La Cinémathèque du documentaire poursuit sa programmation en ligne en attendant l »écrin de la BPI. Partez à la découverte des films des deux grandes réalisatrices Helena Třeštíková, cinéaste tchèque dont l’œuvre est encore confidentielle en France, et Marie Dumora, qui poursuit un parcours exemplaire encore trop peu reconnu dans son propre pays. Autre temps fort, le séminaire de Stéphane Breton sur l »art du récit dans le cinéma documentaire.



Ciné-conférences EHESS

Mercredi 3 février à 14h00
*Quelques jours ensemble
de Stéphane Breton

Brouillon d’un rêve documentaire 2011
France – 90’
Dans un train lancé à travers l’hiver russe à la vitesse d’un âne au galop, la caméra rencontre un géant affable sur qui la couleur des banquettes semble avoir déteint. Ancien tankiste de l’Armée rouge embarrassé dans sa peau d’ours, c’est sûrement pour oublier sa solitude qu’il fait bon accueil à tout ce qui s’approche de lui. Pendant que les passagers boivent du thé sans y penser tout en se débarrassant de leur âme déçue par la fenêtre, il se penche naïvement vers eux et les écoute. Que de récits, que d’histoires à couper au couteau, que de conteurs ! Le wagon de troisième classe garni de couchettes sur lesquelles on peut rêvasser toute la journée ressemble comme deux gouttes d’eau à une boîte remplie de souvenirs. Un train et un film, c’est tout un.

Mercredi 10 février à 14h00
*Le plein pays
de Antoine Boutet

Brouillon d’un rêve documentaire 2008 et Étoile de la Scam 2011
France – 58’ – 2009
Faire le portrait d’un homme hirsute en le suivant pas à pas dans les bois, observer froidement ses travaux et ses jours, compter les trous qu’il creuse et écouter ses chansons, voilà une des rares formes de récit possible au cinéma qui soit impraticable en littérature, même celle de Beckett qui nous parle pourtant d’un type qui fait passer des cailloux d’une poche à l’autre non sans les avoir longuement suçotés à mi-course. Pourquoi ? Sûrement parce qu’il manque à celle-ci le temps et la présence. Mais dans le film d’Antoine Boutet il y a quelque chose de plus. Entrant et sortant d’un cadre fixe et impassible qui semble lui préexister de toute éternité, le personnage donne parfois l’impression que c’est à lui qu’il revient de suivre la caméra, comme si pour celle-ci raconter consistait à être toujours déjà là.

Mercredi 24 février à 14h00
*Nous
de Artavazd Pelechian


Prix Scam Audiovisuel pour l’ensemble de l’œuvre

USSR – 30’
Artavazd Péléchian, cinéaste arménien peu connu mais universellement admiré et dont l’œuvre entier ne dure pas plus de trois heures (le dernier tiers ayant été ajouté avant-hier), rappelait à Jean-Luc Godard la distinction de méthode et non de finalité qu’on fait en russe entre « cinéma joué » et « cinéma non joué ». Elle est plus significative que l’opposition superficielle du « cinéma de fiction » et du « cinéma documentaire », comme si l’un devait broder une fable tandis que l’autre siégeait à la caisse (toujours vide). Ce dernier pourtant, construit par le montage, que Péléchian préfère appeler « la mesure de l’ordre », voulant dire par là qu’il s’agit d’établir des proportions entre les parties, n’est pas moins que l’autre hanté par une ambition artistique, et on pourrait même dire : par une ambition musicale. Y a-t-il quelque chose qui ressemble à un récit, dans la musique ? Y a-t-il quelque chose qui ressemble à un récit, dans le cinéma de Péléchian.

*La Fin
de Artavazd Pelechian

Arménie – 9’
Dans le train de Moscou à Erevan, Pelechian filme, caméra à l'épaule, des hommes et des femmes d'âges et d'ethnies différentes. Tous pris dans le défilement du voyage, ensemble malgré eux, toute figure se dilue dans sa contemplation et tourne à l'abstraction. « Fin » est un hymne au voyage où l'action est rythmée par le son des wagons sur les rails. « Fin » compose un diptyque avec le film « Vie ».


Cycle Helena Třeštíková, Marie Dumora : lignes de vie

La cinéaste tchèque Helena Třeštíková et la cinéaste française Marie Dumora développent chacune une singulière esthétique de la rencontre. Elles filment avec une infinie patience des êtres et leurs familles – de cœur ou d’infortune – en revenant sans cesse auprès d’eux. Cette fréquentation assidue, fidèle, est une expérience commune d’observation participante, au plus près de la vie.

Elles partagent ensuite avec le spectateur une expérience de faire ensemble sous la forme de récits, qui sont pour leurs « personnages » autant d’odyssées. Des lignes de vie grandissent ainsi sous nos yeux, au fil du temps, s’entrecroisent parfois par ricochets.

Car pour les deux cinéastes, attentives aux êtres en marge, filmer les gens simples – ceux qui ne laissent pas de traces -, filmer les démunis ou les réprouvés relève d’une démarche profondément personnelle, qui n’est ni de la sociologie, ni du journalisme.

