Après l’étude transversale « Le documentaire, les régions et leurs aides », publiée en juin 2021, la Scam poursuit avec la journaliste Emmanuelle Miquet son tour de France, cette fois par territoire. Coup d’envoi avec la région Occitanie où un nouveau dispositif d’aide à l’écriture, supprimé depuis deux ans, vient d’être réintroduit.

Une mobilisation d’ampleur

Depuis 2020, les autrices et les auteurs de la région Occitanie sont en effet dépourvus d’aide à l’écriture dite sèche, c’est-à-dire qui leur est directement attribuée. Au début de cette année-là, la collectivité a supprimé de son dispositif les bourses d’écriture pour concentrer ses crédits sur le développement et la production.

Cette décision, prise l’année de l’irruption du Covid-19 qui a fragilisé les créateurs et les créatrices dans leur ensemble, a présidé au rassemblement des auteurs, autrices et des réalisateurs, réalisatrices de documentaire d’Occitanie au sein du collectif RegardOcc et à une mobilisation d’ampleur. La région avait acté la réintroduction de l’aide à l’écriture en 2021, mais les circonstances post-pandémiques ne l’ont finalement pas permis.

Les mois à venir marqueront-ils un retour à la « normale » pour les auteurs et les autrices ? Le 13 juillet dernier, le conseil régional d’Occitanie a effectivement réintroduit le dispositif en adoptant une « aide à l’écriture d’œuvres audiovisuelles » directe.

Un appel à projets a été ouvert dans la foulée, en vue d’une première session de sélection des dossiers lors des comités de lecture de septembre et d’octobre, pour un vote de la commission permanente à la mi-décembre. L’objectif est de permettre d’affecter les premières aides avant la fin de l’année 2022. Trois sessions devraient ensuite être proposées en 2023.

Nous estimons essentiel que la première phase d’écriture se fasse en toute indépendance des producteurs (…) C’est la raison pour laquelle l’aide à l’écriture nous permet de travailler de manière totalement autonome. 

Collectif RegardOcc

« On se réjouit de cette remise en œuvre, réagit RegardOcc. C’est un premier pas, et on espère que le montant du soutien sera revu à la hausse. » L’enveloppe globale de la nouvelle aide à l’écriture, destinée à tous les genres éligibles par le fonds, s’élève à 50 000 euros pour un soutien forfaitaire de 2 000 euros, dorénavant. Les précédentes bourses d’écriture étaient comprises entre 3 000 euros (un montant plancher) et 6 000 euros (un plafond). La demande de RegardOcc portait sur 100 000 euros. « Cela nous semble être le minimum », explique le collectif qui a estimé cette somme en se basant sur les chiffres de l’agence Ciclic-Centre-Val-de-Loire, chargée de collecter chaque année les données des régions pour le Panorama des interventions territoriales en faveur du cinéma et de l’audiovisuel.

À raison de 25 projets annuels, l’objectif de la région, cette enveloppe permettrait en outre d’atteindre « le plancher décent » de 4 000 euros évalué par la Boucle documentaire, réseau d’organisation d’auteurs, autrices et réalisateurs, réalisatrices, pour rémunérer correctement l’étape de l’écriture. RegardOcc rappelle son importance : « Nous estimons essentiel que la première phase d’écriture se fasse en toute indépendance des producteurs qui interviennent ensuite dans la phase de développement. C’est la raison pour laquelle l’aide à l’écriture nous permet de travailler de manière totalement autonome. »

La nouvelle aide bénéficiera à davantage d’auteurs et d’autrices mais pour des montants plus modestes, reconnaît la région. Les perspectives budgétaires ne lui permettent pas pour l’instant d’aller au-delà, poursuit-elle, évoquant un « dispositif coup de pouce » dont les contraintes d’accès ont par ailleurs été allégées. La collectivité va maintenant observer comment ce dispositif fonctionne et s’il répond bien aux attentes des auteurs et des autrices.

