Un texte écrit par Antoine Perraud et publié sur Médiapart. Maurice Nadeau est mort dimanche 16 juin, à l’âge de 102 ans. Une vidéo, réalisée en 2011, rend compte du charisme de cet éditeur, écrivain et critique indépendant, fièrement modeste et tendrement bourru.

Maurice Nadeau est mort dimanche 16 juin. Il venait d’avoir 102 ans. Et il avait jeté ses dernières forces dans une bataille récurrente : le sauvetage de La Quinzaine littéraire. Non pas “sa” mais “La” Quinzaine, celle qui devait, celle qui allait lui survivre.
Nous avons été des centaines à souscrire en ligne ou par les voies postales (quelque 62 000 € réunis) pour renflouer le journal, grâce à une telle « société participative ». Cette création fut l’ultime initiative, le mois dernier, d’un éditeur et critique ayant toujours mêlé le jugement, la conviction et le combat. Une anthologie de ses articles les plus marquants était parue sous le titre Serviteur ! (Albin Michel, 2002).

Né le 21 mai 1911, normalien (pas la rue d’Ulm hantée par les nababs : Saint-Cloud, précisait-il toujours, école tout juste digne de l’orphelin de guerre et du boursier qu’il était), Nadeau enseigne (comme professeur de lettres dans les Pyrénées puis comme instituteur à Thiais pour se rapprocher de la capitale). Il milite (chez les communistes de 1930 jusqu’à son exclusion deux ans plus tard ; puis chez les trotskystes avec son aîné Pierre Naville). Il s’engage dans la Résistance pendant l’occupation (son réseau est démantelé, son ami David Rousset est déporté ; il évite lui-même de peu un tel sort).

Au sortir de la guerre, Maurice Nadeau publie une Histoire du surréalisme (Seuil, 1945) aujourd’hui encore fraîche et fiable. Il devient critique littéraire à Combat (1945-1952), France-Observateur (1952-1959), L’Express (1959-1964). Il dirige une revue, Les Lettres nouvelles (1953-1976), et fonde donc, en 1966, un bi-mensuel qu’il continuera d’animer jusqu’à sa mort, entouré d’une équipe de contributeurs bénévoles : La Quinzaine littéraire. Qu’elle vive cent ans (comme on chante en Pologne) !

Éditeur ayant abrité voire découvert Roland Barthes et Michel Houellebecq, Witold Gombrowicz et Leonardo Sciascia, Chalamov aussi bien que Perec, Malcom Lowry comme Jack Kerouac, Maurice Nadeau, signataire de l’Appel des 121 sur le droit à l’insoumission en Algérie (1960), demeurait révolté, curieux, bourru et fraternel.En 1990, dans ses mémoires littéraires que réédita Albin Michel en 2011, Grâces leur soient rendues, il rappelait qu’on l’avait parfois traité de « trotskyste refroidi », ajoutant que ne s’était pas refroidie son admiration pour le Vieux, qui lui avait communiqué ce sentiment le poussant toujours à « vomir les tièdes, les belles âmes, les humanistes à la petite semaine, les conciliateurs par nature, les thuriféraires résignés du moindre mal. Trotsky avait un terme pour les désigner en bloc : les “Philistins” ».

Dans un livre d’entretiens avec Laure Adler publié à l’occasion de son âge à trois chiffres, Maurice Nadeau le chemin de la vie (Verdier-France Culture), notre homme déclarait : « Je continue à faire ce que je veux, c’est l’essentiel. Ça ne va pas durer des années ! Enfin, je n’en sais rien… »

Il nous avait été donné de vérifier la vitalité d’esprit et l’agilité physique (il faisait vingt ans de moins !) du personnage lors d’une soirée d’hommage organisée en mai 2011 à la Scam (société civile des auteurs multimedia) à Paris. Nous vous proposons à nouveau la vidéo, qui en rassemble deux extraits.

