Les éditos de Laëtitia Moreau, présidente de la Scam de 2019 à 2021, et Rémi Lainé, président de la Scam.

Indispensables traits d’union

Par Laëtitia Moreau, présidente de la Scam de 2019 à 2021

Dans son dernier ouvrage, Par instants, la vie n’est pas sûre*, Robert Bober s’agace de ce que nos contemporains se félicitent que le réalisateur d’un documentaire se fasse oublier, se rende invisible. Pour lui, l’essence même de notre métier, et quelle fut ma joie de le lire, c’est d’être là, totalement présent au présent. Si présent que notre regard transforme la réalité. « Nous nous plaignons souvent de véhiculer un matériel technique trop encombrant, écrit-il. Cet encombrement est peut-être une chance. Il nous permet de ne jamais nous faire totalement oublier. Aussi faut-il accepter ce fait : ce que l’on montre n’est jamais l’exacte vérité, mais la vérité transformée par notre présence. » Et de la même façon que notre regard transforme le réel, notre présence au monde, au monde culturel depuis bientôt quarante ans en tant que société d’auteurs·ices a transformé notre réalité. Partis de rien, ou presque, les autrices et les auteurs du Réel, grâce à l’action sans relâche de ses fondateurs, de ses membres et de ses services, tous impliqués dans la défense de nos droits et dans la reconnaissance de nos œuvres, ont réussi à nous imposer pour ce que nous sommes, des traits d’union indispensables pour connecter le passé et le présent, le privé et le public, le caché et le révélé, l’intime et l’universel. Modestes et indispensables traits d’union.

C’est ce qui aura marqué ces deux années de présidence : la volonté de rapprocher, de dialoguer, de négocier. Une impulsion nécessaire en ces temps chahutés, des temps où plus que jamais, « par instants, la vie n’est pas sûre ». Nous avons hélas, cette année, perdu beaucoup d’ami·es, auteurs, autrices qui resteront dans nos cœurs et nos mémoires. Pour faire face à ces circonstances exceptionnelles, nous avons travaillé pour débloquer des aides d’urgence, répondre à toutes les sollicitations, à toutes les inquiétudes… Travailler à négocier de nouveaux accords avec les producteurs et avec les chaînes. Des accords toujours en cours de négociation pour obtenir une charte de bonnes pratiques qui sera historique si elle aboutit, des accords avec de nouveaux acteurs du secteur audiovisuel pour lesquels la culture du droit d’auteur à la française est une invitation à visiter une autre planète. La rencontre s’est faite, les accords sont là. La mobilisation des services de la Scam a été exceptionnelle et en quelques jours, après l’annonce du premier confinement, plus de cent salariés se sont mis à télétravailler pour assurer les services de la Scam et le versement de nos droits. Les mois à venir sont décisifs pour soutenir la création documentaire et audiovisuelle en général, nous serons vigilant·es et exigeant·es pour défendre ce qui reste une exception française. Nous le serons aussi pour que la parité soit la règle dans nos métiers. Que les morceaux de choix, les films et les reportages les mieux exposés et financés ne soient plus le privilège de quelques-uns, toujours au masculin. Nous nous sommes engagés à publier tous les ans une étude pour savoir où en est notre secteur en la matière. Beaucoup de chantiers sont en cours, notamment celui du statut de l’artiste-auteur ne doit pas être enterré sans fleur ni couronne, car c’est une nécessité de créer un vrai statut pour nombre d’autrices et d’auteurs qui n’entrent dans aucune case et vivent souvent dans une grande précarité.
Ces deux années nous auront toutes et tous marqués, et même si nous sentons confusément que rien ne sera plus comme avant, sans vraiment discerner les traits de la réalité à venir, j’espère que nous pourrons reprendre le cours de la vie, la vie en grand, la vie en vrai. Je pars vers d’autres chemins, d’autres histoires, d’autres rencontres, et garderai toujours le souvenir de cette expérience « extra-ordinaire » et la gratitude envers mes pairs de m’avoir fait confiance durant ces années qui furent à n’en pas douter les plus difficiles depuis que la Scam existe. C’est Rémi Lainé, sans qui je n’aurais peut-être pas réalisé de documentaire puisque c’est lui qui m’a présenté Daniel Karlin dont je suis devenue l’assistante…, c’est donc Rémi que je salue chaleureusement qui reprend le flambeau, all inclusive, c’est-à-dire parité et écriture inclusive en héritage après huit ans de présidence féminine… !
Balloté·es par les vagues successives de l’épidémie, nous croisons les doigts pour fêter haut les cœurs nos quarante ans ! Quarante ans, c’est entrer de plain-pied dans la maturité tout en gardant, je l’espère, cette impertinence propre à la petite dernière que personne n’attendait, fidèle à l’esprit de ce qui l’a fondée. Quand la réalité dépasse la fiction, tout est possible.

*Prix Billetdoux de la Scam. Le titre de ce livre est extrait de La Nonchalance de Pierre Dumayet, à qui il est adressé.


