Aline Pailler est journaliste de radio, de télévision et de presse écrite, écrivaine, et femme politique. Son œuvre radiophonique comprend de nombreux documentaires sonores, des émissions hebdomadaires, des chroniques et des débats. Portrait de la lauréate du Prix de l’ensemble de l’œuvre radiophonique de la Scam 2024.

Auditeur, c’est la voix d’Aline Pailler qui d’abord m’a attrapé au vol. Son accent du sud chante, virevolte et met sa part d’ombre et de lumière sur une femme dont la voix portera ses engagements. Sur Radio Bleue, au mitan des années 80, co-animant une série d’émissions sur la chanson avec Maxime Le Forestier, Aline Pailler déclare L’accent donne le charme. D’emblée le ton est donné. Et, plus encore que la voix, Aline me confiera que la voix c’est aussi la bouche, les lèvres, la langue. Poser sa voix sur la terre c’est s’ancrer. Une voix trempée c’est un engagement du corps tout entier. Quand une voix trop neutre, insipide, sortie du bout des lèvres manque d’incarnation. Son accent du sud est un volume, une couleur, sa marque de fabrique, son identité pleine et entière.

Aline Pailler, dès ses débuts en 1981, comme journaliste à la radio publique, se révèle avoir dans les tripes et le cœur le goût des autres. Ce goût-là sera son leitmotiv’ tout au long de sa carrière à la radio comme à la télévision. À ça elle précise C’est ma vie. Les autres m’ont sauvée. Ces autres, ces femmes et ces hommes, ces femmes surtout dont elle n’a eu de cesse de les mettre en avant, de les défendre et de les accompagner dans leurs combats féministes et universels. Aline montre d’emblée plus d’attentions et d’élans à la singularité qu’à la globalité-généralité. La singularité m’intéresse aussi quand elle est prête à donner à ma propre singularité. J’aime m’ouvrir pour ressentir la singularité de l’autre, avec sincérité et empathie. Cette sincérité brute qui sera une autre de ses marques de fabrique.

La voix du cœur

En creux de ses engagements politiques, syndicaux, humanistes c’est avec la chanson des autres qu’Aline Pailler va me livrer quelques facettes de sa personnalité. Elle co-anime à la radio plusieurs émissions de chansons. Avec Jean-François Kahn Avec tambours et trompettes, mais c’est avec Maxime Le Forestier qu’elle exprimera à travers les chansons des autres ce qui l’anime, la révolte et la passionne. Quand je lui demande si les chansons qu’elle met en valeur dans ses émissions sont pour elle des balises, elle m’apprend qu’elle chante beaucoup elle-même. Qu’elle a l’occasion d’une chanson à tout moment. Qu’elle danse aussi. J’aurais voulu avoir la voix de Billie Holiday ou être Bette Midler. Enfant j’improvisais des chansons en regardant la montagne autour de chez moi. Ma mère chantait en espagnol. Il n’y a pas de combats, de révoltes, d’insurrections sans chanson. Les partis politiques avaient autrefois des chorales. Les personnes atteintes d’Alzheimer retrouvent les paroles de chansons qu’elles ont aimées et chantées.

Au cours de ces mêmes émissions avec Maxime, Aline dit avec conviction Je me reconnais mieux dans les coins et dans les régions que dans une France idéale. Je suis de tous les coins. Dans la couleur de la terre, des murs, des toits. Je suis latine. Mon cœur embrasse ses terres du sud, de la Toscane à l’Andalousie, le vieux Jerusalem… De ces terres ocres, des murs de pierre sèche, de la garrigue, du thym et du romarin. Et plus encore du côté du désert. Je fais mienne cette pensée de Miguel Torga « L’universel c’est le local sans les murs ». Quant au bout d’exil que chacun porte en nous, Aline affirme qu’il l’a toujours accompagné. Je suis toujours un peu en exil même si ma géographie me situe dans le sud. Même si j’ai apprécié de vivre dans un Paris cosmopolite. Poursuivre plus au nord, je déprimais de ce plat pays…

Révoltes et combats

Dans la matinale de France Culture qu’animait Pierre Assouline, de 1999 à 2001, Aline Pailler animait la chronique Intime conviction au cours de laquelle elle s’engage sans détour. Par exemple pour le combat zapatiste au Mexique. Cette lutte qui lui tient tellement à cœur elle la mettra à nouveau en avant dans une de ses émissions hebdomadaires Au feu du jour sur la même chaîne avec un titre plein d’espoir L’étincelle zapatiste. Ce Feu du jour se prolongera en chronique quotidienne dans Le vif du sujet toujours sur France Culture pendant deux saisons en 2001 et 2002.

