En trois ans, le podcast est devenu une industrie qui compte en millions. Ce format vit une mutation rapide mais sa démocratisation n’est pas encore achevée. Malgré l’essor, l’audience reste confinée et le modèle économique encore indécis. Un article d’Hervé Marchon, journaliste, pour la lettre Astérisque n°64.

En septembre 2016, la Scam publiait une étude consacrée à la place des auteurs à la radio et faisait le constat que, si les auteurs étaient nombreux, les diffuseurs, eux, se comptaient sur les doigts d’une main. Le paysage de l’audio en France était « bouché ». Cette étude d’une cinquantaine de pages en consacrait deux au podcast, marché balbutiant. Trois ans plus tard, l’horizon s’est élargi. D’artisanal, le podcast est devenu industriel : les studios de production prolifèrent et produisent de nombreuses heures de programmes, les plateformes et agrégateurs ouvrent de nouveaux canaux de diffusion, la profession a son magazine, Le Pod, dont le premier numéro est paru en juillet, et son festival, le Paris podcast festival, dont la deuxième édition s’est tenue à la Gaîté Lyrique en octobre dernier.

Il y a trois ans, l’unité de compte du podcast français était le millier, aujourd’hui, c’est le million. Millions d’euros, millions d’écoutes, millions d’auditeurs. Cette année, Majelan, la plateforme de podcasts lancée par Mathieu Gallet, ex-président de Radio France, a commencé son activité avec une levée de fonds de quatre millions d’euros. D’autres acteurs, Sybel ou Paradiso, levaient sans coup férir respectivement cinq et un millions d’euros. Fin 2018, le studio de production Binge Audio, lancé en 2015 avec 50 000 euros, annonçait l’entrée à son capital du groupe de luxe LVMH. Nouvelles Écoutes, autre studio lancé en 2016, dépassait le million de téléchargements mensuels (1,2 million exactement). Un chiffre que Télérama, dans un article daté de septembre dernier, jugeait pourtant négligeable face aux « plus de trois millions d’écoutes mensuelles » du producteur Choses à Savoir, qu’il qualifiait d’« empire du podcast ». Radio France compte plus d’un million de téléchargements pour Oli, le podcast de France Inter pour les enfants. Ailleurs, les chiffres sont multipliés par cent : les prévisions d’investissement de Spotify, la plateforme de musique en ligne, dans le podcast atteindraient près de 500 millions de dollars en 2019. La société donne accès à sept millions de podcasts. Deezer, Audible (la filiale livres audio d’Amazon) investissent elles aussi sur ce marché. Apple veut lancer des podcasts originaux. Le marché publicitaire du podcast devrait atteindre 660 millions de dollars en 2020 aux États-Unis selon le cabinet eMarketer.

Les plateformes de musique en ligne, Spotify qui a acheté les studios de podcasts Gimlet et Parcast en tête, investissent dans la production de podcasts. La rémunération des auteurs radio, habitués aux chiffres à deux zéros, risque de prendre une autre dimension. Elle a déjà évolué : quand une émission de La Série documentaire sur France Culture rapporte moins de mille euros à son auteur, celui d’un épisode (d’une forme et durée équivalentes) diffusé par une plateforme comme Sybel ou Majelan peut gagner plusieurs milliers d’euros. Des rémunérations inhabituelles dans le monde de l’audio parlé mais qui correspondent au train de vie du podcast, écosystème peuplé de gens issus de la communication et de la télévision où les salaires sont plus élevés. Pour autant, les maisons de production ne flambent pas : toutes assurent réunir un budget avant de lancer la production d’une œuvre. Elles salarient leurs auteurs et réalisateurs, ou les rémunèrent en droits d’auteur ou via leur statut d’intermittent ou d’autoentrepreneur. Aucune n’a encore signé de convention avec la Scam.

