Après l’étude transversale « Le documentaire, les régions et leurs aides », publiée en juin 2021, la Scam poursuit, avec la journaliste Emmanuelle Miquet, son tour de France des territoires, circonscrit à l’audiovisuel. Troisième focus avec la région Centre-Val de Loire dont le soutien moyen de l’aide à l’écriture est l’un des plus élevés en France et alors que l’agence Ciclic annonce un accompagnement renforcé des autrices et des auteurs.

Pionnière dans la décentralisation cinématographique et audiovisuelle, la région Centre-Val de Loire mène une politique active autour de la création mais dans laquelle les autrices et les auteurs de documentaire regroupés au sein du Baar, le Bureau des auteurs et réalisateurs du Centre, ne se retrouvaient pas toujours.

Depuis 2020, les choses ont évolué. « La notion d’auteur a été beaucoup mieux prise en compte », constate le collectif qui l’attribue en particulier à la mise en lumière de leur grande précarité lors de la crise sanitaire.

La région Centre-Val-de-Loire et le documentaire audiovisuel

Avec un montant de 478 300 euros, qui intègre le contrat d’objectifs et de moyens (COM), le documentaire audiovisuel a capté, en 2021, 20 % de l’enveloppe globale du fonds d’aide à la création de la région Centre-Val de Loire, et 36 % du nombre de projets. À l’instar des autres collectivités, la répartition par étapes de soutien fait la part belle à la production, avec 63 % des aides attribuées au genre. Celles allouées à l’écriture atteignent 23 % (10 aides dont une directe), au-dessus des aides au développement (14 %). La région se distingue également par un soutien moyen à l’écriture supérieur à 5 000 euros, parmi les plus élevés en France.

478 300 €

aide à la création

Rapport national et mobilisation locale

Plus largement, cette évolution favorable s’explique par un ensemble d’éléments. Certains relèvent de l’échelon national, comme le rapport « Racine » sur le statut des artistes-auteurs et l’acte de création. D’autres se situent au niveau local. En parallèle de la relation entre les professionnels et Ciclic Centre Val-de-Loire, l’agence régionale pour le livre, l’image et la culture numérique (qui gère et met en œuvre le fonds de soutien), les échanges réguliers avec le conseil régional depuis l’arrivée d’une nouvelle élue à la vice-présidence déléguée à la Culture et à la Coopération internationale, sont un point « positif ».

La mise en place d’aides exceptionnelles pour les autrices et auteurs durant le Covid a également contribué à améliorer la situation. Pour les obtenir, le Baar a dû néanmoins « se mobiliser » auprès de la région, souligne le collectif qui compose une fédération informelle avec l’association des Producteurs associés en région Centre (Parc) et l’Association en région Centre des comédiens, ouvriers, réalisateurs et techniciens du cinéma et de l’audiovisuel (Accort).

Depuis qu’elle a été revalorisée, il y a quelques années, l’aide à l’écriture directe de la région Centre-Val de Loire est l’une des plus élevées des collectivités territoriales (cf. encadré chiffres). En 2021, a par ailleurs été créée une aide au parcours d’auteurs, demande portée par le Baar dans la lignée du dispositif du CNC. D’un montant forfaitaire de 10 000 euros, le soutien est destiné aux autrices et auteurs expérimentés du territoire, pour les accompagner durant un à deux ans sur leurs projets.

L’enveloppe actuelle offre la possibilité de soutenir quatre auteurs par an. Une réflexion « qui permettrait de faire plus que doubler le dispositif » est en cours, explique Pierre Dallois, responsable du pôle Création chez Ciclic. « Renforcer le parcours d’auteur, c’est essayer d’être dans la même logique que l’aide au programme d’entreprise qui accompagne les sociétés sur la base d’une stratégie entrepreneuriale », poursuit-il.

Les institutions publiques ont le devoir de garantir aux auteurs les moyens d’une liberté de création et de diversité.

Pierre Dallois, responsable du pôle Création, Ciclic

Plus globalement, l’agence souhaite « renforcer [ses] aides à l’écriture et au développement, notamment celles dédiées au documentaire », de « manière assez substantielle » dans le cadre de la nouvelle convention triennale tripartite pour la période 2023-2025 dont la négociation est imminente. « Nous prévoyons des augmentations des soutiens existant à l’écriture et au développement de 50 % à 75 %. Ce qui nous permettra de facto de soutenir plus d’œuvres », précise Pierre Dallois.