Avec Au feu du jour, je sens Aline Pailler brûler de révolte. Ça c’est depuis l’enfance et un sentiment d’abandon. J’ai été placée. Ma mère a subi la prostitution. Enfant j’ai été dans les bordels. J’y ai vu la misogynie, la violence le mépris des hommes à l’égard des femmes. J’ai été malmenée parce que révoltée. À l’école primaire j’affirme que je suis Arabe puisque je suis née à Casablanca. Convoqué, mon père me demande pourquoi je m’obstine ? Je ne veux pas être colon ! Conscience révolutionnaire aigüe. À l’époque, Aline a à peine 9 ans.

Mais certainement la grande affaire de sa vie pour ne pas dire son grand combat est celui pour les femmes. Toutes les femmes. Elle écoute leur parole et mieux encore elle leur donne la parole. Ce sera La ronde des femmes, une série quotidienne d’émissions d’été sur France Culture, en 2001 et 2006. Je pensais à des rondes de femmes qui se donnent la main. La ronde : une forme de résistance, de solidarité universelle…

Chaleureuse, Aline Pailler, est une femme à part dans la galaxie radio. Anarchiste, féministe et libre. À fleur de peau et… à voix nue.

Fañch Langoët

Hors des sentiers battus

À travers plusieurs titres de ses émissions radio : L’heure buissonnière Radio Bleue, Le temps buissonnier France Culture, Si toutes les colères du monde France Culture, on voit bien qu’Aline Pailler cultive une certaine passion pour le pas de côté, la marge, le hors-cadre, le hors-norme. Sans jamais se laisser aller à l’interview complaisante, l’entre-soi, la facilité et la flagornerie. Dans cette mécanique radio, qui à la radio publique distingue les programmes de l’info, Pailler se reconnaît comme journaliste aux programmes mais jamais dépendante d’une rédaction. Je fais un travail de journaliste. Je cherche, je m’informe, je croise des sources. La formation de journaliste est une escroquerie qui vise au formatage absolu.

Au gré des changements de direction des chaînes et de Pdg de Radio France, Aline dérange plus souvent qu’elle ne plaît. Beaucoup trop incontrôlable, beaucoup trop libre, beaucoup trop engagée. Même Laure Adler (directrice de France Culture, 1999-2005) réputée féministe finira par la caser ou la mettre en case dans une émission au titre si poétique Jusqu’à la lune et retour (2003-2017). Ce titre inventé par Laura, la fille d’Aline. Car oui, aller sur la lune c’est bien, encore faut-il en revenir ? C’est sûrement une pensée d’enfant qui colle bien à cette nouvelle émission de littérature jeunesse qu’Aline anime chaque mercredi sur France Culture. Cette émission c’est l’occasion d’avoir toute l’humanité à offrir. Une ouverture immense. Aux enfants [et à leurs parents], leur ouvrir le monde pour qu’à leur tour ils ouvrent leurs bras au monde. Quand je demande à Aline Pailler si son rêve ultime est d’être dans la lune elle me répond Pas du tout, je me sens terrienne, les pieds sur terre. Devant la lune je m’évade et je rêve tout en étant triste et inquiète. On a changé la voie lactée. Ils nous ont changé le ciel avec tous ces satellites qui brillent dans la nuit profonde. Une part d’émerveillement a disparu…

En défense des sans-voix

En 2016 s’invente Nuit debout (après les grèves sur la loi travail) qui pendant les mois d’avril et mai dans toute la France, mais particulièrement Place de la République à Paris, réunira de façon spontanée celles et ceux qui ont des choses à dire et à échanger en place publique pour, justement, se réapproprier cet espace public. Sous une bâche de fortune s’installe RadioDebout. Composée de professionnels de la profession qui dans un esprit d’équipe s’échangent les fonctions de technicien-son, de réalisateur, et d’animateur ou animatrice au micro, et ce souvent au cours d’une même nuit. C’est là qu’un jour je vois surgir Aline Pailler, qui sans s’arrêter dit aux présents Vous êtes l’honneur de Radio France. Quelle reconnaissance de la part d’une professionnelle aguerrie, déléguée syndicale CGT, qui en rêvait tant de cette fabrique radiophonique en équipe, non instituée, dans les fonctions cardinales de la radio.

Aline Pailler qui n’a jamais eu la télévision a animé Regards de femme sur FR3. Elle continue aujourd’hui à écouter la radio. Souvent frustrée par ce qu’elle entend. Trouvant que la création radiophonique se réduit en même temps que les rediffusions font florès.

Sans concession pour cette mode journalistique de l’autopromotion, Aline Pailler, forte de convictions puissantes, sans compromission, aura consacré sa vie entière à la défense des sans-voix et des femmes dont elle voulait toujours mettre en avant la dignité, l’engagement et la vérité. Chaleureuse, Aline Pailler, est une femme à part dans la galaxie radio. Anarchiste, féministe et libre. À fleur de peau et… à voix nue.

Fañch Langoët est journaliste, historien de la radio publique. Il rédige le blog Radio Fañch depuis juillet 2011. Il a publié chez L’Harmattan en février 2023 60 ans au poste. Journal de bord d’un auditeur.

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