Cap sur la région Bretagne, avec ce 6eme volet de notre série Territoires et création sous la plume de la journaliste Emmanuelle Miquet. Une région enviée pour la qualité de son dialogue entre les professionnels et la collectivité du conseil régional. Des échanges sont actuellement en cours pour un futur dispositif supplémentaire, dédié à l’accompagnement des auteurs et des autrices.

La Bretagne et le documentaire audiovisuel

Cinquième fonds d’aide à la création en 2022, la Bretagne s’est hissée à la sixième place de financeur du documentaire audiovisuel avec un seul guichet – le conseil régional – et une enveloppe de 1 048 153 euros (20 % du budget total). Celle-ci a bénéficié à 69 aides documentaires (42 % du total), majoritairement au stade de la production (85,5 % des projets), du développement (10,6 %) et de l’écriture (3,9 %). Cet investissement inclut le contrat d’objectifs et de moyens (COM) signé avec les six acteurs locaux : les chaînes TVR, Tébéo, Tébésud, France 3 Bretagne et la web-tv bretonnante Brezhoweb ainsi que la plateforme Kub. L’an dernier, l’apport du COM dans le documentaire a atteint 359 153 euros (le 2e montant le plus élevé derrière celui des Hauts-de-France), dans 25 projets en production (44,6 % du nombre global des aides).

1 048 153 €

aide à la création

Un dialogue permanent entre les créateurs et la région

« La Bretagne, c’est un peu notre phare », considérait avec humour, mais néanmoins sérieusement, un auteur établi en Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans l’étude de la Scam « Le documentaire, les régions et leurs aides » (2021). La région bretonne, parmi les premières à s’être dotée d’un fonds régional d’aide à la création cinématographique et audiovisuelle (le FACCA), en 1989, « a toujours été proactive. Quelle que soit la majorité élue, il y a toujours eu cette volonté politique très forte de structurer le secteur pour que les professionnels puissent vivre de leur travail, tout en dialoguant avec eux », confirme l’Arbre, l’association des auteurs et autrices, réalisateurs et réalisatrices tous genres et circuits de diffusion des œuvres confondus, vivant en Bretagne.

Il existe une vraie logique de concertation et de co-construction. Que ce soit sur le FACCA ou le contrat d’objectifs et de moyens (COM), les professionnels sont très généralement associés aux réflexions et aux décisions qui sont prises 

L’Arbre – association des auteurs réalisateurs de Bretagne

« Nous avons l’habitude de prendre des initiatives, proposer des améliorations, et la région a l’habitude de nous écouter, d’avoir sa porte ouverte. Cela ne veut pas dire qu’on est toujours d’accord et que l’on obtient systématiquement ce qu’on voudrait, mais le dialogue est là », poursuivent les auteurs. Leur spécificité sur ce territoire est qu’ils sont représentés via deux entités distinctes : le collège des auteurs réalisateurs et compositeurs (ARC) au sein de Films en Bretagne (FEB), la fédération interprofessionnelle de l’audiovisuelle et du cinéma qui regroupe l’ensemble des créateurs implantés sur le territoire, de l’écriture à la diffusion, et l’Arbre, antérieure à Films en Bretagne et qui lui a subsisté. Le périmètre du collège de FEB est plus large que l’Arbre, puisqu’il inclut les compositeurs de musique à l’image ainsi que les auteurs graphiques, aux côtés des scénaristes et des auteurs-réalisateurs de films.

Un COM pour accompagner les nouvelles écritures

Fondée en 1999, Films en Bretagne s’articule autour de quatre collèges avec chacun des représentants. Aux côtés des autrices et auteurs réalisateurs et compositeurs, figurent le collège des producteurs, celui des comédiens et des techniciens, ainsi qu’un autre qui réunit les acteurs culturels. Les négociations du secteur avec la région passent par Films en Bretagne. Toutefois, « des initiatives peuvent être menées par l’Arbre, voire conjointement avec la fédération, avec qui les relations sont très poreuses », explique l’association des auteurs et autrices.

La région se distingue également par son COM, unique dans l’Hexagone, car il réunit l’ensemble des six diffuseurs locaux publics et privés (cf.encadré La région Bretagne et le documentaire audiovisuel). Créé en 2009, il est le plus ancien. En 2022, une nouveauté a été introduite pour le documentaire : une « expérimentation portant sur les nouvelles écritures et les canaux numériques [qui] pourra être poursuivie » en 2023-2024, indique le document référentiel du COM 4 sur cette période. Dans ce cadre, « un programme de type documentaire pourra ainsi être soutenu et accompagné conjointement par les chaînes », est-il précisé.

