Pour Fabrice Neaud, l’esthétique est une éthique qu’il s’est toujours efforcé de suivre. Portrait du lauréat du Prix du Récit dessiné 2024 de la Scam.
Commençons par le début, non pas la notice biographique d’usage, mais ce qui est chronologiquement la fin, à savoir Le dernier Sergent, tome 1, Prix du Récit dessiné 2024 de la Scam, imposant volume de 416 planches de bande dessinée, paru en septembre 2023, « suite inédite de l’œuvre autobiographique de Fabrice Neaud » nous informe l’éditeur. Comme l’auteur n’aime rien tant que l’exactitude, précisons que cette suite n’en est pas totalement une. Disons qu’il s’agit de la deuxième saison d’une série initialement dénommée Journal qui connut quatre épisodes publiés entre le 1er trimestre 1996 et le 4e trimestre 2002, alors même que, dans l’esprit de son créateur, la fin de la première saison n’a pas encore été produite. C’est dire l’importance relative de l’ordre des événements et des parutions, et que commencer par lire Le dernier Sergent n’est pas la plus mauvaise porte d’entrée pour découvrir l’auteur, de même que l’on peut lire Les Illusions perdues avant Le Colonel Chabert. C’est d’autant plus faisable que la période d’avril 1998 au 1er avril 2000, contée dans le denier livre, n’est pas fondamentalement différente de celle couverte par Journal (février 1992 – juillet 1996), le protagoniste étant toujours gay, coincé et souffrant dans sa ville moyenne de province, guetté à la fois par le SIDA et la misère sociale, et témoin ou victime de l’homophobie « ordinaire », mais déterminé plus que jamais à construire case par case sa saga autobiographique, contre vents et marées, contre malveillance et droit à l’image.
S’inscrivant dans le temps long, sur le plan narratif comme éditorial, dans un décalage abyssal avec une époque qui ne jure que par l’instantanéité, Fabrice Neaud continue son parcours, impassible malgré les difficultés, en fixant l’horizon qu’il s’est depuis longtemps tracé.
Évariste Blanchet
Jamais dans l’histoire de la bande dessinée francophone ne fut conçu un projet d’une telle ambition, nommé aujourd’hui Esthétique des Brutes, en référence à un attrait pour un type d’homme disons baraqué (on aurait tort de se polariser sur « brutes » en négligeant « esthétique »). Ambition démesurée mais suffisamment ancrée pour résister à une longue absence qui s’étend de fin 2002 à l’automne 2023, à peine ébréchée par la publication de quelques malheureuses planches éparses sur les réseaux sociaux et dans la micro-revue Bananas, et l’heureuse réédition, mais seulement à partir de 2022, de Journal chez un nouvel éditeur. Apparent grand vide éditorial mais nullement créatif puisque les planches ont continué de s’accumuler à un rythme variable, selon que Fabrice Neaud se trouvait dans une phase apaisée ou dépressive (suite à des violences subies non dévoilées publiquement). Croquis et planches très avancées ont été conçus au fil des ans, afin d’alimenter les futurs livres, dans des carnets A3, dont les visiteurs d’expositions passées (Centre Pompidou, SoBD), ou à venir, ont pu ou pourront découvrir quelques pages. Cette vacance éditoriale n’a guère eu de conséquences sur la fabrication des planches, comme si l’auteur n’avait nul besoin d’un long temps de maturation entre le déroulement des faits et leur mise en forme. D’ailleurs, certaines scènes-clés du dernier livre ont quasiment été réalisées peu de temps après leur survenance. Reste que l’autobiographie non dessinée bénéficie de la possibilité d’une immédiateté dans son élaboration, interdite à la bande dessinée, même si de plus en plus de ses productions donnent l’impression d’avoir été torchées en quelques semaines au nom de la pseudo-spontanéité des génies de la nouvelle génération.
Fabrice Neaud choisit évidemment ce qu’il veut bien raconter, tant il serait absurde d’imaginer qu’il décrit son quotidien dans les moindres détails, ce qui est heureux, sauf à penser que le lecteur puisse prendre plaisir à lire une bande dessinée dont sur 24 cases, il y en aurait 8 montrant le protagoniste dessinant, 8 autres le montrant dormant, n’en restant que 8 pour à la fois le décrire se substantant, prenant sa douche et, enfin, vivant ce qui est supposé constituer le cœur de l’intrigue. Mais l’auteur choisit surtout comment il veut le mettre en forme.
Sans penser que le projet ait été conçu dans ses moindres détails dès l’origine, il est avéré que dès la parution du n°1 d’Ego comme x, revue alternative qu’il a cocréée en 1994, le principe du premier tome de Journal à paraître deux ans plus tard était déjà arrêté. De même, le projet Le dernier Sergent remonte à plus de vingt-cinq ans, sachant qu’une première version sous la forme d’un récit de 32 planches était paru en 2000 dans le n°7 de la revue. Et, pour finir, que trois autres volumes autour du même personnage (l’auteur aurait dit : de la même figure), troisième grand amour platonique relaté de Fabrice, sont d’ores et déjà planifiés, le prochain se déroulant sur une seule journée à La Rochelle, par ailleurs ville où est né l’auteur en 1968.
Les deux premières décennies du XXIe siècle n’ont pas seulement été productives par un stockage de matière brute destinée à être affinée ultérieurement. Des bandes dessinées non autobiographiques ont vu le jour : reportages (pour Beaux-Arts magazine), livres pédagogiques (sur le droit d’auteur et les infections au VIH), albums de science-fiction. Cet intérêt pour ce dernier genre cadre assez mal avec l’image du grand auteur pur et dur, ce dont il n’a cure. Ce ne sera jamais qu’un malentendu de plus : ambitieux passant pour prétentieux, littéraire passant pour verbeux et modeste au point d’avoir une conception du dessin attachée à l’humble observation du réel, passant pour fat (Journal 3), il peut bien risquer de dégringoler de son piédestal en passant du noble roman graphique à la bande dessinée de genre. De fait, même lorsqu’il est son propre scénariste, ses albums de science-fiction sont passés sous les radars, les journalistes ayant célébré son travail autobiographique n’ayant pas perçu que ses œuvres se répondaient les unes aux autres, indépendamment de la catégorie dans laquelle elles s’inscrivaient, ni même que ses lectures de super-héros et de manga avaient laissé plus de traces dans Journal que dans ses récits futuristes.
Autre handicap : une conception assez peu « artiste » du dessin, s’inscrivant frontalement dans une tradition classique. Quatre années de Beaux-Arts n’ayant pas réussi à le détourner du dessin d’observation, il continue à être précis dans son trait comme dans ses propos. Classique jusqu’au bout de la plume, mais également moderne par l’hétérogénéité des formes graphiques utilisées dans son travail autobiographique (dessin cartoonesque, pictogrammes, cases vides, cases noires, dessins abstraits) où il use de symboles, multiplie les métaphores graphiques, se lance dans de grandes envolées littéraires et philosophiques, tout en se permettant des dizaines de pages consécutives sans le moindre mot. Il lui est même arrivé d’écrire des dialogues d’une grande banalité pour une scène, par ailleurs centrale, où la pauvreté des mots était narrativement rendue nécessaire (Le dernier Sergent – T1).
Pour tordre le cou à un ultime malentendu, quand Fabrice Neaud déclare ne pas aimer se dessiner, alors que les cases auto-représentatives sont nombreuses, ce n’est pas par fausse modestie, mais par préférence de partir de lui-même pour mieux parler du monde, soit la démarche inverse de beaucoup d’artistes et d’intellectuels : cent exemples prélevés dans ses livres en témoigneront. Monde des idées bien sûr, d’où les incessantes références à des musiciens, écrivains, peintres, dessinateurs, scientifiques, ce qui contribue à injecter beaucoup de pensées et de profondeur dans ses livres, qui plus est sans surplomb, contrastant avec la superficialité généralisée formant le brouhaha ambiant. Mais aussi monde physique. Il suffit de le voir en début de planche en plan rapproché étreignant un arbre et en fin de planche, dans la même position, mais en plan général faisant ressortir la petitesse de l’homme et la grandeur majestueuse du végétal. Démonstration reconduite aussitôt après sur une longue séquence, montrant alternativement le protagoniste et de multiples animaux et végétaux, et se concluant par des paysages grandioses de montagne et de mer (Journal – T4).