Quand Helena Třeštíková filme Vojta, elle ne filme pas les Roms mais un musicien tchèque. Quand Marie Dumora filme Sabrina, elle ne regarde pas les Yéniches mais accompagne une enfant des foyers. Quand Třeštíková rend visite à René, elle ne filme pas l’institution de la prison ; de même Marie Dumora ne s’intéresse pas aux services sociaux alsaciens.

Toutes les deux observent en revanche des êtres qui cherchent leur place, souvent en rupture avec la société ; des lignes de vie plus forte que l’infamie ou le déterminisme social. Belinda, Katka, Sabrina, Mallory et les autres avancent ainsi vaille que vaille, développant des formes farouches de résilience, des anticorps à leur assignation et leur désespoir. L’issue est fragile, incertaine, mais la vie se révèle encore et toujours plus forte.

Cette première rétrospective française de l’œuvre d’Helena Třeštíková met en évidence un cinéma qui s’élabore sur la (très) longue durée. Contemporaine des expériences longitudinales de Michael Apted (The Up series), Barbara et Winfried Junge (Die Kinder von Golzow) ou Michel Fresnel (Que deviendront-ils ?), Třeštíková travaille la sérialité documentaire selon des modalités précises. Au montage, elle ordonne chronologiquement chaque séquence pour restituer l’expérience d’une vie, dans la durée condensée du film. Le résultat est souvent vertigineux. Elle s’inspire d’une technique aussi ancienne que le cinéma, le résumé-accéléré ou time-lapse en anglais.
Son dernier film Anny est présenté en première mondiale dans une salle de cinéma.

Avec cette première rétrospective française de l’œuvre de Marie Dumora, c’est un territoire de cinéma qui se dévoile au fil des rencontres, par rebonds exploratoires. Un territoire marqué par l’enfance, puis l’adolescence à l’heure où tout peut basculer ; un territoire qui est celui des marges du pays, entre Alsace et Lorraine, à la découverte de Français yéniches ou manouches.

Son dernier film Loin de vous j’ai grandi est présenté en avant-première de sa sortie dans les salles de cinéma.

Mercredi 17 février à 20h00, dimanche 21 février à 17h00 et samedi 27 février à 20h00

*Belinda
de Marie Dumora


Brouillon d’un rêve documentaire 2014 et Étoile de la Scam 2020

France – 107’ – 2016
Belinda a 9 ans, elle aime la neige, la glace pour glisser, plus encore sa sœur avec laquelle elle vit en foyer. On les sépare. Belinda a 15 ans, pas du genre à travailler dans un magasin de chaussures, en mécanique à la rigueur. Belinda a 20 ans, elle aime de toutes ses forces Thierry, ses yeux bleus, son accent des Vosges et veut se marier avec lui coûte que coûte.

Dimanche 28 février et samedi 6 mars à 20h00
*Forbach Swing
de Marie Dumora


Brouillon d’un rêve documentaire 2011

France – 109’ – 2019

À Forbach, dans le quartier manouche du Holweg dit “Le trou”, trois rues : la rue des Coquelicots, la rue des Jonquilles et la rue Stéphane Grappelli. Dans chaque maison et chaque caravane : un musicien. Les hommes y vivent de la musique avec bonheur et panache depuis la nuit des temps.


Les yeux doc à midi

Vendredi 22 janvier à 12h00
*Killing Time, entre deux fronts
de Lydie Wisshaupt-Claudel

Brouillon d’un rêve documentaire 2011 et Étoile de la Scam 2020
Belgique – 88’ – 2015
Un camp d’entraînement de Marines américains, dans le désert du Mojave, au sud de la Californie. Un lieu qu’on appelle Twentynine Palms (29 Palmiers). Entre deux missions en Irak ou en Afghanistan, la vie des soldats s’écoule paisiblement en ville, au rythme des séances de tatouage et des fréquents arrêts au salon de coiffure.

Vendredi 29 janvier à 12h00
*Distinguished Flying Cross
de Travis Wilkerson

Prix international 2011 de la Scam au Cinéma du réel
États-Unis – 60’ – 2011
Un ancien militaire ayant servi dans l’armée de l’air américaine lors de la guerre du Vietnam, assis avec ses deux fils à la table familiale, face à la caméra, leur raconte comment il fut décoré de la « Distinguished Flying Cross ».

Vendredi 26 février à 12h00
*De guerre lasses
de Laurent Bécue-Renard


Étoile de la Scam en 2006

France – 2003 – 105'
Sedina, Jasmina, Senada, trois femmes, trois jeunes villageoises européennes. Au cours de la guerre de Bosnie (1992-1995), leur univers s’est effondré. Quelques années après, elles emménagent avec leurs enfants dans une maison appartenant à l’association Vive Zene à Tuzla (Bosnie). Elles y entreprennent pour quatre saisons une psychothérapie, entamant ainsi un processus vital pour se reconstruire.

Vendredi 5 mars à 12h00
*Parler avec les morts
de Taina Tervonen


Brouillon d’un rêve documentaire 2016

64’ – 2020
En septembre 2017, un charnier est découvert à Vlasiic, au nord de la Bosnie. L’équipe de médecine légale exhume les ossements de plus de 200 hommes, exécutés le 21 Août 1992. Travaillant pour l’ICMP, une organisation internationale, Darija Vujinovic sillonne le pays à la recherche des proches des disparus.


Retrouvez l'ensemble de la programmation sur le site de la Cinémathèque du documentaire.