Il s’agit « un peu d’un test » dont elle pourra tirer des premières conclusions. Peut-être y aura-t-il des ajustements à faire, avance-t-elle, se disant prête à s’adapter. Son règlement prévoit par ailleurs qu’« au moins un quart du montant de l’aide au développement [attribuée à la société de production] devra être consacrée à la rémunération du ou des auteur(s) », une façon indirecte de les soutenir, rappelle la région.

La région Occitanie et le documentaire audiovisuel

En 2021, les investissements alloués au documentaire audiovisuel par le fonds d’aide à la création de la région Occitanie se sont répartis, pour la deuxième année consécutive, entre les seules étapes de la production (plus de 62 % des aides), du développement (30 %) et de la post-production. Soit un montant de 624 000 euros (14 % de l’enveloppe globale du fonds), au 9e rang national, qui grimpe à 754 000 euros, avec le soutien octroyé par Toulouse Métropole, autre collectivité impliquée sur le territoire rejointe récemment par Montpellier Méditerranée Métropole.

624 000 €

aide à la création

Région et métropoles au coude-à-coude

Autre dossier actuellement sur la table des négociations, le contrat d’objectifs et de moyens (COM), sujet lui aussi sensible en Occitanie, ces deux dernières années. En 2020, le COM signé entre la région et la chaîne locale ViàOccitanie a donné lieu à au moins une dizaine d’engagements de documentaires audiovisuels, selon RegardOcc. Mais, à de rares exceptions, ils n’ont pu être achevés du fait des difficultés économiques rencontrées par le réseau de chaînes locales cette même année.

En 2021, lorsque ViàOccitanie a finalement été rachetée par le groupe de presse La Dépêche du Midi, il n’y pas eu de COM. De nouveaux contrats d’objectifs et de moyens incluant des financements de coproduction seront eux aussi proposés au vote de la mi-décembre, s’engage la région. À terme, cela permettra de renforcer et d’élargir les possibilités de diffusion, notamment des documentaires, estime-t-elle. Après avoir lancé un appel à manifestation d’intérêt, l’étape préalable, afin de recenser les candidats, la collectivité a étudié les propositions des différents diffuseurs tenus secrets. Au côté de ViàOccitanie, les deux autres chaînes locales sont France 3 Occitanie et ÒCtele.

L’année 2022 a par ailleurs signé le lancement du fonds d’aide à la création aux industries culturelles et créatives de la métropole de Montpellier, en complément de celui de la région. Doté de 720 000 euros annuels, le dispositif, qui intervient aux étapes du développement et de la production, s’inscrit dans la continuité du fonds de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle de Toulouse Métropole, créé en 2019, à l’autre extrémité de la vaste région Occitanie.

L’an dernier, le montant de ce fonds s’est élevé à 539 000 euros alloués à des projets documentaires, de fiction et d’animation. Celui de Montpellier Méditerranée Métropole est annoncé à budget constant en 2023.

Mais à l’issue des premiers comités de sélection, à la fin septembre, la métropole a décidé d’abonder une « petite enveloppe » supplémentaire de 8 000 euros, avec Occitanie Films, l’agence du cinéma et de l’audiovisuel de la région, pour repêcher quelques-uns des projets ayant eu la mention « réservés », aux côtés des dossiers estimés « favorables » ou « défavorables ». Un à trois projets issus de chacun des trois comités devraient être soutenus « en workshop ».

