un roman. Ses vies, plutôt ! En bon corsaire des lettres, Le Bris ne craignait point les inimitiés. Dieu sait s’il a ferraillé pour maintenir le cap, celui de son festival comme de la nécessité impérieuse d’écrire. Le pèlerin du grand dehors n’oubliait pas l’amitié, la chaleur de la palabre, la rhétorique facétieuse et érudite qui pourfendait les idéologies et les grandes certitudes, lui qui n’a cessé de se libérer des ancres et des entraves. À l’escale, il partageait ses découvertes, ses pépites. Jamais il n’a abandonné le jury du Prix Joseph Kessel dont il était membre, posant sur la table ses trouvailles de l’année.
Son magnifique dernier essai, « Pour l’amour des livres », sonnait comme un émouvant testament tout en resplendissant de la lueur qui le guidait, depuis une enfance pauvre à la Jack London dans la baie de Morlaix, celle de l’espérance. Un plaidoyer pour la chose littéraire, celle qui sauve des vies. La littérature voyageuse perd ainsi l’un de ses plus beaux mentors. Le capitaine courageux est parti pour une course au large. Son sillage ne se refermera pas de sitôt.