Cette orientation s’inscrit dans la « phase 2 » de la stratégie déployée par Ciclic. Après avoir mené, depuis 2017, « un travail assez important à l’égard des producteurs », l’agence entend devenir un « territoire de création spécialisé dans l’écriture et le développement » en consolidant ses soutiens en amont. « La défense et la fidélisation sur les territoires régionaux des auteurs, au cœur de la bataille entre les plateformes et la production indépendante, au même titre que les techniciens, devient un enjeu crucial », observe Pierre Dallois. La région ne pourra pas résoudre à elle seule toutes les problématiques, mais « les institutions publiques ont le devoir de garantir aux auteurs les moyens d’une liberté de création et de diversité ».

Pérenniser, consolider et attirer

Dans ce contexte, l’agence veut accélérer cette année l’identification des autrices et auteurs sur le territoire. L’état des lieux de la filière régionale a démarré en 2018 avec la mise en place de l’observatoire Val de Loire Cinema Workshop, en partenariat avec la Scam et la SACD. Mais il existe un « hiatus important » entre les données : la Scam et la SACD recenseraient plus de 500 autrices et auteurs, quand Ciclic en identifie 150.

Aussi, le questionnaire qui leur est envoyé lorsqu’ils déposent un projet va être « peaufiné » et le partenariat avec les sociétés d’auteurs, ainsi que d’autres organisations les représentant (la Boucle documentaire et la SRF, notamment), sera « renforcé ». Travailler plus étroitement avec ces organismes nationaux est aussi un souhait de Ciclic dont l’objectif est « en priorité de pérenniser et de consolider le parcours des auteurs présents sur le territoire mais également d’en attirer de nouveaux ».

Avec le changement de vie induit par le Covid, il y a eu un effet démultiplicateur dans la région, en particulier dans le secteur de la production. 

Baar, Bureau des auteurs et réalisateurs du Centre

Pour l’agence, se positionner sur l’écriture et le développement est « assez logique » étant donné le montant de son fonds, soit 2,6 millions d’euros. « Aller vers la production de fiction, long-métrage et TV nécessite beaucoup de moyens », relève Pierre Dallois. Le budget du fonds de soutien régional à la création, tous genres confondus, cristallise d’ailleurs les critiques des créatrices et des créateurs. « La politique de Ciclic est d’attirer un ensemble de professionnels sur le territoire. Avec le changement de vie induit par le Covid, il y a eu un effet démultiplicateur dans la région, en particulier dans le secteur de la production », remarque le Baar. Depuis 2020, dix-huit nouvelles sociétés de production se sont créées ou installées en région Centre-Val de Loire, portant leur total à soixante structures, confirme Ciclic.

Le budget actuel ne doit pas être seulement sanctuarisé, il doit surtout progresser proportionnellement à l’évolution de la filière. 

Christophe Camoirano, producteur adhérent au Parc (Producteurs associés en région Centre)

Entre 2021 et 2022, le fonds a certes fini par progresser de 200 000 euros (180 000 euros issus de la région et 20 000 euros du CNC). Si les créatrices et les créateurs soulignent l’effort qui a été réalisé, toutes et tous l’estiment cependant insuffisant, a fortiori parce que l’enveloppe était stable depuis plus de dix ans et que l’augmentation n’est pas à la hauteur de la stratégie d’attractivité déployée par Ciclic. Cette politique est source de nouvelles rencontres et de nouveaux projets potentiels, admettent certains producteurs locaux, constatant qu’elle entraîne aussi une concurrence exacerbée entre les sociétés y compris au sein de leurs propres projets. « Le budget actuel ne doit pas être seulement sanctuarisé, mais doit progresser proportionnellement à l’évolution de la filière », insiste Christophe Camoirano, producteur adhérent au Parc. « II n’existe pas de système qui, à périmètre clos, puisse continuer à se développer », poursuit-il.

« La politique menée depuis 2017 par Ciclic nous permet d’être identifiés nationalement et internationalement, tout en contribuant à la structuration d’une filière en région sur le long terme », réagit Pierre Dallois. L’international est en effet devenu l’un des marqueurs du territoire avec la constitution d’un réseau regroupant différentes régions du monde, afin de favoriser des coproductions. Ciclic met en avant l’« effet levier » de cette stratégie qui génère et décuple les perspectives de financement comme elle fait rayonner les œuvres issues du Centre-Val de Loire.
La sélection à la dernière Berlinale du long-métrage documentaire Au cimetière de la pellicule de Thierno Souleymane Diallo, coproduit par la société tourangelle L’Image d’après et JPL Productions, basée à Villeurbanne, en région Auvergne-Rhône-Alpes, est « la preuve de l’efficacité de notre politique en faveur de l’identification de la filière régionale, à l’international, et de son effet structurant », juge l’agence.