Le second, le plus long, consiste en un dialogue, à propos de La Quinzaine littéraire, avec l’un des vieux complices de l’équipe initiale, Gilles Lapouge (né en 1923). Le premier extrait de cette rencontre, dans lequel intervient Angelo Rinaldi, écrivain et critique né en 1940 (dont Maurice Nadeau publia le premier roman), fait suite à la projection d’un passage du documentaire que Gilles Nadeau réalisa en 2006 sur son père. Ce dernier y confirmait son admiration pour Céline en dépit de choix politiques monstrueux, tout en raillant Mauriac, catholique patenté qui lui avait écrit, juste après la guerre : « Vous seriez le meilleur critique de votre génération si vous n’étiez pas opaque au spirituel »

Maurice Nadeau le 5 mai 2011 à la Scam à Paris (en dialogue avec Antoine Perraud, Angelo Rinaldi et Gilles Lapouge).

Maurice Nadeau, impeccable centenaire… par Mediapart

Pour retrouver Maurice Nadeau, ne manquez pas (ci-dessous et si possible en plein écran)
le documentaire que lui a consacré Ruth Zylberman en 2011. C’est un film magnifique, émouvant, drôle (le centenaire fourrage parmi ses archives conservées dans des cartons de Volvic, tombe sur une lettre de Marguerite Duras qu’il imite avec une tendre cruauté, à 35’29…). À la fin, assis puis allongé dans l’herbe à regarder les nuages, un homme libre donne une leçon de vie alors que s’approche l’heure de la quitter.

Antoine Perraud

———————————–

Maurice Nadeau, je l’avais rencontré pour Télérama, chez lui, à Paris, dans le Ve arrondissement à l’été 1990, alors
qu’il
venait
de
publier
Grâces
leur
soient
rendues
.
Il
allait
sur
ses
80
ans.
Quand
j’étais
arrivé,
il
répondait
au téléphone
à
une
journaliste
du
Figaro
,
qui
avait
pris
la
liberté
de
l’appeler
pour
lui
témoigner
sa
honte,
alors
qu’un
article
de
Renaud
Matignon,
dans
ce
quotidien
de
droite
qui
n’appartenait
pas
encore
à
Dassault,
venait
le
matin
même
d’étriller
le
mémorialiste,
présenté
comme
un
trotskyste
aux
goûts
de
stalinien
ayant
fait
régner
une
terreur
de
gauche
dans
la
presse d’après-guerre…
Maurice
Nadeau,
doux,
ferme,
attentif
et
pourtant
comme
l’esprit
encore
et
toujours
dans
les
livres,
m’avait
impressionné
comme
personne
depuis.
J’étais
retourné
le
voir
peu
de
temps
après,
à
l’occasion
de
la
mort
de
Michel
Leiris
(30
septembre
1990),
pour
qu’il
me
parlât
de
cet
ami.
Je
ne
pensais
plus
rencontrer
à
nouveau
Maurice
Nadeau.
Or
ne
voilà-t-il
pas
que
l’écrivain
et
journaliste
Alain
Dugrand
me
propose
de
présenter
avec
lui,
le
5
mai
dernier,
cette
soirée
dont
il
avait
eu
l’idée
pour
la
Scam:
«Bel
anniversaire,
Maurice
Nadeau!»
.
Ce
fut
passionnant
et chaleureux. Ensuite, droit comme un I, le centenaire s’attarda, debout (il fallut insister pour qu’il daignât s’asseoir), lors du traditionnel pot d’après débat (le vin ne lui réussit plus guère depuis quelques mois: il s’est mis au Coca-Cola). Vers 23h, son fils Gilles, 68 ans, lui dit sur un ton qui espérait ne recevoir aucune réplique: «Dis donc, Maurice, il faudrait peut-être songer à rentrer chez toi.» Le père s’exécuta, comme pour faire plaisir à un rejeton fatigué.

http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/170613/maurice-nadeau-editeur-du-feu-de-dieu