De genres et de mots

Par Rémi Lainé, président de la Scam

Pour la première fois dans l’histoire des JO s’est couru cet été un relais 4×400 mètres mixte, deux femmes et deux hommes dans chaque équipe. Et ce même été, pour la première fois dans l’histoire de la Scam, une femme, Laëtitia Moreau, passe le témoin à un homme, votre serviteur. Dans son mandat hors norme qu’elle a su mener avec un impressionnant brio contre vents et Covid, j’étais son équipier. Je donnerai à mon tour tout mon souffle pour notre collectif.
Je souscris à toutes les belles lignes écrites par Laëtitia. Comme je ne saurais rien formuler de mieux, que le mot quarantaine sonnait grave et sanitaire ces derniers temps, et que l’on s’était promis, manière de changer d’ère, de passer celle de la Scam sur un ton léger, pourquoi ne pas démarrer en chanson, avec Dalida ? « À quarante ans, on est une femme tout simplement, on a la force et l’expérience… » Si « on » est indéfini par définition, la Scam est bien née du genre féminin et ses quarante ans, elle les affiche avec fierté.

Il a fallu trente-deux ans pour que la présidence de la Scam s’accorde enfin une présidente*. Ironie du sort, si de tout mon mâle-être, je crois avoir œuvré pour féminiser nos instances, je succède à trois présidentes – et quelles présidentes ! La Scam ne s’est jamais aussi bien portée dans la force et l’expérience. Merci Julie, merci Anne et Laëtitia : on vous doit tant.
Le langage, paraît-il, structure la pensée et agit sur les mœurs… Cet imbécile de correcteur automatique me propose « morues » quand je tape « mœurs », on se demande si dans « intelligence artificielle », il ne faut pas surtout retenir l’adjectif. Les MŒURS, écrivais-je donc. Ce n’est pas moi qui le dis mais les linguistes. « La pensée vient à l’existence à travers les mots. » Consciente de cette faculté propre à l’homme – et la femme est ici à mettre dans le même panier –, la Scam sous l’impulsion de ses présidentes successives a adapté son verbe, abrogé le temps des auteurs et institué celui des auteurs et des autrices, avec les conséquences orthographiques que ça implique.

Quelques sourcils se sont froncés, certains s’en sont formalisés. Certaines aussi, d’ailleurs. Ils et elles ne sont pas les seules : l’Académie française, grande dame très masculine, s’érige vent debout contre « l’aberration inclusive » qui constitue à ses yeux rien de moins qu’un « péril mortel » pour la langue française. Bigre ! Un certain nombre d’académiciennes et d’académiciens compte parmi nos membres éminents, je n’ose imaginer leur tête si d’aventure ces lignes tombaient sous leurs yeux. Mais je m’égare.
Sans vouloir (se) noyer (dans) les genres, il nous est venu l’idée de franchir encore un pas pour ajuster les mots et les genres. Dans un souci pratique, d’abord. Cette décision d’ajouter systématiquement le féminin au masculin finit par peser sur les textes : les notes se surchargent, les communiqués s’allongent, les formules s’alourdissent.
Voilà que la lumière nous vient peut-être de la parlure québécoise. Nos cousins-cousines d’outre-Atlantique qui n’ont pas leur pareil pour inventer des locutions décoiffantes utilisent « auteurice ». Et pourquoi pas « prendre une marche » chez eux ? Nous voilà avec un substantif clé en main fémino-masculin qui veut dire ce qu’il veut dire.

Mais à force d’étirer les mots, je risque de tomber dans le piège, non pas de l’inclusion, à mes yeux une vertu, on l’aura compris, mais de la conclusion, « la bêtise [consistant] à vouloir conclure » à en croire Flaubert. Je devais parler de nos quarante ans. Parti de Dalida, la pente était raide pour évoquer, avec le sérieux attendu du nouvel élu, les grands chantiers, ceux qui nous mobilisent, ceux qui s’ouvrent à nous, vastes et nombreux : je suis déjà au front en votre nom, porté par votre force et vos expériences. Et pour tutoyer les sommets, je m’en remettrais bien à Queneau : « Avec quarante ans d’âge, j’ai pris le pucelage de la maturité… » Si on ne connaît pas tous ses atours futurs, je dirais que notre maison a de beaux jours devant elle. Et nous allons les faire briller ensemble.

Ensemble
est un mot épicène. Il ignore les genres.

*Successeurs (autre mot épicène jusqu’à nouvel ordre) de Jean-Xavier de Lestrade (2011-2013), homme de la transition : Julie Bertuccelli (2013-2015), puis Anne Georget (2015-2017), puis à nouveau Julie Bertuccelli (2017-2019) et Laëtitia Moreau (2019-2021).


Au sommaire

Il était une fois la Scam, Antoine Perraud – p°6
40 ans de lutte au service du droit d’auteur, Sylvie Fagnart – p°10
Les enjeux du futur, Hervé Rony – p°14
Pour qui travaille le journaliste ? #3 Longtemps je ne me suis jamais posé la question, Denis Robert – p°16
Quand la réalité dépasse la fiction – p°20
Miroir brisé, Philippe Pujol – p°22
S’inspirer du réel pour en élargir l’horizon, Nadia Nakhlé – p°24
Vous voyez quelque chose ? Oui, des merveilles, Stefano Savona – p°27
La liberté pour atteindre le réel, Emilienne Malfatto – p°29
Saisir des gouttes de réel, Alexis Pazoumian – p°31
Tricoter les fils du réel et de l’intime, Fanny Lacrosse – p°33
Le réel aux sources de l’intime, Anouk Perry – p°35
C’est ainsi que le réel dépasse la fiction, Randa Maroufi – p°36
L’aventure du réel, Gildas Leprince – p°37
Le réel se suffit à lui-même, Raphaël Krafft – p°39
Catherine Zask graphiste pour la Scam – p°42