Guillaume Hidrot, fondateur de la Guilde des vidéastes en 2017 s’entretient avec Ludovic Bassal, journaliste, vidéaste, pour la lettre Astérisque n°66



Ludovic Bassal — Vous êtes l’un des fondateurs et le directeur général de la Guilde des vidéastes, quelle était l’ambition de départ de cette Guilde ?


Guillaume Hidrot
— Il y a quelques années, dans le cadre d’un festival, nous sommes partis d’un constat des vidéastes qui essayaient de résoudre entre eux les problématiques de structuration de leur activité. Ils ont imaginé un moment, un lieu, un moyen d’aborder ces sujets et c’est comme ça que la Guilde est née. Les vidéastes étaient des gens assez isolés, dispersés sur le territoire, contrairement au reste des auteurs et autrices de l’audiovisuel pour lesquels on observe une forte concentration parisienne. Ils avaient donc peu l’occasion de se voir et de discuter de leur métier. Dès le départ la volonté de la Guilde des vidéastes a été de se fédérer pour partager les problématiques et susciter une entraide collective et, bien évidemment, de faire entendre les besoins des vidéastes à l’échelle nationale. Il s’agissait aussi d’avoir plus de poids auprès de tous les acteurs publics et privés de cette nouvelle branche de l’audiovisuel.


Combien y a-t-il de membres de la Guilde actuellement ?


G.H
. — Aujourd’hui nous sommes environ deux cents : vidéastes, assistants de production, etc. Des personnes qui ont en moyenne entre 20 et 30 ans et qui gravitent autour de tout cet univers de la vidéo.


La Guilde des vidéastes représente quels répertoires ?


G.H
. —  Le nom véritable de la Guilde est « Fédération professionnelle des métiers de la création audiovisuelle diffusée sur internet ». Cela veut dire que toute forme de création dans le domaine du réel, de la fiction, de la vulgarisation, de l’humour, etc., toute production de la web création entre dans le champ d’action de la Guilde. C’est un très vaste répertoire.


Quelles sont les problématiques rencontrées par les vidéastes ?


G.H
. — La Guilde accompagne les vidéastes notamment pour les questions socio-économiques. Elle est essentiellement dédiée à tout ce qui relève du fonctionnement administratif autour de la création. Créer une vidéo demande des compétences artistiques, mais également une gestion administrative. Les vidéastes sont des artistes-auteurs, des producteurs, ils ont une multiplicité de revenus différents. Ils doivent s’organiser, car créer une structure demande des connaissances particulières. La Guilde travaille également avec des sociétés d’auteurs, la Scam par exemple, mais aussi en lien avec l’État, le Conseil d’État, pour expliquer ce qu’est un vidéaste quand se profilent de nouvelles lois sur la profession. Nous sommes un peu le médiateur entre les deux univers : les créateurs et les instances gouvernementales ou celles qui gèrent les droits d’auteur.


Quel est le modèle économique des vidéastes ?


G.H
. — Il existe une multitude de modèles économiques. Les revenus de la publicité, les revenus d’auteur, les partenariats, le placement de produit, le financement participatif, etc. Toutes ces sources de revenus exposent les vidéastes à autant de charges différentes, de TVA différente, d’organisation différente. Nous intervenons justement sur cette partie du métier qui comprend la gestion d’activité, les conseils juridiques, économiques ou de gestion. Toute la partie la plus difficile à appréhender pour les vidéastes puisqu’elle est la plus éloignée de la une vidéo l’auteur reçoit une rétribution qui est liée à l’achat d’espace par des annonceurs. Ces publicités sont placées avant, pendant, après la vidéo et sont un peu maitrisées par le vidéaste. 


C’est au vidéaste de décider d’activer ou pas la monétisation ?


G.H
. — Exactement. Il y a des critères au départ pour pouvoir accéder à la monétisation, il faut totaliser un nombre de vues, d’heures de visionnage, etc. Il faut savoir que la majorité des chaînes sur YouTube ont moins de 1000 abonnés et ne sont pas des chaînes professionnelles, elles n’ont pas accès à la monétisation. D’ailleurs YouTube a encore augmenté ces critères pour que la monétisation se fasse sur des contenus qui avaient déjà une certaine forme de récurrence qui tend à la professionnalisation. Ensuite, cette monétisation est conditionnée par la saisonnalité. La période à laquelle une vidéo est diffusée va changer le ratio de monétisation. C’est comme les marchés en marketing, on ne vend pas le même espace publicitaire à la période de Noël qu’au mois d’août, on n’a pas les mêmes audiences.


Il est très difficile de quantifier les revenus liés à la monétisation YouTube ; le fameux CPM (coup par mille vues) diffère-t-il d’une chaîne à une autre ? 


G.H
. — Oui, cela dépend du type de contenu auquel les annonceurs vont vouloir s’associer ou pas. C’est pourquoi on a vu apparaître tous les types de revenus alternatifs à la monétisation pour compenser cette difficulté. Il faut faire énormément de volume de vues pour que seule la monétisation YouTube suffise à subvenir au moyen du vidéaste.


