Le courrier adressé par les organisations professionnelles de l’audiovisuel et du cinéma à François Fillon



ADAMI – ADDOC – AGRAF – ARP – Club des Auteurs – EAT – FNSAC-CGT – Groupe 25 Images –ROD – SACD – SCAM – SEDPA – S.F.A.A.L – SFA-CGT – SFR-CGT – SNAC – SNTPCT – SNTR-CGT – – SPFA – SPI – SRF – UGS – USPA

Paris, le 23 janvier 2008,

M. François FILLON
Premier Ministre
Hôtel Matignon
57, rue de Varenne
75007 PARIS

Monsieur le Premier Ministre,

Nos différentes organisations professionnelles ont pris acte de la décision du Président de la République d’organiser la suppression d’ici janvier 2009 de la publicité sur les antennes du groupe France Télévisions. Elles souhaitent désormais attirer votre attention sur ce projet, dont la philosophie pourrait aller dans le bon sens en levant des contraintes publicitaires qui peuvent encourager une uniformisation des œuvres ou freiner les prises de risque éditoriales, mais dont les contours, encore largement méconnus, en particulier sur la compensation des ressources, génèrent de fortes inquiétudes.

Le Service public joue un rôle essentiel dans la diversité et le dynamisme de la production française de fiction, de documentaire, d’animation et de spectacles vivants. Nous nous trouvons donc à un instant décisif de l’avenir de France Télévisions et de la création audiovisuelle française.

Aussi, nous avons pris bonne note de la décision et de l’engagement réitéré du Président de la République à maintenir le périmètre du groupe France Télévisions. En effet, le bouquet actuel de cinq chaînes, autour d’une chaîne s’adressant au plus large public qui en constitue l’armature indispensable, permet de s’adresser simultanément et de manière complémentaire à tous les publics à travers une offre diversifiée. Il donne la possibilité à France Télévisions d’affronter un contexte concurrentiel renforcé.

Il n’en reste pas moins qu’un certain nombre d’enjeux restent encore à éclaircir et à trancher. D’ores et déjà, il semble que l’annonce de la décision présidentielle ait eu pour première conséquence d’inciter les annonceurs à envisager dès à présent une alternative à la publicité sur le service public. Par contrecoup, des projets d’œuvres audiovisuelles semblent remis en cause dans l’attente d’une connaissance approfondie du projet de financement et des orientations en termes de contenus qui seront actés par l’Etat.

Dans ces conditions, nous craignons que le projet de suppression de la publicité sur le service public ne conduise à déstabiliser, dès cette année, une entreprise dont le sous-financement chronique pourrait être ainsi encore aggravé et la mission de service public auprès de la création fortement handicapée.

Il va de soi que l’Etat, dont nous avons compris qu’il souhaitait inscrire France Télévisions dans un schéma de développement ambitieux et renouvelé, doit s’engager à assurer les conditions de financement nécessaires à l’exercice de ses missions, dans un contexte où les recettes publicitaires pour l’année 2008 seront à l’évidence très inférieures aux résultats envisagés avant l’annonce du Président de la République.

Nous serons également extrêmement vigilants à ce que le mécanisme de financement qu’il conviendra de mettre en place soit pérenne et dynamique. La légitimité du projet ne vaut qu’à la condition de ne pas dissocier la suppression de la publicité des conditions de sa compensation. En outre, le contrat de service public qui engagera France Télévisions doit être de nature à lier tout à la fois l’excellence et l’ambition des programmes, le recours renforcé à la création française et européenne et le maintien d’un objectif d’audience, gage d’un lien fort entre la nation et son service public.

Nous savons que différentes pistes sont en cours d’évaluation et d’analyse pour compenser financièrement la suppression de la publicité. Nos organisations sont attachées à un financement de la télévision publique reposant sur la redevance audiovisuelle qui reste en France extrêmement faible au regard des modèles de télévisions publiques anglaises et allemandes dont les niveaux sont de l’ordre de 200€ par an. Aussi, la clarification du rôle et du fonctionnement de l’audiovisuel public que vous souhaitez engager avec cette réforme nous semblerait d’autant plus efficace et cohérente qu’elle correspondrait à une hausse significative de la redevance. Toutefois, nous ne saurions rejeter a priori tout autre mode de financement alternatif et complémentaire qui pourrait être proposé dans la mesure où il contribuerait au dynamisme et à la pérennité des ressources du service public.