Le plus admirable est que le système Neaud a été mis au point dès le début du premier volume de Journal. Composition de la page, registres graphiques, ce qu’il veut ou non dévoiler (« j’en dis bien moins que j’en tais et j’en dissimule davantage que j’en montre », Journal – T4), avec pour difficulté principale la question du droit à l’image qui a généré dans le contenu même de ses livres un luxe de réflexions et de précautions que ses accusateurs n’ont jamais pris en compte. Difficulté aujourd’hui dépassée dans Le dernier Sergent. Pour Fabrice Neaud, l’esthétique est une éthique qu’il s’est toujours efforcé de suivre.
Quant à la passion constante pour la philosophie, la musique, l’art, la science, elle contraste avec un désintérêt depuis deux décennies pour les romans et les livres de bande dessinée, mais sans reniement des lectures passées. Ce qui ne l’a pas empêché de formidablement bien assimiler les codes de son mode d’expression, au point que, comme toute grande œuvre, elle est indissociablement liée au média à travers lequel elle s’incarne.
S’il y a évidemment du Proust chez lui (quoique lu tardivement) et une indéniable mélancolie, il n’y a pas la moindre once de nostalgie pour un passé aussi sombre que l’est le futur déjà annoncé par la littérature d’anticipation. S’inscrivant dans le temps long, sur le plan narratif comme éditorial, dans un décalage abyssal avec une époque qui ne jure que par l’instantanéité, Fabrice Neaud continue son parcours, impassible malgré les difficultés, en fixant l’horizon qu’il s’est depuis longtemps tracé.
Évariste Blanchet, critique de bande dessinée, a cofondé les éditions Bédérama en 1980 et collaboré à divers ouvrages collectifs et publications spécialisées (Le Collectionneur de bandes dessinées, Critix, Fumetto, Hop !, L’Indispensable, PLG, Neuvième art). Il anime la revue critique d’histoire de la bande dessinée Bananas.
Le reporter Allan Kaval, lauréat du prix Albert Londres en 2020, témoigne des guerres non comme des conflits lointains, mais comme des réalités qui traversent nos frontières. Présente dans les ruines, les exils et les corps oubliés, la violence n’a ni fin ni ailleurs, et les morts habitent encore le présent.
« Où paraît devant nous une suite d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. »
Walter Benjamin – « Sur le concept d’histoire », 1942
Voir s’accumuler les ruines et prévenir ceux qui cheminent au-devant d’elles. Pendant quelques années, j’ai appris mon travail dans des mondes modelés seulement par les effets de la violence sur la matière humaine. Pour persévérer dans son être, la vie des hommes et des femmes devait échapper à la violence des uns, se protéger par la violence des autres. Ou même l’exercer.
Jamais je n’ai témoigné de guerres entre États. Quand j’ai tenté de le faire, une fois, j’ai failli en mourir. La guerre que je connais est un champ de force où capitales, milices, partis, individus gravitent les uns autour des autres, entrent en collision, laissant dans leur passage les ruines du monde humain.
Je ne sais pas pour qui travaille le journaliste, mais j’exerce le métier de journaliste et je sais pour qui je travaille
Allan Kaval
J’ai voulu la raconter non pas comme un phénomène militaire mais comme un état social. J’ai voulu raconter le moment où les lois ordinaires de la physique humaine basculent, par la force des armes, dans une autre dimension.
L’autorité qui s’appliquait hier à tous disparaît. Votre voisin règne désormais sur le quartier. Votre fille porte un uniforme pour sortir en ville car c’est désormais la mode. L’éclairage public ne fonctionne plus. Les décisions des nouveaux chefs sont arbitraires. Une rue du quartier est maintenant barrée par des miliciens.
La géographie du pays n’est plus la même. Quand des lignes de front sont tracées perpendiculairement aux rails, les gares ne servent plus à rien puisque les trains ne mènent nulle part, et que les villes, dominées par des autorités rivales, s’éloignent les unes des autres.
Le jardin public est couvert de feuilles mortes, et il faut sourire bien grand à cet ancien camarade de classe qui fait maintenant la police.
Et puis, j’ai voulu raconter que les villes meurent aussi. Les rues, les souvenirs qu’on y accroche, les itinéraires quotidiens que l’on prend pour aller au travail ou aller chercher les petits à l’école peuvent disparaître dans un amalgame de gravats, de chair humaine et d’œufs de mouche. Après les sièges, après le passage des bombes lancées du ciel, des obus tirés dans le confort de l’arrière, l’odeur de Rakka après la bataille s’est coulée dans mon ventre pour se mêler à celle qu’y avait laissé la vieille ville de Mossoul.
Je ne sais pas pour qui travaille le journaliste, mais j’exerce le métier de journaliste et je sais pour qui je travaille. Je travaille d’abord pour ceux qui croient vivre en paix.
J’ai voulu travailler à ce qu’ils sachent que la paix n’est qu’une fine pellicule opaque derrière laquelle l’état de guerre attend, prêt à bouleverser un ordre du monde qui ne tient qu’à l’illusion du droit. La guerre sur laquelle je travaillais, et que je travaillais à raconter, était tout simplement l’injustice toujours à l’affût, toujours prête à déchirer le tissu des jours ordinaires quand on la croit contenue.
J’ai aussi travaillé pour qu’ils comprennent que cette fine pellicule opaque est aussi poreuse.
J’ai travaillé pour qu’ils sachent que le monde de la guerre que je fréquentais un peu pour leur compte n’avait en fait pas de frontière connue avec le leur. J’ai écrit pour ceux qui croyaient encore à l’ailleurs et pour les détromper. Lorsque j’écrivais, souvent loin du métal des balles et des bombes, sur des sociétés en guerre, j’avais à cœur de montrer qu’elles n’étaient pas séparées des nôtres.
L’instant où un exilé de Côte d’Ivoire qui, des semaines plus tôt, a transité par la Libye et qui ne sent plus ses pieds dans la nuit glacée, après avoir traversé la montagne et la frontière française, est un instant de guerre. La généalogie de cet instant passe par une route déterminée par des guerres, filles de guerres plus anciennes qui aboutissent après des siècles au contact brûlant de la neige avec la peau de cet homme car le froid qu’il ressent cette nuit-là a une histoire politique.
J’ai travaillé pour ceux qui ne pouvaient pas le savoir, j’ai voulu les prévenir que la guerre s’infiltrait dans les interstices de leur monde. Tout reportage au fond est un reportage de guerre.
Quand j’ai écrit sur les prisons syriennes, des oubliettes où on avait jeté la dernière matière humaine survivante de l’État islamique, je travaillais pour prévenir ceux qui me liraient en Europe que le territoire de l’Occident vainqueur, le leur, s’étendait au-delà des frontières de leurs foyers jusque dans le corps de ces hommes mourants. Je voulais les prévenir que la prison, lieu du non-droit, comme la frontière, comme les ruines des villes que nous avions rasées nous avaient emportés tout entier dans une faille percée entre les mondes. J’ai travaillé pour ceux que je voulais prévenir pour leur dire que l’illusion de l’ordre allait se dissiper et que le chaos avait déjà tout recouvert. J’ai travaillé pour ceux qui ignoraient encore qu’ils étaient dans la prison et que la prison était déjà en eux.
J’ai voulu raconter que le chaos, le non-droit, la guerre, la violence en somme, ne connaissaient pas de limite géographique. J’ai voulu montrer qu’elle n’avait pas non plus de limite dans le temps, avertir que les guerres ne finiraient pas tant qu’il y aura une mémoire humaine.
Le présent, que, journaliste, j’avais fait profession d’expliquer, n’était en réalité rien d’autre que la présence du passé
Allan Kaval
J’ai travaillé pour les vivants, pour leur dire que les morts sont nos contemporains.
Un jour, et à cette fin, j’ai raconté une histoire lettone.