On peut préciser qu’une vidéo monétisée par une publicité rapporte bien moins d’un euro brut pour mille vues. 


G.H.
— Ça reste en dessous de ce palier-là, ce qui a conduit à développer toutes les autres formes de financement. Quand on revendique une communauté qui suit le vidéaste, on entre dans l’économie de ce qu’on appelle « l’influence». Le ou la vidéaste devient donc « influenceur » à travers cette communauté. On pourra lui proposer du placement de produit, du partenariat institutionnel, avec plus ou moins de cohérence avec le contenu. Certains vidéastes ne prennent que des partenaires dans leur théma création elle-même.


En quoi consiste la monétisation sur YouTube ?


G.H
. — Le principe est le suivant : en fonction du nombre de vues que fait tique. D’autres sont plus ouverts parce que ça permet justement de continuer à vivre et à créer. Sont arrivés aussi les financements participatifs, c’est-à-dire solliciter directement la communauté sous forme soit de petits pourboires chaque mois, de « tip» comme on dit, soit de dons unitaires sur de gros projets par exemple. Il existe également de plus en plus d’aides financières.


C’est un bon signe pour la professionnalisation ?


G.H
. — Ce qui est bon signe, c’est que ces aides, dont le CNC ou la bourse Brouillon d’un rêve Impact de la Scam, donnent une forme de légitimité à cette création. Pendant longtemps, et encore un peu aujourd’hui, on a considéré qu’un vidéaste est quelqu’un de jeune, qui fait des vidéos dans sa chambre sur une webcam, et que c’est plutôt un loisir. Parler de professionnalisation pouvait même paraître antinomique. Alors qu’en réalité tout cela fait partie de l’industrie créative de l’économie numérique. Ces aides viennent légitimer la création, elles donnent une assise aux créateurs et créatrices et leur confèrent une place dans la culture française.


D’ailleurs depuis quelques années, les vidéastes peuvent bénéficier de droits d’auteur, c’est aussi une belle avancée pour cette profession, non ?


G.H
. — C’est plus qu’une belle avancée, c’est le premier signe d’une professionnalisation réelle et concrète qui ait été mis en œuvre à destination des vidéastes. Par exemple quand la Scam a signé des accords avec YouTube, elle a permis aux vidéastes qui déclarent leurs œuvres de percevoir des droits sur les diffusions. Ils sont maintenant reconnus comme artistes-auteurs, donc ils peuvent déposer leurs œuvres et les protéger, mais aussi toucher des droits d’auteur comme n’importe quel auteur en France. C’était la première fois qu’on leur reconnaissait ce statut, et c’est la première marche vers une professionnalisation. Mais ce n’est pas totalement suffisant aujourd’hui, puisqu’un vidéaste est à la fois un artiste-auteur et un producteur.


Si la première activité est reconnue, il faut encore travailler sur la seconde. En France, combien de vidéastes vivent de cette profession ?


G.H.
— On parle de l’équivalent de 15000 emplois à temps plein sur l’entièreté des domaines portés sur la plateforme YouTube. On peut dire que ce n’est plus une économie marginale, mais une industrie créative. Pour ce qui est des vidéastes, je pense qu’ils sont plusieurs milliers à en vivre. Un autre indicateur de la bonne santé de la création web sur le territoire français, c’est qu’en 2019 plus de 300 chaînes ont dépassé le cap symbolique du million d’abonnés. C’est loin d’être anodin pour un pays francophone, on n’a pas la diffusion territoriale des anglophones, le bassin d’audience est plus petit. Pourtant, comparé à un pays européen de population équivalente comme l’Allemagne, on a quasiment deux fois plus de créateurs au-delà du million d’abonnés. Donc la création française, en particulier sur YouTube, se porte plutôt bien, et elle a doublé en deux ans, entre 2017 et 2019. Je pense qu’on n’a pas fini de voir arriver de nouvelles vagues de vidéastes avec leur originalité et une montée en gamme de la qualité.


À ce propos, en tant que créateur, faut-il avoir un certain standard, une exigence de qualité, même quand on démarre sur YouTube ? 


G.H
. — Oui, quand on interroge des vidéastes qui sont là depuis huit ou dix ans, ils racontent qu’au début on ne pouvait pas poster de vidéo de plus de dix minutes sur YouTube, que la qualité ne dépassait pas 480 px, le matériel n’était pas au niveau du matériel actuel. Maintenant on se procure facilement des stabilisateurs, des super micros. Cette évolution technologique a facilité la création et augmenté la qualité. À l’heure actuelle, les standards commencent à être posés et la qualité n’a rien à envier aux médias audiovisuels type télévision ou cinéma.


Ce qui légitime aussi la professionnalisation de ce métier.


G.H.
— Absolument. On sait ce qu’est un monteur, un réalisateur, un auteur, ces métiers existent déjà. La particularité des vidéastes, c’est qu’un seul individu peut cumuler toutes ces fonctions pour créer des vidéos. Et quand on voit la qualité de ce qui est créé aujourd’hui, on peut dire qu’il y a une formidable professionnalisation qualitative qui s’est opérée ces dernières années. C’est réjouissant !


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