Il est évident que quelles que soient, au final, la ou les réponses apportées à cette question, elles devront permettre de dégager plus d’ un milliard d’euros pour compenser la suppression des recettes publicitaires, financer les programmes qui remplaceront les plages publicitaires laissées vacantes et éviter de creuser le différentiel de moyens entre le service public et les groupes audiovisuels privés.

Par ailleurs, nous serons particulièrement attentifs à l’évolution du Contrat de service public négocié avec le groupe France Télévisions. Ce chantier doit permettre de donner de nouveaux objectifs au groupe France Télévisions en matière de programmation et d’investissement dans la création, pour proposer à tous les publics une offre ambitieuse, originale et populaire. Le groupe France Télévisions doit rester compétitif en matière d’audience sous peine de voir son existence même mise en cause à terme.

Au regard des enjeux qu’une telle annonce soulève, il nous semble que cette révolution du paysage audiovisuel français ne peut se faire dans la précipitation, et nécessite une réflexion approfondie et partagée associant, aux responsables politiques et aux parlementaires, l’ensemble des acteurs du secteur audiovisuel : scénaristes, réalisateurs, artistes, producteurs, distributeurs, techniciens et salariés du Service Public, diffuseurs traditionnels et opérateurs de nouveaux médias.

C’est pourquoi afin de préparer cette réforme ambitieuse, nous souhaitons la mise en place d’une commission de réflexion diverse et pluraliste composée de personnalités qualifiées afin d’aboutir à un projet innovant et ambitieux pour l’audiovisuel public qui place la création au cœur de son développement et de son identité.

Dans le même temps, l’ensemble des participants de la création audiovisuelle, réunis par la présente demande, sollicite une rencontre avec vous pour vous exposer nos préoccupations et nos propositions. Regrettant de n’avoir pu obtenir une issue positive à la demande de rendez-vous que nous avions déjà formulée en novembre dernier lorsque le Gouvernement avait renié sa parole en reportant sine die la parution du décret sur les obligations patrimoniales des diffuseurs, il nous semble que cette rencontre serait une action utile pour envisager les contours d’une politique audiovisuelle ambitieuse autour d’un service public fort et d’engagements patrimoniaux, notamment des diffuseurs privés, renforcés.

En espérant que vous réserverez à ce courrier une lecture attentive et bienveillante, nous vous prions de croire, Monsieur le Premier Ministre, en notre haute considération.

Pour les signataires,
Pascal ROGARD,
Directeur Général de la SACD
Liste des signataires :
ADAMI
– Société civile pour l’Administration des Droits des Artistes et Musiciens Interprètes
ADDOC – Association des cinéastes documentaires
AGRAF – Auteurs Groupés de l’Animation Française
ARP – Société civile des auteurs, réalisateurs, producteurs
Club des Auteurs
EAT – Ecrivains Associés du Théâtre
FNSAC-CGT – Fédération nationale des syndicats du spectacle de l’audiovisuel et de l’action culturelle CGT
Groupe 25 Images
ROD – Réseau des Organisations du Documentaire
SACD – Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques
SCAM – Société Civile des Auteurs Multimedia
SEDPA – Syndicat des Entreprises de Distribution des Programmes Audiovisuels
S.F.A.A.L – Syndicat Français des Agents Artistiques et Littéraires
SFA-CGT – Syndicat Français des Artistes-Interprètes
SFR-CGT – Syndicat Français des Réalisateurs
SNAC- Syndicat National des Auteurs et Compositeurs
SNTPCT – Syndicat National des Techniciens et Travailleurs de la Production Cinématographique et de la Télévision
SNTR-CGT – Syndicat National des Techniciens et Réalisateurs
SPFA – Syndicat des producteurs de films d’animation
SPI – Syndicat des Producteurs indépendants
SRF – Société des Réalisateurs de Films
UGS – Union-Guilde des Scénaristes
USPA – Union Syndicale de la Production Audiovisuelle

Information > Stéphane Joseph au 01 56 69 58 88