L’idée est d’accompagner les nouveaux usages, en soutenant des œuvres qui sont pensées pour le digital, et non pour la télévision, avec un contenu d’intérêt régional .

Aurélie Rousseau, directrice générale de la chaîne locale TVR, coprésidente du syndicat national Locales.tv

« Si on a deux bons projets, on les fera. Cela dépendra des propositions. On s’inspire du travail mené par Arte sur les nouvelles écritures documentaires », détaille Aurélie Rousseau, directrice générale de la chaîne locale TVR, coprésidente du syndicat national Locales.tv et interlocutrice sur le COM de la Bretagne qu’elle a contribué à mettre en place. Une première série documentaire est actuellement en cours de production en association avec France 3 et les TV locales, pour Instagram : Rencontres du 3e clic, des épisodes de 5 minutes autour des sites de rencontres.

Ces projets « nouvelles écritures » sont financés à budget constant. « Depuis déjà plusieurs années, nous avons une enveloppe fermée pour le COM », expose Aurélie Rousseau, se félicitant d’avoir « déjà réussi à maintenir cette enveloppe ». Le contrat signé en Bretagne atteint « un montant de 1,8 million d’euros [au total Ndlr], le plus important en France, grâce à la subvention de la région Bretagne et des apports des chaînes en cash. A ce montant, s’ajoutent des apports en industrie des chaînes », souligne-t-elle également.

Vers un accompagnement renforcé des autrices et auteurs

A l’instar du COM, le fonds de soutien de la région pourrait évoluer, dans les prochains mois, avec un nouveau dispositif spécifique qui serait destiné aux auteurices. Celui-ci viendrait compléter un panel classique constitué de l’aide à l’écriture pour les auteurs, l’aide au développement pour le producteur ou encore l’aide à la production, qui peut être « demandée sans diffuseur, ce qui est assez rare », met en avant l’Arbre.

Début octobre, à Saint-Quay-Portrieux, les Rencontres de Films en Bretagne, rendez-vous régional annuel de la filière, avaient inscrit à leur programme une « conversation » avec le CNC et Ciclic, l’agence de la région Centre-Val de Loire, pour faire le point sur l’impact de leurs dispositifs respectifs en matière d’accompagnement des auteurs, et ainsi, nourrir les échanges avec la région. Ils proposent chacun une aide au parcours d’auteur, sous forme de bourse. En parallèle de l’aide à l’écriture classique, attribuée à un seul projet, elle permet d’apporter un soutien plus global au bénéficiaire, dans son travail de recherche et d’expérimentation pour un ou plusieurs projets.

Il est nécessaire de renforcer sur le territoire breton le travail d’accompagnement des auteurs, « les maillons les plus fragiles du secteur alors que sans eux, celui-ci n’existerait pas », souligne l’Arbre qui porte cette demande avec le collège des auteurs de Films en Bretagne et celui des producteurs. « La région est complètement ouverte et elle réfléchit avec nous à ce nouveau dispositif d’aide qui serait destiné exclusivement et directement aux auteurs mais dont les contours restent à déterminer », poursuit l’Arbre.

« Nous sommes au tout début de la discussion », abonde la collectivité. « Ce qui ressort de nos échanges avec les auteurs et les autrices est qu’ils et elles ont besoin d’avoir du temps pour prendre du recul, sur une carrière, une façon d’écrire, et pas seulement sur un projet. La philosophie est là. Maintenant, tout reste à faire pour trouver la bonne formule. C’est presque un projet de territoire à inventer », estime la région. « L’idée est de trouver un endroit où les enjeux politiques et les enjeux de la filière se rejoignent, sinon, ça n’a aucun intérêt. On reste sur ce principe de coconstruction avec les professionnels », résume-t-elle. Le calendrier envisagé est une mise en œuvre de cette nouvelle aide « courant 2024 », évoque néanmoins la région. Ce soutien sera financé « par redéploiement », précise-t-elle, donc via des arbitrages, dans la mesure où il n’y aura pas de hausse du budget du FACCA. « Evidemment, ça ne fait pas nos affaires ! », réagit l’Arbre.