L’empire qui avait dominé le pays s’était lancé l’hiver précédent dans une guerre conquête justifiée au nom d’une guerre plus ancienne, une guerre que les grands-pères des hommes que j’avais rencontrés avaient parfois faite dans des camps opposés. Obsédés par les souvenirs qu’ils avaient reçus d’eux, puisque les souvenirs, c’est connu, sautent une génération, ces hommes s’étaient mis à fouiller la terre. Ils y cherchaient les traces de la guerre dont la mémoire les avait accompagnés vers l’âge d’homme.
Ils fouillaient le monde souterrain, là où le passé demeure pour y trouver le métal de cette guerre-là. Des boucles de ceinture. Des insignes. Des obus. Mais en cherchant le métal, ils sont tombés sur de la matière humaine, des os mêlés comme le métal à la terre pour laquelle leurs grands-pères et bien d’autres avaient fait la guerre.
Puis, tous les ans, ils ont continué à chercher, à creuser, à déterrer, à séparer les traces des hommes au sol où on les avait oubliés. Tous les ans, les hommes qui creusent recommençaient. Ils sont devenus célèbres.
J’étais avec ces hommes le jour où ils ont ouvert une fosse commune, au fond dans une forêt. Au début de l’occupation allemande des pays baltes, des miliciens ivres y avaient abattu hommes, femmes, enfants juifs. Pour s’épargner des efforts inutiles, ils les avaient abattus dans une tranchée toute prête datant de la guerre précédente. C’était une tranchée allemande du front de l’est. Il a suffi de la remplir de corps, de la recouvrir de terre pour en faire un charnier.
Les gens du village voisin ont prétendu oublier, mais un acharné de la mémoire a fini par retrouver les morts.
Il a appelé les hommes qui creusent.
Quand les hommes qui creusent ont ouvert la fosse commune, certains squelettes ne pouvaient pas être distingués les uns des autres. On avait trouvé un dentier, une chaussure de dame, et il y avait, affleurant de la terre si douce, légère et sableuse, un petit crâne d’enfant.
Au bord de la fosse, le fils d’un des hommes qui creusent, un petit garçon qui allait grandir dans une Europe en guerre, regardait ce crâne, ni plus grand ni plus petit que le sien.
L’enfant mort et l’enfant vivant avaient le même âge.
J’ai alors compris. Le présent, que, journaliste, j’avais fait profession d’expliquer, n’était en réalité rien d’autre que la présence du passé.
Depuis, je sais que je travaille pour ceux qui croient encore aux frontières, ceux qui croient percevoir des frontières dans l’espace et aussi dans le temps.
Je travaille pour que le regard qu’ils portent sur le monde, le temps de la lecture d’un article, peut-être, s’en libère.
Je travaille pour les vivants, et je travaille donc pour les morts.
Ce texte a précédemment été publié dans l’ouvrage « Pour qui travaillent les journalistes ? – Les Prix Albert-Londres prennent la plume » aux Éditions de l’Aube – octobre 2023.
Allan Kaval est journaliste, lauréat en 2020 du prix Albert Londres pour ses reportages sur la Syrie publiés dans Le Monde, et du Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre.
Manon Loizeau, lauréate du prix Albert Londres en 2006, évoque le devoir de porter les voix des oubliés en temps de guerre. À travers des rencontres et des récits poignants, elle rend hommage à Anna Politkovskaïa et d’autres journalistes qui, malgré les dangers, continuent à faire entendre la vérité, même lorsque l’indifférence domine.
Transmettre les voix de pays devenus prisons et dont les gouvernants misent sur notre indifférence, les voix de ceux qui osent encore se dresser contre le pouvoir, les voix qui résistent en murmurant dans les maisons quand autour la terreur règne, les voix du silence qui luttent contre la disparition.
Manon Loizeau
C’était un jour d’hiver dans un village à quelques kilomètres au nord de Grozny. La terre craquait sous mes pas alors que j’approchais d’un groupe de femmes et d’hommes rassemblés sur la place centrale.
La veille, les soldats russes avaient fait une « zatchistka », leur sinistre « opération de nettoyage ». Ils avaient arrêté plusieurs dizaines d’hommes, des adolescents, des vieillards. Des hommes qui allaient sans doute disparaître sans laisser de traces, comme des milliers d’autres Tchétchènes. Règne de la terreur et de l’arbitraire. Des crimes passés sous silence. Depuis longtemps les regards s’étaient détournés de la Tchétchénie.
Je tentais de recueillir des témoignages, des preuves de la disparition.
Quelques femmes acceptèrent de me parler, à voix basse, en regardant sans cesse derrière elles pour vérifier que les soldats russes ne revenaient pas. Alors que nous échangions, un homme me prit brusquement à partie.
« Vous, les journalistes, vous venez nous regardez comme des animaux dans un zoo, vous nous auscultez et puis vous repartez. Mais nous on reste. »
Les mots claquaient dans le silence qui venait de s’installer et se prolongeaient comme un écho dans le souffle du vent glacé qui transperçait les corps emmitouflés. Les regards se figèrent, les femmes se turent.
Je sentis brusquement ma présence sur cette terre interdite où je continuais de me rendre régulièrement, terriblement vaine. Je regardais l’homme qui m’avait interpellé. Son beau visage émacié, ses yeux bleus dont l’éclat s’était perdu quelque part dans l’abîme d’une infinie tristesse. Aslan avait perdu son fils de 17 ans dans une « zatchistka ».
Il n’y avait pas d’agressivité dans sa voix, juste une immense lassitude, une profonde désillusion. Ici, beaucoup avait cessé de croire à l’utilité de parler. L’homme qui m’avait interpellé tourna le dos et parti.
Plus rien que le silence.
« Vous venez comme dans un zoo et vous repartez. » Cette phrase ne m’a jamais quittée. Tout était dit. Les Tchétchènes, épuisés par deux guerres qui avaient fait plus de 150 000 victimes, meurtris par notre indifférence, ne croyaient plus depuis longtemps à la compassion de l’Occident. Mais ils ne croyaient plus non plus en nous, journalistes trop souvent de passage, happés par d’autres drames, d’autres guerres.
Sur ce petit chemin de terre en lisière de Grozny, j’avais brusquement pris conscience de la douleur de « ceux qui restent », ceux dont on ne parle plus. De leur sentiment de solitude et de trahison.
L’actualité était ailleurs, mais l’occupation russe faisait des milliers de victimes. Une guerre sans témoins pour raconter les corps et les âmes déchirés. La chape de plomb de la terreur avait recouvert les terres du Caucase et les crimes étaient pour jamais étouffés.
Ce matin-là, je me suis dit qu’il fallait écrire, filmer pour « ceux qui restent ». Continuer de faire sortir les voix des femmes et des hommes qui demeurent quand tous les observateurs sont partis.
Et c’est ce qui me guide depuis. Transmettre les voix de pays devenus prisons et dont les gouvernants misent sur notre indifférence, les voix de ceux qui osent encore se dresser contre le pouvoir, les voix qui résistent en murmurant dans les maisons quand autour la terreur règne, les voix du silence qui luttent contre la disparition.
Des années plus tard, je rencontrais Maryam qui me rappelait à cette nécessité de toujours résister à la spirale de l’oubli. Maryam, une jeune institutrice syrienne, mère de cinq enfants, qui eut l’incroyable courage de témoigner pour raconter l’indicible, le viol dont elle avait été victime dans les prisons de Bachar Al-Assad. Maryam qui, en osant parler, a révélé l’abominable crime du régime syrien, le viol comme arme de guerre. Tabou absolu dans la société syrienne. L’arme parfaite et terrifiante du pouvoir car les victimes sont réduites au silence. Bannies par leurs familles quand elles sortent de l’enfer des prisons, elles errent sur les routes de l’exil. Les corps meurtris à jamais. Si les victimes parlent, leurs familles les condamnent à mort. Effroyable double peine.
Après plusieurs années, emmurée dans le silence de sa douleur infinie, Maryam brisa l’omerta et osa nommer le crime. Nous avions passé beaucoup de temps ensemble. Nous avions recueilli les mots qui racontent l’indicible, le corps de la femme devenu territoire de guerre des hommes, le basculement vers la nuit sans fin. L’abîme. Nous avions pleuré, nous nous étions tenu les mains. Longtemps.
Juste avant de nous quitter, Maryam a regardé droit dans notre caméra et a lancé ce cri : « Vous qui allez regarder ce film et m’entendre, vous allez sans doute être touchés, éprouver de la compassion, être un peu émus, quelques heures, quelques jours, et puis vous allez passer à autre chose… »
Les drames sont nombreux et l’émoi volatile.
