Avec une trentaine de stations en France, les radios étudiantes du réseau Campus forment chaque année de nombreux auteurs et autrices radio. Un réservoir dans lequel viennent puiser les radios du service public, les radios commerciales et les studios de podcasts. Un article du journaliste Hervé Marchon, pour la lettre Astérisque n°63.

Quand on lui demande de raconter l’histoire de Radio Campus Paris, qui a fêté ses vingt ans en juin 2018, Christophe Da Cunha, directeur des programmes, bafouille quelques banalités : « Je crois que la radio a été créée dans une chambre de bonne par trois étudiants de l’École des arts et métiers. Et puis elle a grandi. » Avant de s’excuser :
« À Campus Paris, on se retourne rarement sur le passé. Notre histoire est devant nous. » Radios associatives produites par et pour les étudiants et les étudiantes, les Radios Campus sont vingt-sept en France, fédérées en réseau (lire entretien ci-contre). Elles voient arriver chaque année de nouveaux bénévoles au gré des rentrées universitaires : les programmes se renouvellent, l’histoire n’est pas écrite, elle se vit, l’esprit de la radio se transmet à l’antenne. « Une émission qui a plus de cinq ans est une émission ancienne », estime Charlène Nouyoux, ex-présidente de Radio Campus Paris, aujourd’hui réalisatrice pour Nova.

L’heure est pourtant aux anniversaires, prétexte à quelques bilans. Cette année, Radio Campus Besançon fête ses vingt ans, Campus Orléans ses vingt-cinq ans et Campus Lille ses cinquante ans. Cette dernière était l’invitée du festival Longueur d’ondes à Brest en février, et un documentaire sur son histoire 50 ans et toujours libre est sorti en juin. L’année dernière, deux autres Radios Campus, Grenoble et Caen, ont fêté respectivement leurs vingt-cinq et dix ans. « La radio est le média de la liberté, qui permet une expression immédiate », se félicite Martial Greuillet, président de Radio Campus Besançon qu’il a fondée il y a vingt ans. « Quand ils font leurs études, les étudiants et les étudiantes construisent leur opinion. » La radio est le meilleur médium pour la formuler.

Ouvrir l’esprit 

« J’ai tout appris à Radio Campus Orléans », raconte Viviane Berreur, chargée des programmes de la station où elle est entrée comme bénévole en 1998, alors qu’elle était étudiante. Elle s’est formée à la conduite d’antenne, à l’animation, à la régie technique, à la programmation musicale. Mais aussi aux tâches administratives : comptabilité, secrétariat, communication. Aujourd’hui, c’est elle qui, chaque année, enseigne aux nouveaux et nouvelles venues les techniques radio. À Campus Toulouse, François Berchenko, chargé de production, fait « écouter des formes radio non traditionnelles aux jeunes pour leur ouvrir l’esprit ». Lui aussi était bénévole à ses débuts, en 1995.
L’apprentissage se fait par transmission entre les générations, lors des ateliers de formation qu’organisent toutes les Radios Campus. Mais aussi en studio, à l’antenne, en direct : « Sur Radio Campus Paris, tu es là pour faire des erreurs, c’est le lieu et le moment, tu ne pourras pas les faire ailleurs », explique Charlène Nouyoux. « On ne supprime pas une émission en raison de ses défauts. On contraire, on l’aide à s’améliorer », renchérit Christophe Da Cunha. Chaque année, les Radios Campus forment chacune plusieurs dizaines de nouveaux et nouvelles bénévoles aux techniques de la radio. Un vivier conséquent. « Les radios commerciales nous remercient de former les producteurs et les productrices qui enrichissent leur antenne », fait valoir Nicolas Horber, délégué général de Radio Campus France.

Plaisir primaire de la radio

Ils sont nombreux à avoir fait leurs armes sur une antenne de Radio Campus. Par exemple Frédéric Says (journaliste politique à France Culture), Steven Jambot (producteur de l’émission « L ’Atelier des médias » sur RFI), Benjamin Delsol (rédacteur en chef à Europe 1), Martin Bodrero (fondateur de
Radio Parleur), tous passés par Campus Paris, dont la réputation de ruche à auteurs et autrices est bien établie. Michel Jérôme (animateur de France Bleu Normandie) et Ghislain Chantepie (responsable des nouveaux médias de FIP) ont débuté à Campus Orléans. Mehdi Khelfat (présentateur de la matinale de la RTB F) a animé ses premières émissions à Campus Lille. 