De son côté, la région met en avant avoir « réussi à sanctuariser l’enveloppe globale » du fonds de soutien, ce qui, dans le contexte économique général, est à souligner. Elle fait aussi valoir que ces trois dernières années, « moins de projets documentaires audiovisuels ont été soutenus mais mieux ». Cela est particulièrement vrai à l’étape du développement où la moyenne par aide est passée de 9 000 euros en 2020 à 10 091 euros en 2022, selon les chiffres de la collectivité que l’on retrouve dans le Panorama annuel des interventions territoriales publié par Ciclic (cf.Méthodologie).

Un fonds qui n’a pas été augmenté depuis 2019

La dernière augmentation significative du fonds d’aide à la création remonte à 2019. En hausse « d’un peu plus d’1 million d’euros », rappelle la région, elle s’est inscrite dans une évolution des aides et de gouvernance. Ces chantiers faisaient suite à la réforme territoriale, votée en 2015 et entrée en vigueur en 2016. « Celle-ci n’a pas impacté la Bretagne dans ses contours géographiques, restés identiques, mais avec la fusion d’autres régions, qui allaient gagner en termes de budget, il fallait qu’on cherche un nouveau positionnement et qu’on trouve notre place dans ce paysage recomposé. Cela ne pouvait pas se faire sur la concurrence financière, dans la mesure où notre budget n’allait pas pouvoir rivaliser avec ceux des grandes régions, mais en développant des axes qui seraient notre identité, comme les coproductions internationales, la fiction audiovisuelle, la promotion de valeurs écologiques et sociétales, telles que la transition écologique, la parité, les droits culturels ou l’éducation artistique et culturelle, notamment », explique la collectivité. Ces chantiers ne se sont pas faits « au détriment du documentaire, dont l’enveloppe a été sanctuarisée », souligne-t-elle.

C’est aussi à ce moment-là qu’a été créé Bretagne Cinéma, service qui regroupe le FACCA et l’Accueil des tournages, dans le but de « rationnaliser l’organisation et essayer d’être moins dans la gestion purement administrative et davantage dans l’accompagnement qualitatif des projets », poursuit la région.

  • 69 aides

    à la création
    en 2022

  • 41 K€

    pour l'écriture

  • 111 K€

    pour le développement

  • 896 K€

    pour la
    production

Des pistes pour l’avenir

 Dans les améliorations à apporter aujourd’hui au fond de soutien régional, les auteurs et les autrices affirment être « au tout début d’une réflexion autour d’une bourse de repérages, sur le modèle de dispositifs existants dans d’autres territoires ou dans l’aide Brouillon d’un rêve de la Scam, par exemple. Depuis 2022, cette dernière propose une bourse initiale de repérages. D’une dotation de 2 500 euros, elle est destinée à soutenir une première étape d’écriture pour effectuer des repérages, des recherches documentaires, des entretiens préparatoires ou permettre la fabrication d’un teaser. « C’est quelque chose qui nous manque », note l’Arbre, qui estime qu’en Bretagne, comme dans de nombreuses autres régions, les aides à l’écriture n’en sont plus vraiment, en raison des exigences demandées pour les dossiers qui doivent être déjà très aboutis.

Par ailleurs, l’Arbre plaide depuis déjà pas mal d’années pour que les auteurs et les autrices soient rémunérés pendant les résidences ou les formations auxquels ils participent. « Les résidences sont certes formidables et hyper intéressantes, mais de quoi vit-on pendant cette période ? », interroge l’association. « Les compositeurs de musique à l’image ou les auteurs graphiques dans l’audiovisuel sont, eux, rémunérés lorsqu’ils sont en résidence », fait-elle remarquer.

En partenariat avec l’Arbre, le collège des auteurs réalisateurs et compositeurs de Films en Bretagne a mené dernièrement une enquête « flash » sur les conditions de travail et de rémunération des auteurs et des autrices sur le territoire. Ce travail, restitué lors des récentes Rencontres de Saint-Quay-Portrieux, est une première étape vouée à nourrir une future enquête plus large sur l’ensemble de la filière. L’une des « demandes extrêmement forte » qui est ressortie de ce premier volet est la « création d’une maison des auteurs, voire quatre », indique l’Arbre. Soit une dans chaque département (les Côtes-d’Armor, le Finistère, l’Ille-et-Vilaine et le Morbihan), au nom du principe de décentralisation.

La grande force de la Bretagne tient à la structuration de la filière, très complète, partout sur le territoire, s’accordent d’ailleurs à dire les professionnels quel que soit leur métier.

Les films peuvent émerger dans la région, y être produits, puis diffusés.