Les regards se détournent déjà de la jeunesse iranienne qui résiste et compte ses morts, des filles et des femmes afghanes privées de tous leurs droits, du règne de la terreur qui se prolonge en Syrie après tant d’années de massacre. Les milliers d’enfants, de femmes et d’hommes qui meurent noyés en Méditerranée, et dont parfois les destins nous émeuvent, disparaissent vite de nos mémoires.
Tous nos regards sont posés désormais sur l’Ukraine et la Russie, mais pour combien de temps encore ? Les journalistes du monde entier racontent depuis un an et demi la résistance inouïe du peuple ukrainien. Le défi est de continuer à témoigner le plus longtemps possible alors que la guerre va s’installer dans la durée. De veiller à ne pas laisser gagner l’accoutumance aux chiffres de la liste des morts et des exactions qui chaque jour grandit, ni à celle des milliers d’arrestations arbitraires en Russie.
Le souvenir d’Anna Politkovskaïa ne me quitte pas. Anna écrivant jusque tard dans la nuit derrière son petit bureau recouvert de dossiers, d’innombrables carnets de notes et de centaines de lettres venant de toute la Russie. Anna qui jusqu’à son assassinat, le 7 octobre 2006, n’a eu de cesse de porter la plume dans les plaies de son pays pour lutter contre l’oubli des crimes du régime. Anna dont tous les articles qu’elle a écrit pour son journal Novaïa Gazeta sont pour moi la meilleure réponse à « pour qui travaillent les journalistes ? » Elle qui décrivait ainsi son métier : « C’est simple, je dois raconter ce que j’ai vu. Le pouvoir russe me déteste parce que j’écris ce que j’ai vu et que la vérité leur est insupportable. C’est mon devoir de journaliste de décrire la réalité telle que je la vois, telle qu’elle existe sur le terrain. Il n’y a pas d’autre choix possible. »
Anna écrivait pour que son peuple, le peuple russe, entende les voix des civils tchétchènes mais aussi celles des Russes victimes de la répression. Les survivants de la prise d’otages du théâtre Doubrovka, à Moscou, empoisonnés par le gaz utilisé par l’armée russe pendant l’assaut, les mères de l’école primaire de Beslan où 186 enfants sont morts lors d’une autre prise d’otages sanglante, les soldats russes souffrant du syndrome tchétchène oubliés par l’État dès leur retour du front et des milliers d’autres anonymes. Plus tard, elle sera la seule à accompagner ceux dont elle avait raconté l’histoire qui tentaient d’obtenir justice dans les tribunaux russes à la solde du pouvoir. « Cela fait partie de mon métier, me disait-elle, écrire sur les crimes, puis aider les victimes après la publication de l’article, c’est fondamental. C’est aussi le sens de mon travail. »
Anna a été l’une des premières à exposer la nature du régime de Vladimir Poutine qui a conduit à la tragédie en Ukraine vingt ans plus tard. « Je pense que notre pouvoir ne s’est pas débarrassé du syndrome stalinien selon lequel l’homme n’est rien, juste de la poussière sous les bottes de l’État. Pour eux, la vie humaine ne vaut rien. »
Elle poursuivait : « Je déteste ce régime parce qu’il veut nous ramener vers le passé. Alors, je me bats pour vivre dans un pays où chaque individu est respecté, où l’on a le droit de lire, de penser et d’écrire ce qu’on veut. »
Anna en est morte.
« Pas d’homme, pas de problème », disait cyniquement Joseph Staline.
Cinq autres journalistes de Novaïa Gazeta ont été assassinés : Natalia Estemirova, Iouri Chtchekotchikhine, Stanislav Markelov, Anastasia Babourova et Igor Domnikov. Et beaucoup d’autres à travers la Russie.
Des centaines de ses collègues ont repris le flambeau, poursuivant leur mission dans un pays où, jour après jour, la liberté de la presse se réduit telle une peau de chagrin. Depuis le début de la guerre en Ukraine, plus de 260 organes de presse indépendants ont fermé ainsi que des milliers de sites. Désormais, la majorité des journalistes russes qui travaillaient pour la presse libre sont en exil, ceux de Novaïa Gazeta, ceux de la radio Echo de Moscou, ceux de la télévision indépendante Dojd, ceux du site Meduza…
Beaucoup aussi n’ont pas pu partir et résistent comme ils peuvent de l’intérieur. Tous continuent de travailler avec un immense courage pour qu’on ne ferme jamais les yeux et que nos consciences résistent aux ténèbres qui ont recouvert leur pays, la Russie.
Dmitri Mouratov, le merveilleux directeur de la rédaction de Novaïa Gazeta, a eu ces mots : « Aujourd’hui, il ne reste plus de presse libre en Russie. Trois cents journalistes ont été déclarés ennemis du peuple, agents de l’étranger et ont dû s’exiler. Dans mon pays, le journalisme est devenu hors la loi. » Et dans son discours à Oslo en recevant le Prix Nobel de la paix, Dmitri Mouratov, qui a décidé de rester en Russie, a conclu par ces paroles : « En russe, en anglais et dans d’autres langues, il existe un proverbe : “Les chiens aboient, la caravane passe”. On l’interprète ainsi : rien ne peut empêcher la caravane d’avancer. Parfois, nos autorités parlent ainsi, avec mépris, des journalistes. Ceux-là aboient, mais n’ont aucune influence. Or, j’ai appris récemment que ce proverbe signifie le contraire. La caravane avance parce que les chiens aboient. Ils grognent et se jettent sur les prédateurs dans les montagnes et les déserts. La marche en avant n’est possible que lorsqu’ils accompagnent la caravane. Oui, nous grognons et mordons. Nous avons des crocs et une poigne. Mais nous sommes la condition du mouvement en avant.
Être des veilleurs, témoigner, fait sortir des voix, toujours.
Ce texte a précédemment été publié dans l’ouvrage « Pour qui travaillent les journalistes ? – Les Prix Albert-Londres prennent la plume » aux Éditions de l’Aube – octobre 2023.
Manon Loizeau est une journaliste et réalisatrice, lauréate du prix Albert Londres en 2006, Etoile de la Scam en 2007 pour La malédiction de naître fille et en 2008 pour Au nom d’Anna.
En plus de couvrir des conflits en Tchétchénie, elle a aussi réalisé des documentaires en Iran, en Syrie, au Yémen, en Birmanie, en Biélorussie.
Entre reportage et enquête, entre plaisir personnel et mission collective, entre quête de liberté individuelle et responsabilité d’informer, Samuel Forey, Prix Albert Londres 2017, nous partage une vision engagée et lucide de son métier.
*Comme tous mes autres semblables, j’étais un fouineur, un éternel insatisfait et parfois un fauteur de troubles inconscient. Je ne m’arrêtais jamais assez longtemps pour avoir le temps d’y réfléchir, mais mon instinct me semblait juste. Je partageais l’optimisme fantasque qui nous faisait croire que certains d’entre nous allaient de l’avant, que nous avions choisi la bonne voie et que les meilleurs du lot finiraient inévitablement par percer. Mais comme d’autres, j’avais aussi le sombre pressentiment que la vie que nous menions était une cause perdue, que nous étions tous des acteurs qui nous abusions nous-mêmes tout au long d’une absurde odyssée. Et c’était la tension entre ces deux extrêmes, idéalisme tapageur d’une part, hantise de l’échec imminent de l’autre, qui continuait à me pousser en avant.
Hunter S. Thompson – Rhum express
La question est venue, les guillemets à l’anglaise et le point d’interrogation sans espace insécable, dans la bouche de mes interlocuteurs, collègues, interviewés, rencontres de passage, quand je me suis installé à l’étranger, en 2011, pour couvrir la révolution égyptienne. C’était nouveau, ou plutôt, c’était la première fois que répondre à cette question me posait un problème. Dans la période, finalement courte – mais dans la vingtaine, deux ans paraissent si longs ! –, pendant laquelle je faisais des piges à Paris, la question m’engageait moins – parce que je ne me sentais pas encore journaliste. J’étais toujours un peu étudiant, soucieux de rester libre et de chercher mon propre chemin, plutôt que d’investir mon énergie à rejoindre une rédaction – le désir puéril et certainement narcissique d’y arriver tout seul. Je n’avais même pas de carte de presse. Il y avait, d’une part, la paresse d’entreprendre les démarches administratives. D’autre part, ce sentiment d’imposture – je ne m’estimais pas encore digne du sésame.