  • 43 aides

    à la création
    en 2021

  • 50,4 K€

    pour
    l'écriture

  • 70 K€

    pour le développement

  • 357,9 K€

    pour la
    production

Penser les budgets sous d’autres prismes

Selon Ciclic, la croissance du nombre de professionnels sur le territoire, en effet encouragée par plusieurs dispositifs pour renouveler les talents et créer de nouvelles opportunités, n’a « paradoxalement » pas entraîné davantage de dépôts, excepté pour l’aide au programme d’entreprise. L’agence relève en outre que la contribution de la région au contrat d’objectifs et de moyens (COM), signé avec TV Tours-Val de Loire, Bip TV et France 3 Centre-Val de Loire, n’a cessé de progresser depuis 2020. Avec une nouvelle hausse prévue pour le prochain COM portant de septembre 2023 à août 2024, à hauteur de 70 000 euros, l’augmentation de l’apport de la région se chiffrera à 350 000 euros en trois ans, ce qui « pondère » l’idée que les budgets n’augmentent pas.

En 2023, le budget du fonds de soutien sera stable, en revanche, confirme Ciclic, ce qui, dans le cadre actuel des finances publiques et les priorités auxquelles sont confrontées les collectivités territoriales, en particulier avec l’inflation du coût de l’énergie, « est à saluer », relève Philippe Germain, directeur général de Ciclic. Par ailleurs, en Centre-Val de Loire comme dans les autres régions, des interrogations se font jour concernant l’intervention du CNC. Le dispositif du 1 euro apporté par le Centre pour 2 euros de la collectivité n’a jamais été remis en question, affirme le CNC. Il se murmure néanmoins qu’à enveloppe constante, le Centre demanderait aux régions de transférer 10 % du fonds de soutien à la création à celui dédié à l’éducation à l’image et à la médiation. Si tel était le cas, les petits fonds comme ceux de Ciclic pourraient cependant ne pas être touchés.

La question budgétaire ne peut pas être abordée uniquement par le prisme du volume ou de la masse, considère Philippe Germain, citant en exemple les plateformes, fort bien dotées, « mais pour fabriquer quoi ? Si l’argent n’est pas mis au service d’un projet politique de soutien à la diversité, à l’indépendance et à la création ? ». Récemment renouvelé à son poste, pour un mandat de trois ans, le patron de Ciclic entend néanmoins reprendre son « bâton de pèlerin » auprès des six départements et deux métropoles – Tours et Orléans – de la région, dépourvus de fonds de soutien, pour que la politique culturelle puisse être « partagée » entre les différentes collectivités territoriales.

Gagner en souplesse et travailler à une fongibilité des crédits afin d’avoir un cadre suffisamment large pour que les porteurs de projets puissent déposer à toutes les étapes.

Pierre Dallois, responsable du pôle Création, Ciclic

En attendant, le renforcement des aides à l’écriture et au développement va être financé « par redéploiement de crédits », explique Pierre Dallois, « tout en conservant la logique intrinsèque » de la stratégie poursuivie par Ciclic ces six dernières années. L’ambition est de « gagner en souplesse et de travailler à une fongibilité des crédits afin d’avoir un cadre suffisamment large pour que les porteurs de projets puissent déposer à toutes les étapes ». « Aujourd’hui, nous avons dix-huit dispositifs dont deux dédiés à l’émergence qui s’avèrent à la fois chronophages et pas assez plastiques. La logique est de les conserver mais en simplifiant », par exemple en revoyant la fréquence des appels à projets, évoque Pierre Dallois.

De la nécessité d’être partie prenante

De son côté, le Baar, qui défend la diversité des soutiens, plaide pour l’augmentation de l’enveloppe de l’aide après réalisation de court-métrage, « appréciée par beaucoup d’auteurs car elle permet de soutenir des films dits “fragiles” empruntant à des esthétiques et des techniques différentes ». Son montant forfaitaire s’élève actuellement à 15 000 euros par film, et les documentaires audiovisuels de moins d’une heure y sont éligibles.

Si les autrices et les auteurs du Baar s’estiment « plutôt bien lotis » et mieux considérés depuis deux ans, ils constatent néanmoins que la concertation vantée par Ciclic n’est pas pleinement satisfaisante dans les faits et relève surtout de la communication. Dernier exemple en date : les commissions plénières pour la sélection des dossiers se tiendront dorénavant en visioconférences et non plus en présentiel avec les experts et les porteurs de projets, pour des raisons de hausse des dépenses d’énergie et du temps de travail des agents, rapporte le collectif.

« On ne souhaite pas être une variable d’ajustement budgétaire alors que le fonds vient d’être augmenté.