Offre pléthorique

Le podcast est le format à la mode. Le mot est une marque de modernité. Arte Radio, qui ne l’avait jamais employé alors qu’elle est la pionnière de ce format, annonce avec malice être « créatrice de podcasts depuis 2002 ». Tout le monde veut produire son podcast : les marques, les médias, les institutions, les ONG, les festivals, les groupes de rock. Même Un si grand soleil, la série de France 2, a lancé son podcast consacré aux coulisses du feuilleton. L’offre est pléthorique, au point que les ironiques expliquent qu’il existe autant de producteurs que d’auditeurs de podcast. Environ 600 000 podcasts sont disponibles à l’écoute en France.
C’est beaucoup, mais c’est moins que le nombre d’auditeurs : selon une étude de Médiamétrie d’avril 2018, quatre millions d’individus écoutaient des podcasts chaque mois en France. Mais si les audiences montent, le public reste trop homogène. Qui écoute des podcasts ?
Des urbains CSP + de moins de 35 ans possédant un iPhone1. La démocratisation du format n’est pas encore achevée.

Le podcast est le média d’une époque, celle de la saturation des images, de l’« infobésité ». Le podcast n’informe pas, il « raconte des histoires ». Il veut « attendrir », « émouvoir », « enthousiasmer », écrit Louie Media sur son site. Dégagé des identités d’émission, de grille, de chaîne, le podcast invente ses formats : il parle à la première personne, traite de sujets de niche ou intimes, s’adresse à des auditeurs qui écoutent au casque et ont choisi le moment de leur écoute. Le producteur d’un podcast n’est pas un animateur d’émission comme à la radio mais un « hôte » ou une « hôtesse ». Tonalités plus directes, plus informelles. Maladroites, déplorent certains.
Féminisme, sexualité, alimentation, culture, sans oublier une fascination pour le grand banditisme, les braqueurs, les serial killers, sont les sujets récurrents du podcast français au point que certains messages sur les réseaux sociaux font état d’un ras-le-bol pour ces thèmes.

L’écosystème du podcast

Dans l’écosystème du podcast, on observe une diversité des acteurs en présence dont les fonctions se croisent et peuvent se superposer :
– Les éditeurs constituent une offre éditorialisée de podcasts à destination du public. Pour cela, ils acquièrent des droits de diffusion ou coproduisent des œuvres. Les éditeurs mettent les podcasts à disposition directement sur leur propre service (site Internet ou application) ou via des services tiers comme ceux proposés par les agrégateurs.

Infographie : César Henry – 2019


– Les producteurs de podcasts sont des studios qui financent la réalisation et la production d’œuvres sonores en faisant appel à des autrices et des auteurs.
– Les agrégateurs sont des plateformes de diffusion de podcasts. Ils recensent et organisent de manière le plus exhaustive possible l’ensemble des podcasts gratuits. Ces derniers sont classés par thématiques et parfois proposés dans des playlists.
– Les hébergeurs sont des acteurs techniques qui permettent aux podcasteurs de stocker les fichiers numériques de leurs créations sonores sur des serveurs afin de les redistribuer sur des plateformes de diffusion.

À l’écoute de ce bouillonnement sur le web, les radios hertziennes ont, à leur tour, ajouté à leur grille des émissions sur la sexualité ou le féminisme. Ou fait appel à des producteurs de podcasts : Lauren Bastide de Nouvelles Écoutes était productrice de l’émission Les Savantes sur France Inter les deux derniers étés ; Antoine Piombino, créateur du réseau de podcasts Fréquence Moderne, est coauteur de la fiction Projet Orloff pour France Culture diffusé en septembre. En retour, le podcast apprend les codes de la radio, le montage, donc l’écriture sonore : en juillet 2019, le site spécialisé Megaphone notait que seuls 13 % des podcasts dépassaient une durée d’une heure contre 52 % en 2015. Fini les discussions sans fin entre copains autour d’un micro.

Un apogée ?

Le marché du podcast se structure, se professionnalise, s’organise. Il y a trois ans, un podcasteur était producteur, hébergeur et diffuseur de ses programmes. Il existe désormais ceux qui produisent, ceux qui diffusent et ceux qui hébergent. Engle, L’Officine, Podcut, Insider, Les Écrans sonores, Bababam (nous ne pouvons pas tous les citer) ont rejoint les déjà historiques Binge Audio, Nouvelles Écoutes et Louie Media. Les plateformes et agrégateurs Sybel, Majelan, Tootak ou Elson sont les nouveaux venus qui valorisent et commercialisent des productions tierces ou propres. Ausha, Acast proposent des solutions d’hébergement, de gestion et de monétisation aux producteurs.
Mais dans ce monde, certains ont déjà disparu : Boxsons et Les Croissants, qui proposaient des abonnements payants, se sont tus ; Challenges, le magazine économique, qui avait lancé tambours battants une offre d’une dizaine de podcasts a renoncé aussi vite. En juillet dernier, le New York Times titrait « Le podcast a-t-il atteint son apogée ? » Le marché commence à douter de la rentabilité de ce média.