L’enjeu fut plus crucial, arrivé au Caire. D’une certaine manière, mon identité se réduisit à celle de journaliste. En plus de me faire vivre, c’est ma fonction qui me permettait d’obtenir mon visa, ma carte de presse égyptienne – indispensable, même dans les temps tumultueux d’une révolution qui se cherchait encore. La « situation » – à lire en français comme en anglais – était l’objet principal de mes questionnements, de mes conversations, de mon agenda, jusqu’à la façon de m’habiller – je vais rencontrer des amis, mais mettons de solides chaussures, prenons un carnet et un chargeur de téléphone, au cas où quelque chose se passe. C’est peut-être là que « le journaliste » est apparu. C’est d’ailleurs en 2011 que j’ai fait ma première demande de carte de presse. Et que j’ai commencé à me sentir à ma place, même si celle-ci était inconfortable, parce que j’étais indépendant et que j’avais plusieurs clients.
La question fatidique était plus rassurante en français – au moins, on voyait pour qui je travaillais, et dans cette génération de reporters qui se formait pendant la révolution, il y avait beaucoup de free-lance. En anglais, c’était autre chose. Je devais expliquer que Le Point était un hebdomadaire, que telle télévision était une chaîne d’information en continu. Cela renforçait mon sentiment d’imposture – étais-je légitime ? Étais-je un vrai journaliste ? Je pirouettais souvent, assumant mal de ne pas être le correspondant d’un seul journal, tout en étant fier, par moments, de cette liberté qui me permettait de mener mon métier comme je l’entendais – et c’est dans cette contradiction que se cache la clé de l’énigme.
Je cherchais quelque chose. Quoi ? Je ne savais pas. La définition de l’errance. Mais, quelquefois, sur certains sujets, je comprenais – c’était ça, ce que je cherchais. Et je le trouvais aussi bien dans une série sur les forêts d’Île-de-France écrite pour Télérama Sortir, que dans le portrait d’une famille oblitérée par une frappe aérienne israélienne à Gaza, ou dans le récit d’une journée au cœur de la bataille de Mossoul. Ça ? Le sentiment d’accomplissement quand j’avais eu l’impression d’être juste, sensible, clair et utile.
Peut-être ai-je été inconsciemment marqué par l’injonction platonicienne du vrai, du beau et du juste. Là, j’oublie pour qui je travaille – que ce soit pour Le Point, Le Figaro, Les Inrocks, Libération… l’important, c’est que ça sorte, que ça sorte bien, et que ce soit lu – même un peu.
Samuel Forey
Journalistiquement, ça tourne autour de deux exercices. Le reportage, cet exercice si particulier, toujours insatisfaisant, de restitution du réel – là où il faut être juste et sensible. Et l’enquête – où l’on doit être clair et utile. Le premier puise dans le plaisir d’écrire. Le second, dans celui de trouver – ce goût, très enfantin encore, de la chasse, de la traque, d’aller jusqu’au bout. Le reportage, c’est souvent un plaisir personnel, voire narcissique – être là « où ça se passe », sentir le monde bouger sous ses pieds, correspondre à l’image fantasmée du reporter. L’enquête satisfait une ambition plus collective, voire citoyenne – je travaille pour informer le public d’une chose qu’il ne connaît pas. Et se battre pour l’intéresser, sans racoler. Cela engendre deux défauts. Celui de surécrire, quand je n’arrive pas à trouver les mots justes. Et de manquer d’une vision d’ensemble, je suis trop obsédé par les détails et n’aime pas la sécheresse stylistique de l’analyse.
En 2015, lors d’une correspondance de six mois en Turquie, j’ai écrit, comme tous mes collègues, de toutes nationalités et de tous médias, sur l’exode migratoire des Syriens. Pendant plusieurs mois, des milliers de sujets ont nourri les journaux, les télés, les radios, les sites internet. Jusqu’à ce qu’en septembre, comme une goutte qui déborde, la photo du petit Aylan bouleverse l’opinion, et pousse Angela Merkel à accueillir un million de réfugiés en Allemagne. J’ai fait mon infime part du boulot. Et après, il faut toujours recommencer. C’est un travail ingrat, mais passionnant, car perfectible – on peut toujours être plus juste, plus sensible, plus clair, plus précis, et de temps en temps ça marche. On a changé quelque chose, la perception dans la tête de quelqu’un, le point de vue du pouvoir. Quelle que soit la dimension égocentrique de ce métier, qu’on nous reproche ici et là, la dimension collective, pour moi, l’emporte. Le journaliste écrit ou diffuse parfois pour lui, mais toujours pour les autres. Une histoire qui n’est pas publiée n’est pas du journalisme – c’est un journal intime.
Souvent, on a l’impression que « ça ne change rien ». Mais le simple fait de participer à la construction d’un savoir collectif, de garder le souci du fait, d’assurer ce journalisme du quotidien contribue, j’en suis convaincu, à informer des citoyens plus libres et plus responsables – et c’est épanouissant en soi. C’est un questionnement permanent, et cela m’invite souvent à penser contre moi-même et à accepter de me tromper. Ces remises en question font entrer de nouveaux savoirs, de nouveaux mondes – et m’emporte encore dans cette soif de découvrir, apprendre, comprendre – et retranscrire.
C’est quand, paradoxalement, je sors la tête de mon métier, de mon identité de journaliste, que je commence à me demander pour qui je travaille – parce qu’il faut bien vivre, ma bonne dame, mon cher monsieur. L’amour, l’eau fraîche et le journalisme nourrissent mal. J’ai presque toujours été indépendant. J’ai toujours testé les limites de mes employeurs, pour voir à quel point je pouvais être libre. À un moment, le journaliste se doit d’être un fouteur de merde, et plus ça éclabousse, plus il aime. Cette quête est essentielle. On me demande souvent si je peux écrire ce que je veux. La liberté n’est jamais acquise, elle est toujours conquise. Tout en gardant à l’esprit qu’on ne peut pas tout détruire. C’est peut-être ça, la tension entre les deux extrêmes dont parle Hunter S. Thompson* – la recherche de la liberté individuelle, tout en ayant conscience de sa responsabilité de citoyen. L’articulation du plaisir personnel et de la mission collective. Pour qui travaille le journaliste ? Pour ce point d’équilibre entre lui et les autres – cette position médiane qui a donné le nom aux supports pour lesquels il publie. À lui de trouver l’équilibre.
Ce texte a précédemment été publié dans l’ouvrage « Pour qui travaillent les journalistes ? – Les Prix Albert-Londres prennent la plume » aux Éditions de l’Aube – octobre 2023.
Lauréat du Prix Albert Londres de la presse écrite en 2017, Samuel Forey a déjà une grande expérience du reportage en terrain difficile, qu’il s’agisse de la couverture du printemps arabe en Egypte ou du conflit syrien, notamment dans la ville de Kobane tout juste libérée. Mais son traitement de la grande bataille de Mossoul pour Le Figaro, depuis l’automne 2016, a démontré, outre un courage et un sens du terrain évidents, une justesse de regard et une écriture d’une vivacité, d’une tendresse et d’un humanisme qui le classent à l’évidence dans la lignée d’Albert Londres. Des histoires, des images, des dialogues… Du journalisme de guerre à hauteur d’hommes, attentif aux gestes et aux regards, aux guerriers et aux civils, aux armes des djihadistes comme aux roses d’un jardin de la vieille ville. Il est actuellement correspondant du Monde à Jérusalem.
Pour ce 11e épisode, nous avons interrogé le réalisateur et grand reporter Charles Villa, qui a accepté de se prêter à l’exercice pour notre Lettre Astérisque. Avec sincérité, il évoque son expérience au long cours qui l’a mené du journalisme « classique » à un journalisme de terrain partagé sur les réseaux.
Je ne rêve que de jeux vidéo et je passe le plus clair de mon temps devant des écrans d’ordinateurs dans les cybercafés.
