Les prix Albert Londres 2001 ont été remis à Reims

Prix de la presse écrite : Serge Michel – Le Point, Le Figaro

Né en 1969 à Yverdon (Suisse), licencié de sciences politiques à Genève, Serge Michel a commencé sa carrière journalistique en réalisant des reportages pour Le Journal de Genève, de 1989 à 1991.
Correspondant à Zurich pour Le Nouveau Quotidien puis Le Temps de 1996 à 1998, il a traité l’affaire des fonds juifs et de l’or nazi, les fusions bancaires, l’intégrisme catholique en Suisse orientale…
Depuis 1999, il est correspondant pigiste à Téhéran pour Le Figaro, Le Point et Le Temps.
Il a été élu au 3e tour par 12 voix sur 19. Ont également obtenu des voix : Marion Van Renterghem (Le Monde), Christophe Deloire (Le Point), Pascal Jalabert (La Dépêche du midi) et François Dufay (Le Point).
Il est le premier journaliste de nationalité suisse à être élu au Prix Albert Londres.

 

Prix audiovisuel : Danielle Arbid pour Seule avec la guerre

Produit par Movimento – 58′ – 2000 – diffusé sur Arte le 30/11/2000.
Née en 1970 à Beyrouth, Danielle Arbid passe ses premiers dix huit ans au Liban, qu’elle quitte un an avant la fin de la guerre civile pour effectuer des études de lettres et de journalisme à Paris. Elle travaille dans la presse écrite pendant six ans de façon régulière pour Courrier International, comme pigiste pour Les Échos, Libération, le Magazine
littéraire…, couvrant notamment l’actualité du Monde arabe. En 1998, elle
réalise grâce au GREC, Groupe de recherches et d’essais cinématographique
son premier court-métrage de fiction « Raddem (Démolition) » sur une femme qui
cherche la photo de sa maison dans Beyrouth ravagé. En 1999, Danielle Arbid réitère avec un autre court-métrage « le Passeur », son premier film en français, qui suit les pérégrinations d’un kurde, réfugié politique, à Paris.
Entre-temps, Danielle Arbid écrit et réalise un documentaire dans le cadre d’une soirée thématique, qu’elle propose à Arte, intitulée « Après la guerre ». Son film, « Seule avec la guerre », tourné à Beyrouth, a obtenu le 17e Prix Albert Londres, mais aussi le Léopard d’argent de la compétition vidéo au festival de Locarno 2000, le prix oecuménique au festival de Leipzig en Allemagne, la mention spéciale du jury au festival Dei Popoli à Florence, et le prix du meilleur premier film à Hot Docs Toronto. Danielle Arbid développe actuellement le scénario de son premier long-métrage de fiction, « Dans les champs de Bataille » pour lequel elle a obtenu la bourse en développement du meilleur scénario au festival de Montpellier en 99. Elle prépare aussi son second documentaire intitulé « Frontières », avec l’aide de la villa Médicis hors les murs et du Centre national de la cinématographie. Et elle tourne en juillet prochain, à Paris, un moyen-métrage de 45′, intitulé « la Repasseuse ».
Danielle Arbid a la double nationalité : française et libanaise.


Lettre de Téhéran
Un mouton sur ma note de frais

Les jurés Albert Londres m’ont décerné leur prix il y a trois semaines. Que Dieu les garde. Mais il y a quelque chose qu’ils ignorent : j’ai triché! A la mi-avril, lorsqu’on m’a demandé d’envoyer mon dossier, j’ai interrogé un ami, mollah de son état : « Comment font les Iraniens pour influencer le destin? » Réponse: « Promets, si Dieu t’écoute, de sacrifier un mouton pour les pauvres de ma mosquée ».
Vendredi dernier, de bonne heure, je suis donc allé payer ma dette au Tout Puissant. Le mollah nous attendait en grande tenue, devant sa mosquée, tout au sud de Téhéran où la métropole de douze millions d’âmes se dissout dans la chaleur sèche du désert.
Nous voilà bientôt entassés dans un taxi, à la recherche du mouton. « Combien tu veux mettre? » demande le type qui en élève une trentaine au fond d’un dépôt de cageots et de radiateurs où travaillent au noir autant d’Afghans émaciés. Je sors une liasse de « Khomeyni », il compte et attrape un mouton pas trop moche, qui me regarde d’un air bizarre. Cinquante kilos, dans le coffre du taxi.
Retour à la mosquée. On offre de l’eau au mouton, pour faire mieux que les Sunnites (en 680, ils ont décapité l’Imam Hossein assoiffé). Quand le boucher arrive enfin, il oriente l’animal vers la Mecque et lui taille la gorge d’un coup sec. Dernières convulsions, la vie quitte mon mouton dont la découpe commence aussitôt. La peau pour payer le boucher, les pattes et la tête pour le concierge, le coeur et le foie pour moi (mais j’ai l’appétit coupé), dix morceaux pour le comité de la mosquée et trente pour les familles pauvres du quartier.
La comptabilité de mon journal ne s’étonnera donc pas de trouver un mouton sur ma prochaine note de frais. Après tout, entre deux billets de paquebots, Albert Londres inscrivait bien une somme pharaonique dans ses notes de frais, sous sa rubrique « on est pas en bois ».

Serge Michel, Téhéran, 10 juin 2001