À ce jour, en revanche, aucun département du territoire ne possède de fonds d’aide à la création et aucun ne semble disposé à en initier. « Ce n’est pas dans leurs priorités, constate Philippe Aussel, le président de l’Apifa, unique association de producteurs sur le territoire, ils préfèrent intervenir ponctuellement, au gré d’un tournage, par exemple. »

  • 42 aides

    à la création
    en 2021

  • 189 K€

    pour le développement

  • 389 K€

    pour la
    production

  • 46 K€

    pour la
    post-production

Entre précarité et bonne image

Dans ce contexte général évolutif, RegardOcc pointe la problématique persistante des comités de lecture* du fonds de soutien de la région. Chargés de sélectionner les projets, les comités dits d’experts sont établis par chaque région sur la base de principes généraux édictés par le CNC, le Centre national du cinéma et de l’image animée : être composés « majoritairement de professionnels du cinéma et de l’audiovisuel », comprendre « des professionnels extérieurs à la région » (afin d’éviter les conflits d’intérêts notamment), et faire « l’objet d’un renouvellement régulier ».

RegardOcc regrette que la convention tripartite 2020-2022 de l’Occitanie s’en tienne à ces principes généraux. Au vu de ce qui se passe dans les commissions nationales, le collectif « préconise qu’au moins 50 % des membres des comités soient extérieurs à la région et que les lecteurs soient renouvelés tous les deux ans ». Il relève également que plusieurs experts officient depuis « six ou sept ans », dans certains comités, alors que la convention d’Occitanie prévoit que « chaque membre ne peut plus rester plus de quatre ans ».

Les documentaristes regrettent également l’absence de présentation orale pour les porteurs de dossiers, comme cela peut se pratiquer ailleurs (ce n’est pas une obligation), de retours écrits sur les décisions, de rémunération des experts et de représentants des organisations professionnelles de la région lors des comités. Sur ce dernier point, ce sont les élus qui décident, répond l’Occitanie, et pour le moment, ils ne le souhaitent pas, au motif que cela pourrait créer un risque d’autocensure chez les lecteurs. Ces derniers pouvant craindre que les détails de leurs commentaires soient rapportés aux candidats par les représentants des organisations. Concernant la composition des comités, la collectivité admet une « grosse représentation de la région », pour le documentaire et le court-métrage, qu’elle « va essayer de corriger » lors du prochain renouvellement qui aura lieu en fin d’année.

Il n’y a pas qu’en Occitanie que les comités de lecture essuient des critiques, mais, dans ce territoire, ses dysfonctionnements sont venus s’ajouter à un environnement qui s’est dégradé, ces deux dernières années, créant ce sentiment d’« accumulation », selon RegardOcc. De la même manière, si la difficulté pour les autrices et les auteurs d’être reconnus n’est pas propre à la région, elle s’y trouve accentuée par le décalage entre la précarité des créatrices et créateurs implantés sur le territoire, en général des documentaristes, et l’image de la région, deuxième nationale en nombre de jours de tournage grâce au long-métrage et à la fiction TV avec l’explosion des feuilletons. Pourtant, « sans nous, pas de films », martèle RegardOcc, qui a fait de la formule son slogan.

Nous avons encore besoin de nous structurer. Que ce soient les services [de la région], les producteurs, les techniciens, et les auteurs.

Philippe Aussel, Apifa

« On est une région encore relativement jeune, en termes d’animation de la filière documentaire, comparée à la Bretagne ou à la Nouvelle-Aquitaine, où les choses se sont mises en place beaucoup plus vite », relève Philippe Aussel. Plusieurs raisons l’expliquent, selon lui, dont une « volonté politique plus ou moins efficace », dans une région davantage portée, à la base, sur le secteur « aéronautique et spatial que sur celui de la culture ». « Nous avons encore besoin de nous structurer. Que ce soient les services [de la région], les producteurs, les techniciens, et les auteurs », conclut-il.

En regard des deux dernières années, les récentes décisions prises en Occitanie, ou en passe de l’être, vont globalement dans le bon sens. Elles restent toutefois à confirmer, et à être complétées.

* L’avis des comités de lecture est consultatif (à l’exception de Pictanovo, association chargée de mettre en œuvre et de gérer le fonds de la région des Hauts-de-France, où ce comité est souverain), mais la commission permanente ou la séance plénière du Conseil régional, qui vote ensuite les aides, s’appuie généralement sur la sélection des comités, d’où l’extrême attention qui leur est accordé.