On est au milieu des années 2000, c’est le début du streaming, les réseaux sociaux n’existent pas encore et il n’y a pas vraiment d’opportunités professionnelles dans ces domaines.
Je ne me souviens pas pourquoi j’ai voulu être journaliste au début. Je pense que c’est un mélange de fascination pour le documentaire animalier, qui n’a pas grand-chose à voir avec ce métier en réalité, et l’envie de découvrir le monde.
Assez simple. Mais ce n’était pas mon premier choix.
Quand je commence mes études de journalisme, je travaille donc pour moi-même, pour trouver une voie et ma place dans la société.
Charles Villa
Je vais apprendre à aimer ce métier avec le temps mais en réalité je ne comprends pas immédiatement son rôle et son importance. Après un stage, j’obtiens mon premier contrat à la chaîne parlementaire, un canal de la TNT qui couvre l’actualité de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Je fais des interviews de députés, des petits reportages news pour le journal du midi et du soir. C’est très formateur parce que j’apprends les bases du métier mais en réalité mon travail relève plus de la communication parlementaire que du journalisme.
Et je sens qu’il y a quelque chose qui ne va pas, que ce n’est pas le rôle d’un reporter de faire ça. Comme la majorité des gens qui se lancent dans ce métier, j’ai juste envie de raconter le monde en étant sur le terrain et en parlant avec les gens. Et cette intuition me pousse à partir en freelance à 25 ans pour essayer autre chose. Tout change à partir de ce moment-là.
Avec mes économies, j’achète du matériel et des billets d’avions. Je pars très vite à l’étranger pour essayer de couvrir les crises humanitaires au Proche-Orient et en Afrique sub-saharienne. Je commence par filmer une révolte populaire de la jeunesse palestinienne à Hébron en Cisjordanie. Des gamins arrivent à l’hôpital avec des trous dans les bras, les jambes et l’abdomen. À ce moment-là, je suis la seule caméra sur place. C’est la première fois que je vois des urgences vitales et des blessures par balles. J’arpente les rues où les combats se déroulent. Je vois des jeunes adultes avec des pierres à la main qui tentent de se rendre au tombeau des patriarches, un lieu de pèlerinage pour les religions abrahamiques. L’armée israélienne répond par des balles en caoutchouc puis à balles réelles. Les Palestiniens se regroupent mais n’avancent pas. Les pierres fusent dans tous les sens, impossible de savoir d’où viennent tous les projectiles. Un humanitaire qui m’accompagne est touché à la tête, il faut l’évacuer.
Quelques semaines plus tard, je pars en Casamance au Sénégal pas loin de la frontière gambienne. J’accompagne des médecins qui partent en brousse pour opérer des enfants du noma, une maladie infectieuse qui gangrène la bouche et la peau du visage. Un mal qui défigure et tue dès le plus jeune âge. Quand ils survivent, ils risquent l’exclusion de leur communauté qui voit cette maladie comme une malédiction. Le noma symbolise la pauvreté extrême et la défaillance des systèmes de santé des pays où la maladie se propage.
Personne n’en parle en Europe, mais c’est un véritable fléau en Afrique sub-saharienne.
Pendant ces deux reportages, j’ai tout de suite l’impression d’être à ma place et de contribuer à quelque chose d’utile en documentant ces histoires. Un chemin se trace. Je trouve enfin du sens dans ce que je fais.
Charles Villa
À chaque fois que je pars en mission dans des zones de conflits, je reste plusieurs semaines avec les populations locales qui fuient des situations désespérées. À leurs côtés, je comprends mieux le pouvoir de la transmission et l’importance du témoignage. Un homme qui a perdu sa fille à cause d’un bombardement de la coalition à Mossoul en Irak, un enfant amputé après avoir marché sur une mine antipersonnelle en Afghanistan, une mère, au Soudan du Sud, qui voit son enfant dépérir jour après jour de malnutrition aiguë sévère. Et des médecins impuissants face au manque de financement des institutions internationales.
Toutes et tous ont un point commun. Ils veulent que le monde soit au courant. Au fur et à mesure de mes reportages et de mes documentaires pour les chaînes du service public, j’apprends le sens profond de mon métier, son rôle de passeur et de témoin de l’histoire. Mais là encore, je sens qu’il y a un truc qui ne va pas.
Plusieurs choses m’empêchent de me projeter sur le long terme avec la télévision. La question des droits sur les images notamment. À l’époque, un reportage n’est diffusé qu’une seule fois et n’est plus accessible ensuite. J’y vois un non-sens journalistique. Des preuves, des témoignages qui permettent de dénoncer une situation ou raconter un moment de l’histoire devraient rester disponibles en permanence, gratuitement quelque part.
Puis le replay arrive. Mais au bout d’une semaine, le contenu est dépublié et c’est encore aujourd’hui souvent le cas. Pourquoi laisser tomber dans l’oubli des reportages ou des documentaires quand des femmes et des hommes prennent des risques pour raconter leur vécu ou pour dénoncer une injustice ?
De plus, un reportage ou un documentaire dépasse rarement 13, 26 ou 52 minutes. Que faire des heures de rushes en notre possession? Que faire de tous ces témoignages qui ne sont pas diffusés puisque les images que je filme appartiennent aux boîtes de productions ou aux chaînes et que je n’ai pas le droit de les utiliser.
Alors pour qui travaille-t-on ? Les journalistes travaillent pour les gens.
Et c’est pour ça que finalement, en 2017, je décide d’aller sur internet.
Ma génération et celle d’après n’allume presque plus la télévision. J’ai grandi avec YouTube, les forums de discussions en ligne, le streaming puis plus tard les réseaux sociaux. Tout est encore à construire et l’information occupera une place importante sur toutes ces plateformes.
Je rejoins Brut pour continuer mon chemin. Mes premiers reportages en Afrique francophone diffusés sur la page Facebook du média font des centaines de milliers de vues et le tour du continent.
Pour la première fois, les internautes peuvent s’emparer de cette information. Ils la commentent, la likent, la partagent à leurs amis et taguent les hommes politiques de leur région. Auparavant ils étaient passifs devant leur petit écran. Aujourd’hui ils deviennent actifs devant celui de leur téléphone ou ordinateur. Pour la première fois, les personnes que j’ai filmées à l’étranger peuvent voir en ligne les vidéos que j’ai réalisées avec leur témoignage. Pas de voix off, uniquement des sous-titres, ils peuvent enfin entendre leur propre voix.
Pour la première fois, j’allie dans mon travail le sens et l’impact. Je découvre que les zones peu visibles à la télévision et qui font habituellement de faibles audiences ont un large public en étant accessibles gratuitement et de manière permanente sur internet.
Certaines de nos vidéos incitent à aller plus loin, à se mobiliser et à s’engager pour des causes. On arrive parfois à créer des liens entre les personnes que l’on filme et ceux qui regardent nos reportages. J’ai l’impression de vivre une révolution du métier de journaliste.
Brut sent aussi cette révolution, ils me donnent carte blanche pour créer sur YouTube. Pour toucher un public plus jeune, je développe des longs formats en partenariat avec des vidéastes de la plateforme. La santé mentale des réfugiés syriens au Liban, l’hôpital de guerre à Kandahar en Afghanistan, l’insécurité croissante dans Bangui en Centrafrique. Je les emmène avec moi dans des endroits difficiles d’accès et de plus en plus de gens regardent notre travail. Avec cette pratique, je comprends que les spectateurs apprécient de suivre des personnes en qui ils placent leur confiance pour qu’elles leur racontent l’information.
Auparavant, je n’aimais pas beaucoup apparaître à l’image. Mais pour de mauvaises raisons. Je viens du reportage télé où le reporter ne doit pas devenir le personnage principal de son sujet. Et en ayant réalisé des documentaires avec ou sans voix off, je trouvais ça inconfortable au début d’apparaître dans mes vidéos. Mais je pense aujourd’hui qu’il est possible de raconter des histoires avec un ton humble, qui ne met pas le journaliste trop en avant. Aujourd’hui, avec l’explosion des sources d’informations et de contenus vidéos, je comprends que les gens ont de plus en plus besoin d’être accompagnés par un journaliste qu’ils apprécient dans des thématiques complexes.