Baar, Bureau des auteurs et réalisateurs du Centre

« On ne souhaite pas être une variable d’ajustement budgétaire alors que le fonds vient d’être augmenté », commente le Baar qui dit ne pas avoir été consulté et informé au dernier moment. Il craint « l’affaiblissement de ces commissions qui pourrait à terme justifier leurs disparitions ». « Ces auditions en présence, que nombre de régions nous envient, sont des moments essentiels qui arrivent au terme de plusieurs années de travail », insiste le collectif pour qui « rien ne remplace la rencontre physique ». « Nous refusons d’être écoutés avec une mauvaise connexion ou entre deux mails. Nous en avons tous déjà fait l’expérience. Sans même parler des délibérations, les échanges sont moins attentifs. Alors que le cœur de notre métier est celui de la rencontre, de l’échange, cette évolution au sein de l’agence publique, censée nous accompagner dans notre travail, apparaît comme un paradoxe. »

Cette décision rejoint l’ambition de Ciclic de gagner en « plasticité et en disponibilité », avance, quant à elle, l’agence. Le temps acquis « en s’allégeant des tâches de coordination logistiques et administratives qu’engendre l’organisation de commissions en présentiel » permettra à l’équipe, « à fonds constant, de mieux accompagner et suivre les projets ainsi que les professionnels ». Ciclic pointe en outre que le temps d’échange et de dialogue avec les commissions perdure. « Seule la modalité change. »

Dans les autres sujets en lien avec Ciclic évoqués par le Baar, figure la représentativité des autrices et des auteurs au conseil d’administration de l’agence. Les professionnels y siègent en tant que personnalités qualifiées et non au titre de leur association, les statuts de Ciclic ne le permettant pas. Le secteur du cinéma et de l’audiovisuel dispose d’un titulaire et d’un suppléant, et cela depuis seulement 2021, souligne le Baar, contrairement aux autres champs couverts par l’agence dont la présence au conseil d’administration est plus ancienne.

Les deux sièges sont actuellement respectivement occupés par un comédien, adhérent de l’association Accort, et une productrice, adhérente du Parc. Afin de remédier à l’absence des auteurs, le Baar plaide pour un nombre de sièges suffisant qui permette à chacune des organisations professionnelles d’avoir une personnalité qualifiée qui la représente.

Enfin, s’agissant du COM, le Baar regrette un certain « formatage des écritures », depuis sa mise en place par le biais d’un contrat unique pour les trois chaînes locales « poussées à travailler ensemble ». Seul Bip TV sort du lot, en initiant quelques rares films de création mais souvent financés en dehors du COM, décrit le Baar pour qui le dispositif ne tient pas sa promesse de soutenir la création audiovisuelle dans sa diversité.

Le collectif milite « pour un quota de films tournés avec une production régionale mais sur des sujets hors du territoire et à l’étranger, comme cela se fait en Bretagne ». « Ce serait cohérent avec l’aide à la coproduction internationale de Ciclic », souligne également le Baar qui regrette de ne pas être associé à l’élaboration du COM comme c’est le cas, là encore, en Bretagne, où les autrices et les auteurs le sont pleinement. À ce sujet, comme pour d’autres qui les concernent, les auteurs et les autrices souhaitent être partie prenante des décisions qui les engagent, et qui leur permettraient de déployer la diversité d’écritures qu’ils défendent.

Méthodologie des enquêtes de la Scam pour un état des lieux du documentaire en région

Ces focus restent circonscrits au seul documentaire audiovisuel (donc hors court et long métrage). Ils proposeront une photographie quantitative et qualitative de chaque région, à travers la parole des auteurs-réalisateurs et autrices-réalisatrices qui vivent et travaillent dans ces territoires. S’y exprimeront également les points de vue des autres acteurs animant ces filières régionales.

Les chiffres clés relatifs à la région Occitanie sont issus des données collectées par l’agence Ciclic-Centre-Val-de-Loire pour le Panorama des interventions territoriales en faveur du cinéma et de l’audiovisuel publié chaque année, dans le cadre de sa convention de coopération triennale État-région-CNC. Le périmètre des collectivités est identique à celui du Panorama, qui prend en compte la région, les départements, les eurométropoles, les métropoles et les villes, s’il y a lieu. De la même manière, les statistiques se concentrent sur les aides délivrées par la région, le premier niveau d’intervention. Les investissements de la région agrègent ceux octroyés via le ou les contrats d’objectifs et de moyens signés entre la collectivité et le ou les diffuseurs, quand ils existent. Les statistiques autres que celles de Ciclic qui pourraient être citées sont dans tous les cas sourcées. Le choix a été fait de ne pas comparer les chiffres de l’année 2021 et ceux de l’année 2020, sauf cas particulier, l’année de la pandémie ayant été marquée par l’attribution d’aides exceptionnelles, dans certaines régions, par définition non reconduites en 2021.

Remerciements : Pauline Martin et Pierre Dallois à l’agence Ciclic-Centre-Val-de-Loire et la Boucle documentaire.

Série Territoires et Création

photo Pascal Bondis

#1 – L’Occitanie

Blois - photo Julia Casado
Blois - photo Julia Casado

#3 – Centre-Val de Loire