Anne-Claire Coudray (présentatrice du JT de TF1) a commencé à Campus Rennes pendant ses études de lettres. Toutes et tous sont venus en studio pour ce plaisir primaire de faire de la radio que prônent avant tout les Radios Campus : parler dans un micro, passer de la musique, organiser des débats. Avec le temps, beaucoup se mettent à produire des programmes plus élaborés, plus créatifs.
À Campus Besançon, Martial Greuillet réserve une place à l’antenne à « la création contemporaine radio ». Au point de susciter des vocations : Aurélien Bertini, journaliste de la station, a ainsi développé une activité d’auteur sonore. Et Chloé Truchon, formée au Créadoc, produit un habillage d’antenne élaboré et inventif. Ailleurs, les autres Radios Campus permettent, elles aussi, l’expression de créateurs radiophoniques reconnus : Floriane Pochon, Christophe Griffard, Benjamin Cadon, Amélie Agut, Benoît Bories ou Charles-Henri Despeignes ont tous produit pour une radio du réseau Campus à Toulouse, Paris, Orléans ou Marseille. Aujourd’hui, ce sont les studios de podcasts qui reconnaissent ces savoirs-faire en puisant dans cette fabrique de talents.

Les Radios Campus diffusent de dix à cent émissions chacune par semaine produites par vingt à trois cents bénévoles. Leur ligne éditoriale est tracée autour des mêmes valeurs : expression citoyenne, découverte de nouveaux artistes, partage de connaissance en matière de production et création radiophoniques, proximité avec le tissu local des acteurs sociaux. « On pourrait penser que la trentaine de Radios Campus n’ont rien à faire ensemble car elles ont des histoires, des savoir-faire et des perspectives très différents », souligne Nicolas Horber. « Pourtant, entre Campus Lorraine, qui est en attente d’une fréquence hertzienne, et Campus Paris, qui est une grosse machine qui tourne bien, il existe une responsabilité, celle de bénéficier d’un espace démocratique où s’exerce la liberté d’expression. » Elles ne peuvent pas en faire n’importe quoi. Depuis l’entrée en vigueur en 2016 du nouvel enseignement de l’éducation aux médias intégré au socle commun de connaissances, de compétences et de culture, les Radios Campus multiplient les ateliers et les interventions dans les établissements scolaires pour apprendre à lutter contre rumeurs, fausses infos, intox et leur propagation. « Oui, les radios associatives ont un rôle politique et toutes les Radios Campus en ont conscience », conclut Nicolas Horber.


« Le réseau Radio Campus France est un outil, pas un but »

Nicolas Horber, délégué général de Radio Campus France, détaille le rôle de coordinateur du réseau auprès des trente Radios Campus. Pas de « contrôle vertical ».

Quel est l’objet de l’association Radio Campus France, qui regroupe vingt-sept radios étudiantes ?

Les missions de Radio Campus France auprès des Radios Campus sont de deux sortes : administratives et éditoriales. Nous aidons les radios dans leurs démarches : montage de budget, demande de subventions, dossier pour installation d’antenne, accompagnement web et DAB +. Notre seconde mission est d’assurer la coordination de programmes communs. Chaque semaine, les Radios Campus produisent à tour de rôle deux heures d’émissions et échangent deux heures de programmes. Nous montons des projets d’émissions en commun sur des événements comme les Assises du journalisme à Tours, les Transmusicales à Rennes, le Festival d’Avignon. Enfin, nous montons des partenariats avec des artistes locaux, qui bénéficient ainsi d’une diffusion nationale. Radio Campus France est une force de frappe.

Comment fédérer cet ensemble de radios très hétéroclite ?

Façonner toutes les Radios Campus selon une même image serait l’inverse de notre projet. Radio Campus France est un réseau, or un réseau n’est pas un but mais un outil. Les Radios Campus ont horreur de la tentation de contrôle national, donc vertical. En 1996, le réseau a été créé par six radios fondatrices.
Vingt ans après, Radio Campus France compte vingt-quatre radios FM et trois radios web dans vingt-huit villes de France. Ce n’est pas anodin : les Radios Campus trouvent leur compte dans ces échanges de compétences techniques, éditoriales, journalistiques, web que nous coordonnons.

Quelle défense de la création radio porte Radio Campus France ?

Les Radios Campus diffusent au total six cents heures de programmes par semaine. L’essentiel est constitué de programmes musicaux. Mais on compte cent heures de programmes élaborés, éditoriaux et de création. Nous voulons faire de Radio Campus France une métaradio en mettant en valeur ces programmes, en proposant une diffusion à la demande. Le public se tourne vers les programmes des studios de podcasts qui ne sont pas des programmes musicaux.
C’est un signe. Nous devons répondre à cette demande et à ces changements d’écoute de la radio. Les Radios Campus jouissent d’une très grande liberté, elles doivent en profiter pour faire plus de création sonore. Cela passe par de la formation des producteurs et des productrices et par la modernisation de notre outil de diffusion pour que Radio Campus France devienne une web radio de podcasts.

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