Avec le recul, je trouve ça logique. Ça fait longtemps que je ne lis plus la presse au travers du prisme d’un média. Je lis et je regarde des confrères, consœurs dont j’apprécie le travail sur le terrain et dont je connais les qualités humaines.
C’est principalement pour toutes ces raisons que j’ai commencé à incarner mes reportages et que j’ai créé ma propre chaîne YouTube. C’est un outil incroyable et très utile pour dévoiler les coulisses de mon travail, pour diffuser des rushes que je n’avais pas utilisés et pour publier des vidéos sans aucune contrainte de durée. Cela me permet aussi de mettre en avant le travail de celles et ceux qui m’accompagnent au quotidien, notamment les fixeurs, qui sont les personnes les plus importantes avec moi sur le terrain et qui sont restés invisibles pendant très longtemps dans notre métier.
Les journalistes travaillent pour les gens. Être reporter me rend heureux donc je travaille aussi un peu pour moi-même.
Je crois avoir trouvé ma place.
Réalisateur et grand reporter pour le média en ligne Brut, Charles Villa incarne une nouvelle génération de journalistes très présents sur les réseaux sociaux.
Instagram : @charlesvillaa / YouTube : @Charles Villa
Pour ce 10e épisode de notre série Pour qui travaillent les journalistes ? Nous avons posé la question au lauréat du Prix Albert Londres 2023 (presse écrite).
Pour quelles raisons, nous, les reporters de guerre indépendants, acceptons-nous de travailler à portée de tir pour l’équivalent d’un smic, si ce n’est parce que nous adorons notre métier ? Pourquoi sommes-nous prêts à perdre de l’argent – c’est-à-dire prêts à nous lancer dans un reportage dont nous savons à l’avance que les coûts de production, de transport, de logement, de traduction, seront supérieurs à notre rémunération -, si ce n’est par engouement pour notre vocation ?
Pourquoi acceptons-nous le mépris des rédactions, qui nous sous-payent, et de certains de nos lecteurs, qui nous insultent, si ce n’est par passion pour le terrain ?
Il m’arrive de faire ce métier pour les mauvaises raisons. Pour l’adrénaline et l’aventure. Pour l’admiration qu’on me porte, pour une page Wikipédia. Pour pouvoir dire, en haussant légèrement la voix, « Yann Barthès ? Oui, il est super sympa dans la vraie vie ». Pour recevoir des prix, voyager et avoir des histoires à raconter en rentrant à la maison.
Souvent, aussi, je fais ce métier pour les bonnes raisons. Parce que je m’intéresse aux autres, parce que les actualités que nous couvrons, ces guerres, ces crises, exigent toute notre énergie et nos compétences. Parce que les survivants que nous croisons méritent que nous nous intéressions à eux – eux qui, jamais auparavant, n’avaient perdu une jambe, un parent, une maison. Eux qui traversent le pire moment de leur existence et qui implorent qu’on documente le crime qui les a rendus infirme, orphelin, sans-abris.
Parce que les actualités que nous couvrons, ces guerres, ces crises, exigent un travail de terrain rigoureux, équilibré et empathique. Face au déluge d’images et aux campagnes de désinformation, opposer des faits vérifiés et contextualisés, faire le choix de la complexité et du doute, rapporter des histoires humaines qui permettent de créer des ponts, de Kiev à Bruxelles, de Jérusalem à Paris.
Rencontrer tout le monde, écouter, retranscrire ces perspectives avec honnêteté et esprit critique. Refuser de se laisser enfermer dans un camp sans pour autant créer de fausse équivalence entre agresseur et agressé, entre occupant et occupé. Quand certains cherchent à nier, nous devons révéler. Face à la propagande, l’information. Face aux double-standards, la cohérence. Contre le relativisme et les justifications, une clarté morale.
Les journalistes travaillent pour eux-mêmes, par passion. Ils travaillent aussi pour les autres, par devoir.
Wilson Fache
La première fois que le journalisme m’a procuré une forme de récompense, c’était en décembre 1999. L’Erika, un pétrolier maltais, venait de faire naufrage au large de la Bretagne, provoquant une gigantesque marée noire. Mes parents, absorbés par le JT de France 2 qui avait décidé de consacrer une partie de son 20h à cette catastrophe environnementale, ne m’avaient pas encore mis au lit. J’avais à peine sept ans et je n’avais jamais pu rester éveillé jusque si tard. Je regardais les reportages se succéder en jubilant.
Je suis ensuite passé de l’autre côté de l’écran et le journalisme est devenu d’autant plus gratifiant. Un métier-excuse pour se faire inviter partout, par tout le monde. Si les journalistes travaillent pour eux-mêmes, c’est avant tout pour ça : ce prétexte qui permet de toquer aux portes et de veiller tard.
Le journaliste belge indépendant, Wilson Fache couvre le Moyen-Orient et les grandes actualités internationales pour de nombreux médias (RTBF, RFI, Libération, L’Orient-Le Jour, RTS, RTL…). Il a reçu le Prix Albert Londres de la presse écrite 2023 pour ses reportages sur l’Afghanistan (Libération et L’Echo), la gare routière de Tel Aviv (Mouvement) et l’Ukraine (L’Echo).
« Le féminisme est un fait de société, un projet politique, une révolution, au sens historique, symbolique, physique du terme. Quand j’écris, je lui emboîte le pas. Je suis devenue journaliste pas seulement pour raconter le monde, mais pour tenter de le changer. »
Pour ce 9e épisode de notre série Pour qui travaille les journalistes ?, Giulia Foïs revient sur son parcours et les étapes d’une vie engagée.
Le masculin l’emporte sur le féminin. Le masculin est le neutre. Le neutre est l’universel, et l’universel est le garde-fou, la colonne vertébrale, le principe fondateur du pays des Lumières, le nôtre, et il est beau, et il est grand, ce pays, puisqu’il s’avère aussi être celui des droits de l’homme. Année après année, je note, j’apprends, et je ne tique même pas. Je corrige, même. J’écris « Homme », avec un H majuscule, celui du neutre, de l’universel, et des Lumières – j’apprends vite. Le masculin de mon école primaire, le neutre de ma fac de lettres, l’universel de mon école de journalisme. Je viens d’y entrer, je bois les paroles de celui qui enseigne – plus rarement « celle », mais je ne m’en rends même pas compte. Il est journaliste, j’aspire à l’être. Il sait, je consigne. Le journaliste doit s’effacer derrière les faits, l’objectivité est une vertu cardinale. Je note. Le journaliste est un passeur, il écrit pour le plus grand nombre. Je note. Le journaliste sait mettre de côté ce qu’il est, qui il aime, et pour qui il vote, le journaliste s’oublie, au nom de l’intérêt général. Je note et je m’incline devant la noblesse d’un métier qui semble tenir autant de la technique, que de l’éthique.
Je suis fille du service public – France Inter, France Culture, France Info dans toutes les pièces de la maison, et cette idée que l’information n’appartient à personne d’autre qu’au peuple d’où surgit l’événement. Je suis la dernière production d’un couple né entre les mouvements de jeunesse italiens, et Mai 68, en France. Ma mère balançait des pavés, mon père changeait les couches de mon frère, et moi, j’ai grandi avec cette histoire là. Les stéréotypes n’existaient que pour qu’on les dégomme. Les rôles assignés promettaient la sclérose de la pensée. Le collectif avait le pouvoir de faire bouger les choses, l’individu le devoir d’essayer. Le féminisme avait gagné : le genre n’existait pas. Une nouvelle société avait émergé, et, cette fois, elle était vraiment universelle.