En France, l’enthousiasme perdure et les grandes manœuvres continuent. Aujourd’hui, tous les acteurs cherchent à s’imposer. Leur méthode : produire pour se faire entendre, diffuser pour se rémunérer. Alors que les radios utilisaient le podcast comme radio de rattrapage, RTL, Europe 1, Radio France ont lancé des offres de podcasts dits « natifs », c’est-à-dire produits pour une diffusion web, et non hertzienne. Superfail, Les Voix du crime, 3 h 56, À la hussarde, Les Odyssées, Varennes, Pour suite, les radios vont chercher les auditeurs là où ils sont : le nez sur leur smartphone, au volant de leur voiture, en conversation avec leur enceinte connectée. L’écran d’accueil de la nouvelle version de l’appli de Radio France est consacré aux podcasts qu’elle intègre désormais (ils étaient auparavant l’objet d’une appli à part). La presse écrite s’essaie à l’audio : Le Monde, La Croix, Le Figaro, Le Parisien, L’Équipe, Usbek & Rica, Mediapart ont noué des partenariats avec les studios de podcasts qui grossissent et embauchent : en 2018, Nouvelles Écoutes, par exemple, est passé d’un à quinze salariés et a créé sa régie pub. Les plateformes garnissent leur catalogue pour vendre des abonnements. En juin 2019, Majelan présentait une offre de 280 000 podcasts pour un abonnement premium à 4,99 euros. Les producteurs avaient découvert avec agacement que leurs podcasts étaient vendus sur cette appli. Beaucoup, dont Radio France, ont demandé à Mathieu Gallet qu’il retire leurs œuvres de son catalogue. « Le service public n’a pas vocation à servir de produit d’appel pour des acteurs privés », avait tonné dans un entretien au Monde sa présidente Sibyle Veil. Et Laurent Frisch, le directeur du numérique de la maison ronde, expliquait que la radio ne devait pas répéter la faute historique de la presse papier qui a perdu le contrôle de sa distribution numérique au profit de Google, Yahoo, Facebook. Car dans ce contrôle réside l’avenir financier du podcast dont le modèle économique est encore indécis.

Mesure d’audience

Aujourd’hui, les producteurs sont très dépendants des marques dont ils produisent des podcasts qui relèvent du publireportage (on dit « brand content ») : parler aménagement de combles avec Lapeyre ou souvenirs de parfums avec Guerlain brouille les codes. Mais apporte de l’argent frais (70 % du chiffre d’affaires de Binge audio par exemple). On observe en ce moment que les studios de podcasts cherchent de nouvelles sources de financement en organisant des écoutes ou des enregistrements publics et payants ou des événements live, en vendant les droits d’œuvres pour une adaptation au cinéma ou en librairie, ou en éditant des produits dérivés (jeux, mugs, sacs). Demain, le modèle économique sera complété par un marché publicitaire qui pourra s’appuyer sur une mesure d’audience commune, qui aujourd’hui fait cruellement défaut. Son absence permet à chacun de claironner le nombre d’écoutes, téléchargements, pages vues, clics sans aucun contrôle ou vérification. Formats, voix, sujets, écritures, réalisations : avec l’arrivée des annonceurs, le podcast vivra d’autres transformations.

1Selon une enquête d’octobre 2019 d’Havas Paris et l’Institut CSA, « les auditeurs de podcasts natifs sont assez typés d’un point de vue sociodémographique. Plus jeunes que la moyenne des Français (58 % ont moins de 35 ans vs 34 % dans la population), plus urbains (70 % vivent dans des agglomérations de plus de 100 000 habitants vs 49 %), ils sont également plus souvent étudiants (12 % vs 7 %) ou cadres (29 % vs 19 %) que la moyenne des Français »
L’appli Apple podcasts présente sur les iPhone représente 60 % des écoutes totales des émissions audio.

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