Le juste équilibre pour concilier vitalité culturelle, encourager l’économie de la seconde main et améliorer la transparence vis-à-vis des consommateurs.

La loi sur L’empreinte environnementale du numérique sera débattue le 10 juin à l’Assemblée nationale. Deux mondes qui s’ignoraient jusqu’à présent, celui des téléphones reconditionnés et celui de la culture se confrontent à propos de la question de la copie privée (1).

Les téléphones reconditionnés sont concernés par la copie privée depuis leur origine. Sinon, ils n’auraient pas besoin d’être exonérés. Nous ne parlons pas de la création d’une nouvelle obligation : Apple, la Fnac, Orange, Bouygues ou encore SFR payent déjà la rémunération pour copie privée, depuis des années, pour leurs ventes de téléphones reconditionnés. Certains acteurs, en revanche, ne se sont jamais acquittés de cette obligation et souhaitent, par une exemption reconnue par la loi, se voir confirmer cette position.

Le 1er juin dernier, la Commission indépendante qui gère ce dispositif a abaissé de 40%, les tarifs perçus sur les téléphones reconditionnés
. Il s’agit du plus fort abattement appliqué en Europe, avec celui des Pays-Bas. Cet abattement représente un juste compromis, qui s’inscrit pleinement dans la jurisprudence européenne. Une exonération pure et simple ne passerait pas l’épreuve de la Cour de justice de l’Union européenne. Compromis sans précédent, cet abattement engendre ainsi une perte de 15 millions d’euros pour la culture qui sort à peine d’une année cauchemardesque.

Après l’adoption de cet abattement, le gouvernement a signifié sa volonté de compromis en déposant un amendement supprimant l’exonération pour les appareils reconditionnés. Nous saluons cette position responsable et équitable. D’autres amendements visent à étudier l’impact de la copie privée sur le secteur des reconditionnés et à auditer le fonctionnement de la copie privée. Nous y souscrivons sans réserve.

Cependant, alors que certains acteurs du secteur des appareils reconditionnés refusent toujours cette solution équilibrée, notre crainte de voir s’opposer la culture et la protection de l’environnement se confirme au fil des jours. Dans une tribune parue dans le JDD du 6 juin, les salariés du secteur des reconditionnés expliquent : « le barème adopté par la Commission pour la rémunération de la copie privée mènerait à la faillite un grand nombre des entreprises françaises, pour le plus grand plaisir de leurs concurrents étrangers ». Il y aurait donc un choix cornélien à faire entre le « sacrifice » de « 2500 emplois » d’un secteur d’activité ou la fragilisation d’un mécanisme qui représente 7% du budget de la culture en France et rémunère 200 000 auteurs et artistes à hauteur de 5 à 10% de leurs revenus. Nous sommes hors sujet dans la façon dont le problème est posé.

Le financement de la culture en France ne doit pas être la variable d’ajustement d’une guerre commerciale menée par des entreprises françaises avec des entreprises étrangères à bas coûts. Il n’est pas acceptable que les artistes soient les victimes collatérales de la mondialisation.

D’abord un problème de modèle économique. Les entreprises françaises d’appareils reconditionnés, dès lors qu’elles reconditionnent en France, ont un problème de marge. C’est un fait. Elles subissent de plein fouet la concurrence étrangère, notamment asiatique. Plutôt que de faire de la culture un parfait bouc émissaire il est de la responsabilité du gouvernement et du législateur de travailler à rendre compétitives les entreprises sociales et solidaires. Les possibilités sont nombreuses et connues (mesures fiscales, TVA, labels, soutiens économiques…)
Pourquoi avons-nous tout ce débat ? En achetant un téléphone reconditionné les consommateurs font un geste fort pour l’écologie et économisent entre 100 et 500 euros par rapport à un téléphone neuf (30% à 70% du prix neuf). Cela ne semble pas poser de problème que les plateformes de vente en ligne comme BackMarket prélèvent 10% de ce prix sur chacune des transactions (entre 1 et 75 euros selon les modèles), mais imposer une contribution de 2,6% en moyenne (entre 30 centimes et 8,40 euros selon les modèles) pour la culture présenterait un risque majeur pour cette industrie florissante ? Alors même que les contenus culturels apportent de la valeur aux téléphones et tablettes, qu’ils soient neufs ou remis à neuf.
Il est temps de faire participer les consommateurs français à ce débat en leur donnant les informations dont ils ont besoin afin de pouvoir faire des choix éclairés dans leurs achats et réconcilier la culture et l’environnement :

Nous proposons :
1. une obligation d’information sur l’origine du vendeur et le pays dans lequel le téléphone a été reconditionné. Puisque le problème vient des « concurrents étrangers » qui n’ont pas les mêmes coûts de main d’œuvre que les Français et ne paient pas la TVA alors pourquoi ne pas informer l’acheteur de cette différence ? Souhaite-t-il défendre un reconditionné made in France ou made in Chypre, China, Romania pour ne prendre que quelques exemples de pays actifs sur ces secteurs ? Nous parlons d’environnement : les circuits courts ne valent pas que pour les tomates.

2. une obligation d’information sur la copie privée. C’est une obligation légale qui n’est pas respectée. Les vendeurs devraient faire apparaître le montant acquitté au titre de la copie privée afin d’expliquer à quoi ces sommes servent. Un site dédié : http://www.aidescreation.org/ présente en toute transparence la destination des sommes versées dans le cadre du soutien aux projets culturels. Un logo La culture avec la copie privée pourrait être apposé avec une note : grâce à cette contribution vous donnant le droit de réaliser des copies privées d’artistes sur votre téléphone vous participez au financement de la culture en France.
Un barème adapté au secteur du reconditionnement, une information de qualité du consommateur, prendre le temps d’étudier l’impact d’un dispositif majeur de notre exception culturelle sont autant d’éléments qui forment un ensemble équilibré et préserve les intérêts de tous.

« Pas de transition écologique sans justice sociale » nous a dit la convention citoyenne sur le climat. »