Il existe en ce bas monde des êtres totalement improbables : Jean-Claude Renard, journaliste à Politis, était l‘un d’entre eux.

A l’image de ses pantalons aux couleurs rayonnantes, de son allure mal fagotée, de sa curieuse silhouette voutée, il possédait un charme jamais organisé, une ironie cinglante, une voix gouailleuse et un talent fou pour l’écriture.

Semaine après semaine, après avoir ausculté en long, en large et en travers écrivains, photographes, hommes de radio et documentaristes, il brossait de merveilleux portraits. Celui que l’on surnommait affectueusement Volpe n’avait pas son pareil pour prendre le pouls intime des uns et des autres, pour apercevoir ce que chacun se refusait à lui montrer. Tous ceux qui ont eu un jour la chance d’avoir « leur portrait » tiré par « mézigue » sont des témoins précieux de sa grande obsession : le style, les formules ciselées, les mots justes. Et il aimait l’argot sans modération : « c’est un cador ! » était l’une de ses expressions préférées.

Avec une foi en nous tous qui restera à jamais son mystère, il regardait les documentaires, lisait les livres, déambulait maladroitement dans les festivals et les expositions. Quand on lisait ses articles, un sentiment nous envahissait, le sentiment réconfortant que les efforts accomplis par les uns et les autres pour dire deux ou trois choses sur les hommes et l’état du monde étaient respectés et compris. Pas de doute possible, tout le travail de ce critique amoureux des oeuvres et de ceux qui les engendraient, était traversé par une solide fraternité. Ceux qui le lisaient avaient compris depuis longtemps qu’il affectionnait les auteurs hantés par l’inquiétude, le chagrin et la volonté de bâtir un monde différent.

Après une thèse de doctorat en lettres, il était devenu critique littéraire et gastronomique, écrivain. Il nous laisse une vingtaine de livres et un inédit,  Autoportrait de mon frère. Il faut absolument lire son deuxième roman, Marcello, incarnation parfaite de son amour pour l’Italie et la peinture. C’est l’histoire d’un gardien de musée hanté par le suicide de son collègue prénommé Marcello : « Prends soin de Carlo Bontempi. Je passe par la fenêtre.» C’est un hommage carabiné à son cher disparu et on y entend les rires aux éclats de l’écorché vif de l’écrivain contre la bêtise humaine.

Il nous laisse aussi Amélie, sa compagne et mère de son fils Luca, 3 ans, que nous avons surnommé « le petit bolide ». Il a le regard de son père, les yeux qui pétillent. Nous veillerons sur ce regard. Pendant 25 ans, il n’aura cessé d’être un indéfectible soutien aux créateurs avec ses généreuses qualités, ses blessures déchirantes et ses nombreux défauts terriblement attachants. Pendant 25 ans, Jean-Claude Renard, éternel étudiant, aura eu le feu au cœur et le sang qui bouillonnait pour nous défendre tous. A présent, repos Volpe et « gros becs »

Joseph Beauregard, son ami.