Un représentant du collège des producteurs et des productrices de Films en Bretagne

Concernant la formation, par exemple, deux nouvelles offres sont attendues en septembre 2025 : un BTS Audiovisuel à Douarnenez, et l’école Skol Doc à Mellionnec. Cette dernière s’articulera autour de quatre axes : un cursus pour les amateurs, de la formation initiale, un cursus professionnel et de la formation continue. « « Les trois premiers existent déjà mais avec la création de l’école, ils vont prendre de l’ampleur, à côté de la formation continue, totalement nouvelle, pour la réalisation, le montage et la production », précise Jean-Jacques Rault, codirecteur de Ty Films, l’association à l’origine des Rencontres du film documentaire de Mellionnec et de Skol Doc, dont il a la charge. Ce village des Côtes-d’Armor est devenu un « petit Lussas, un lieu de résidences et de création très riche et très attractif pour les talents », relève un professionnel.

Un réseau de distribution bien en place

Le dynamisme de la Bretagne réside en outre dans le travail effectué en matière de diffusion des œuvres, grâce à un réseau de distribution très développé. La Bretagne se caractérise en effet par un nombre important de salles de cinéma indépendantes, dont beaucoup sont labellisées « art et essai », présentes sur tout le territoire. Opéré tout au long de l’année, cet accompagnement des films se retrouve notamment durant le Mois du film documentaire en novembre, coordonné par les quatre associations Cinécran (Morbihan), Comptoir du Doc (Ille-et-Vilaine), Daoulagad Breizh (Finistère) et Ty Films (Côtes-d’Armor). L’association Comptoir du Doc décline également le festival Vrai de vrai ! (auparavant nommé Les Etoiles du documentaire), à Rennes.

Les auteurs et les autrices sont conscients de ce travail de diffusion, qui marche avec l’ensemble du secteur. C’est plus facile de défendre un FACCA et des positions quand les films sont montrés, accompagnées par leurs auteurs.

L’Arbre

L’existence de ce réseau et ces initiatives créent forcément une émulation, ce point fait là aussi consensus chez l’ensemble des professionnels.

S’il fallait pointer une faiblesse sur le territoire breton si envié, ce serait l’absence de fonds de soutien à la création dans les départements, pourtant engagés à une époque. « Le Finistère et les Côtes-d’Armor en ont eus, avant de les supprimer il y a quelques années, pour des raisons budgétaires », rappelle un professionnel. Quand leur situation s’est améliorée, ils ont préféré investir sur des projets dits de « territoire », comme Ty Films ou le Groupe Ouest, connu entre autres pour ses résidences d’écriture. Leur retour dans la boucle des collectivités territoriales via un fonds de soutien dédié serait forcément un plus, s’accordent à nouveau les différents professionnels.

Méthodologie des enquêtes de la Scam pour un état des lieux du documentaire en région

Ces focus sont circonscrits au seul documentaire audiovisuel (donc hors court et long métrage). Ils proposent une photographie quantitative et qualitative de chaque région, à travers la parole des auteurs-réalisateurs et autrices-réalisatrices qui vivent et travaillent dans ces territoires. S’y expriment également les points de vue des autres acteurs animant ces filières régionales.

Les chiffres clés relatifs à la région Bretagne sont issus des données collectées par l’agence Ciclic-Centre-Val-de-Loire pour le Panorama des interventions territoriales en faveur du cinéma et de l’audiovisuel publié chaque année, dans le cadre de sa convention de coopération triennale État-région-CNC. Le périmètre des collectivités est identique à celui du Panorama, qui prend en compte la région, les départements, les eurométropoles, les métropoles et les villes, s’il y a lieu. De la même manière, les statistiques se concentrent sur les aides délivrées par la région, le premier niveau d’intervention. Les investissements de la région agrègent ceux octroyés via le ou les contrats d’objectifs et de moyens signés entre la collectivité et le ou les diffuseurs, quand ils existent. Les statistiques autres que celles de Ciclic qui pourraient être citées dans l’article sont dans tous les cas sourcées.

Remerciements : Pauline Martin et Pierre Dallois à l’agence Ciclic-Centre-Val-de-Loire, les auteurs et autrices de la Boucle documentaire.

Série Territoires et Création

photo Pascal Bondis

#1 – L’Occitanie

Blois - photo Julia Casado
Blois - photo Julia Casado

#3 – Centre-Val de Loire

Daniel Hourtoulle
photo Daniel Hourtoulle

#4 – Grand Est

photo Franziska Hannemann

#5 – Hauts de France

photo Christel Sagniez

#6 – Bretagne