1 – La métropole de Montpellier crée un fonds de soutien à la création

Dédié aux industries culturelles et créatives, le fonds d’aide à la création lancé en 2022 par Montpellier Méditerranée Métropole a pour objectif d’encourager les jeunes talents du territoire et les sociétés de production. Il cible les « œuvres singulières » dans les champs du documentaire, de l’animation, du jeu vidéo, des expériences immersives et de la fiction (court-métrage exclusivement). Le nombre de projets reçus pour l’unique session organisée en année une a atteint 69, majoritairement des documentaires (27 dossiers, soit 39 %) et des fictions (20 dossiers, soit 29 %). La métropole vise deux sessions en 2023 et un cadre d’intervention ajusté au gré du premier bilan dressé pour ce fonds « work in progress », a-t-elle expliqué à la Scam. L’intégration d’une aide à l’écriture est prématurée, mais la collectivité dit avoir conscience qu’il s’agit là d’un « enjeu fort », au même titre que l’aide à l’émergence. Le fonds n’a pas été abondé par le CNC, le Centre national du cinéma et de l’image animée, qui, pour des raisons budgétaires, n’applique plus aux nouveaux entrants le dispositif du « 1 euro du CNC pour 2 euros de la collectivité ». Des discussions sont en cours pour les prochains exercices.

2- Une reprise des Étoiles de la Scam à venir

RegardOcc travaille actuellement sur la reprise de trois ou quatre films des Étoiles de la Scam en Occitanie, comme cela se fait déjà dans d’autres régions, sous forme de mini festivals. Organisée avec la Boucle documentaire, cette reprise s’inscrirait au cours d’une journée proposant également une table ronde autour de la thématique « Être auteur en région ». Y seront conviées les collectivités (région et métropoles) intervenant dans le documentaire notamment, ou encore la Scam. Un temps envisagé dans le cadre du Cinemed (21-29 octobre), à Montpellier, cette journée s’adossera à un festival à déterminer.

Méthodologie des enquêtes de la Scam pour un état des lieux du documentaire en région

Ces focus restent circonscrits au seul documentaire audiovisuel (donc hors court et long métrage). Ils proposeront une photographie quantitative et qualitative de chaque région, à travers la parole des auteurs-réalisateurs et autrices-réalisatrices qui vivent et travaillent dans ces territoires. S’y exprimeront également les points de vue des autres acteurs animant ces filières régionales.

Les chiffres clés relatifs à la région Occitanie sont issus des données collectées par l’agence Ciclic-Centre-Val-de-Loire pour le Panorama des interventions territoriales en faveur du cinéma et de l’audiovisuel publié chaque année, dans le cadre de sa convention de coopération triennale État-région-CNC. Le périmètre des collectivités est identique à celui du Panorama, qui prend en compte la région, les départements, les eurométropoles, les métropoles et les villes, s’il y a lieu. De la même manière, les statistiques se concentrent sur les aides délivrées par la région, le premier niveau d’intervention. Les investissements de la région agrègent ceux octroyés via le ou les contrats d’objectifs et de moyens signés entre la collectivité et le ou les diffuseurs, quand ils existent. Les statistiques autres que celles de Ciclic qui pourraient être citées sont dans tous les cas sourcées. Le choix a été fait de ne pas comparer les chiffres de l’année 2021 et ceux de l’année 2020, sauf cas particulier, l’année de la pandémie ayant été marquée par l’attribution d’aides exceptionnelles, dans certaines régions, par définition non reconduites en 2021.

Remerciements : Pauline Martin et Pierre Dallois à l’agence Ciclic-Centre-Val-de-Loire et la Boucle documentaire.

Série Territoires et Création

photo Pascal Bondis

#1 – L’Occitanie