Tribune libre de Jacques Fansten et Guy Seligmann publiée dans le journal Libération



Télé sans pub, chiche ?
par Jacques Fansten, président de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques et Guy Seligmann, président de la Société civile des auteurs multimédia.

Depuis le 8 janvier et l’annonce par le président de la République d’une « réflexion sur la suppression de la publicité sur les écrans de la télévision publique », l’ensemble des professionnels sont sonnés, partagés entre la stupéfaction et l’inquiétude. Faut-il se féliciter ou s’inquiéter de cette annonce ? Trop tôt pour le dire sans doute. Depuis longtemps, les auteurs ont souvent protesté contre le formatage et l’uniformisation imposés par la publicité sur les grilles de programme. Nombre d’entre eux ont rêvé d’un service public débarrassé des contraintes publicitaires. Ce pourrait être une grande nouvelle, mais il y faut quelques conditions. Depuis le 8 janvier, on nous annonce tous les jours qu’elles seront remplies. Pouvons-nous répondre : chiche ?

D’abord, il faut la garantie d’un financement pérenne et dynamique qui, non seulement compense immédiatement les pertes et permette de financer les quelque trois heures quotidiennes de programmes qui se trouveront libérées et qu’il faudra bien alimenter, mais aussi soit en progression régulière dans les années à venir. Rappelons que notre service public de l’audiovisuel souffre depuis longtemps d’un sous-financement constant. Comment faire ? Le choix de la clarté et de la cohérence devrait inciter un gouvernement – si prompt à se référer aux modèles britanniques et allemands dont le succès repose notamment sur des niveaux de redevance élevés, respectivement 181 euros et 204 euros par an – à une revalorisation conséquente de cette ressource naturelle du service public. On nous dit que ce n’est pas là le bon chemin, on nous parle de taxes diverses. Nous craignons que ce soit insuffisant. Le gouvernement doit trancher, mais il doit garantir un système qui durera. Chiche ?

Ensuite, il faut une continuité du périmètre du service public, l’assurance qu’il ne va pas rétrécir au gré d’économies à faire ou de cadeaux à la concurrence. On nous affirme qu’il n’y aura pas de privatisation et qu’il restera multiple et ambitieux. Chiche ?

Au-delà des moyens, cette réforme sera jugée à l’aune de sa capacité à remettre la création au cœur du service public et à renforcer sa singularité et son identité. Un service public de télévision exemplaire, ce sont des programmes de qualité, bien sûr. Mais il doit aussi jouer un rôle d’entraînement pour l’ensemble du paysage audiovisuel. La BBC, qu’on cite si souvent, influence fortement les programmes des chaînes commerciales anglaises. Et nous savons bien que si France Télévisions renouvelle le succès de ses retransmissions théâtrales, il ne se passera pas longtemps avant que des chaînes commerciales ne s’intéressent au théâtre, si longtemps absent de nos antennes. C’est pourquoi il importe de lui garder la volonté de toucher un public large. Car rien ne serait pire, sauf à vouloir organiser le démantèlement futur du service public, que de reléguer France Télévisions dans un ghetto. C’est aussi un choix politique. Chiche ?

Il faudra redéfinir les cahiers des charges de ce service public, a souhaité le président de la République. Solennellement, au nom des auteurs de télévision, nous demandons à être associés à la réflexion. Car cette réflexion doit être plus large qu’une simple négociation, voire un marchandage, entre des diffuseurs et des cabinets ministériels, comme cela se fait couramment. Les programmes sont conçus et réalisés par les talents conjugués des auteurs des œuvres, des producteurs et des diffuseurs. Il est indispensable que, cette fois, ils puissent être partie prenante et confronter leurs points de vue, différents mais complémentaires. Le président de la République affirme souvent sa volonté de dialogue. Chiche ?

Il y aura des choix quantitatifs pour renforcer la vocation du service public d’être un partenaire privilégié de la création : par exemple, l’augmentation des obligations de diffusion des chaînes publiques en les portant à 50 % pour les œuvres françaises (au lieu de 40 %) et à 70 % pour les œuvres européennes (au lieu de 60 %) ; la suppression de l’abattement de 30 % dont bénéficie France 3 dans le calcul de ses obligations d’investissement dans la création audiovisuelle et cinématographique ; un renforcement des engagements au profit du spectacle vivant. Nous voulons aussi participer aux réflexions et aux choix qualitatifs. Non pas pour intervenir sur les choix éditoriaux de chaque chaîne, qui appartiennent aux dirigeants de France Télévisions, mais pour proposer des perspectives pour vivifier la création dans notre pays. Les auteurs ont aussi des choses à dire dans ces domaines. Chiche ?

Par ailleurs, ces nouvelles règles vont bouleverser l’ensemble du paysage audiovisuel. La redistribution des ressources publicitaires qui bénéficiera pour partie à TF1, M6 et aux acteurs de la TNT, rend aussi nécessaire de repenser les obligations de ces diffuseurs dans les œuvres audiovisuelles. Il ne faudrait pas exonérer les télévisions commerciales, et notamment les chaînes de la TNT dont la contribution à la création audiovisuelle et cinématographique est totalement marginale, d’une participation maintenue, voire accrue, au financement de la création au moment même où les transferts de publicité feront croître leur chiffre d’affaires. Tout autant, l’évaporation d’une partie des recettes publicitaires vers Internet ne devra pas intervenir sans qu’une réflexion soit lancée sur les moyens d’assurer une juste contribution au financement de la création par les opérateurs de ces nouveaux médias, qui diffusent des œuvres cinématographiques et audiovisuelles et qui en tirent des revenus publicitaires de plus en plus importants. Cette réforme peut être l’occasion de réguler mieux l’ensemble des relations entre la création, la production et la diffusion. Chiche ?

Nous avons des raisons de nous inquiéter. En octobre dernier, le gouvernement avait décidé de renoncer à la publication de décrets réglementant les obligations d’investissement des diffuseurs dans les œuvres audiovisuelles, textes qui, pourtant, avaient été votés à l’unanimité par le Parlement. Nous en avions retiré le sentiment d’un choix politique qui privilégiait les intérêts à court terme des chaînes commerciales au détriment du respect de la parole donnée. Nous ne demandons qu’à être rassurés. Depuis le 8 janvier, on nous répète que le choix a été fait d’organiser et de défendre un service public de l’audiovisuel sans publicité. Nous ne pouvons que demander aux pouvoirs publics d’être à la hauteur d’un défi qu’ils se sont eux-mêmes lancé. Chiche ?