Le problème, avec la réalité, c’est qu’elle finit toujours par vous piquer le nez. Au Centre de formation des journalistes, j’ai vite compris que la guerre était un truc de bonhomme. A peu près comme la politique, l’économie, ou le sport. Aux filles, on laissait volontiers la culture et la société, ce truc suffisamment vague pour qu’on puisse y mettre ce qu’on voulait. J’aime le vague – pour la marge de manœuvre, alors j’y suis allée. Entre temps, la vie m’avait appris que mes parents s’étaient trompés : pour l’extérieur, le genre existait. Dans la rue, le genre existait. Etre une fille, ça aussi, c’était une réalité. Je ne compte plus les mains au cul, et les coups de sifflet. Je liste à peine les regards qui déshabillent, les « salopes » qui salissent, et le nombre de fois où j’ai pressé le pas en rentrant chez moi. J’ai eu la peur au ventre. J’ai eu la main sur l’épaule. J’ai eu le rédacteur en chef bienveillant, et la voix qui se baisse pour m’apprendre à marcher : « comme t’es une fille, on t’attend plutôt du côté de l’émotion, que de celui de l’analyse ». Je l’aurai pilé. J’étais CDD. Je n’ai pas moufté. Comme la majorité d’entre nous, j’ai appris à serrer les dents. A baisser la tête. A raser les murs. Et puis j’ai connu le viol, comme pas mal d’entre nous. Alors, comme certaines, je suis devenue féministe. J’ai compris que ce que j’avais subi était symptôme et cause d’un système qu’il fallait dégommer. J’ai voulu le dégommer. Et j’ai mordu mes lèvres, le 8 Mars, devant les quelques poignées qu’on était, réunies sous la pluie, sur une place de la Bastille qui nous racontait l’avènement d’une société libre, égalitaire, et fraternelle. Dans les années 2000, le féminisme avait gagné, alors on l’avait enterré. Et personne n’osait parler de sororité.
Et puis un jour, j’en ai eu marre. A force de faire semblant d’être neutre, je l’étais devenue, et j’annonçais à l’antenne la pire des catastrophes naturelles avec la même intensité que les prévisions de Bison Futé une veille d’Ascension : tout se répétait, tout était prévisible, plus rien ne me faisait rien. Les inondations me glissaient dessus. Les morts faisaient dodo. La vie c’était compliqué, c’était comme ça qu’est-ce que vous voulez, alors j’ai arrêté. J’ai décollé de l’actualité chaude comme on décolle le nez de la vitre, et je suis « descendue » aux programmes. Physiquement, on était un étage au-dessous. Dans la hiérarchie des valeurs éditoriales, c’était la dégringolade. Allais-je seulement pouvoir garder ma carte de presse ? La question ne cessait de m’étonner : moi, je voulais juste changer de rythme. Modifier l’angle de vue, mais regarder, toujours. Rapporter des faits, encore, mais freiner la cadence. Les décrypter pour le plus grand nombre, évidemment, mais prendre le temps. Saisir le réel, plus que jamais, mais pouvoir faire un pas de côté. Souffler. Respirer. Comprendre. Et, parfois, m’offrir l’immense liberté de dire « je ».
Saisir le réel, plus que jamais, mais pouvoir faire un pas de côté. Souffler. Respirer. Comprendre. Et, parfois, m’offrir l’immense liberté de dire « je ».
Giulia Foïs
Comme dans : « à force de traiter de sujets de société, je constate un certain nombre d’injustices ». Ca pourrait être un fait. L’écart de salaire moyen, entre un homme et une femme, c’est un fait. L’inégale répartition des tâches domestiques, dans le couple, c’est un fait. L’écrasante domination des hommes aux postes de pouvoir politique, économique, médiatique, c’est un fait. Mais, au pays des Lumières, c’est un fait qui déplaît, comme tout ce qui ternit le roman national. Le féminisme a gagné, le masculin est neutre, l’universel est une réalité, et le reste n’est qu’ovaires mal embouchés. A l’époque (autant dire : hier), dans les rédactions ou ailleurs, on considérait encore le féminisme comme une opinion obsolète partagée par quelques tue-l’amour désespérées – c’était sans doute les mêmes qui voyaient l’écologie comme le terrain de jeu des peines à jouir de la planète… C’était la seule fenêtre de tir possible, et je m’y suis engouffrée. Comme une damnée, j’ai bossé. Chiffrer mes chroniques, sourcer, calibrer au millimètre près : le sujet, je le sais, suscite tellement d’hostilité, que j’avance blindée.
J’apprends. Que la France est le seul pays au monde où on dit « droits de l’homme », et pas « droits humains ». Que notre langue est à peu près aussi inclusive qu’un monde dont la moitié des locataires est piétinée par l’autre. Qu’avant, on disait « autrice ». Mais que, quand des hommes ont fondé l’Académie Française, ils ont considéré que le mot devait être effacé, du vocabulaire, comme de la pensée. Alors les femmes ont disparu de nos bibliothèques. Alors les manuels scolaires, les miens, ceux qui m’ont appris l’histoire, la littérature – le monde en somme, ont été squattés par les hommes, de la première, à la dernière page, tant et si bien que leur point de vue, unique, est devenu hégémonique. Si répandu qu’on a pu le croire neutre. Tant réitéré qu’on a pu le dire universel.
Je me souviens. Que depuis que j’ai commencé le métier, ceux qui commentent, ceux qui analysent, ceux qui dessinent le monde sont des hommes : à eux, l’expertise, érigée en vérité ; aux femmes le témoignage, forcément parcellaire, forcément contestable. Que, dans tous les organes de presse où je suis passée, au micro, comme sur un plateau de télé, ils sont souvent les premiers, et les derniers à parler. Que, dans ma promo, au CFJ, nous étions tous les mêmes : blancs, bourgeois, officiellement hétéros. Et ça, qu’on le veuille ou non, ça s’appelle un biais.
Je pense que l’objectivité n’existe pas. Que les journalistes ne sont pas des machines. Et que, bien avant de traiter une question, de partir en reportage, d’écrire la moindre brève, ils font des choix.
Giulia Foïs
Avant même que le papier ne soit écrit, que la caméra ait tourné, que le son ne soit monté, leur subjectivité est intervenue. Pas grave. Normal. Bonne nouvelle, même : nous avons des doigts qui tapent sur un clavier, nous avons aussi du sang qui coule dans les veines, un cœur qui bat parfois la chamade, des tripes, des colères, et des souvenirs. Ce vécu là, ce bagage là font de nous les professionnels que nous sommes : naturellement singuliers, nous sommes la preuve vivante, incarnée, que le réel, en soi, n’existe pas, et que tout n’est jamais qu’une question de point de vue. A nous de l’étayer, à nous de le nourrir, à nous d’être le plus honnête, et le plus rigoureux possible. C’est tout. L’ambition peut paraître moindre, elle a le mérite d’être plus juste. A nous de l’assumer. Mais pourquoi ne pas le faire ? A titre personnel, je me demande surtout ce que dirait de nous cette neutralité sur des sujets comme le mien : à force d’avoir le nez plongé dans une réalité que tout le monde préfèrerait éviter, à force de me cogner à un monde où on viole (toutes les sept minutes, aujourd’hui, en France), où on cogne (deux cent milles femmes chaque année), où on tue (une tous les trois jours à minima), quelle sorte d’être humain serais-je si je n’étais pas déterminée à le faire bouger ?
J’écris pour que ça s’arrête.
J’écris pour que l’on sache et qu’on regarde le monde en face.
J’écris pour comprendre pourquoi, j’écris pour savoir comment.
J’écris pour déminer, j’écris pour décrypter.
J’écris pour le plus grand nombre, parce que personne n’échappe à ces sujets.
J’écris parce que c’est mon métier. Que mon métier consiste à traduire le monde tel qu’il est, dans ses mouvements, dans ses résistances, dans ses atermoiements, et que, ce faisant, j’espère accompagner la naissance de celui d’après.
Le féminisme – comme le réchauffement climatique, n’est pas une opinion. On n’est pas « pour ou contre le viol ». L’IVG est un droit inaliénable. L’égalité femmes / hommes n’est pas une réalité, et l’universel reste un but à atteindre. Chaque jour, je mesure la désinformation, je constate la force du fantasme, alors je répète les faits : non, les homme ne seront pas grand remplacés, mais ils pourront peut-être, un jour, vivre dans un monde plus civilisé.
J’écris pour informer, j’écris au nom de l’intérêt général.
Chaque jour, je lis, j’interroge, j’apprends encore, et je partage toujours : le journalisme est mon métier.
Le féminisme est un fait de société, un projet politique, une révolution, au sens historique, symbolique, physique du terme. Quand j’écris, je lui emboîte le pas.
Je suis devenue journaliste pas seulement pour raconter le monde, mais pour tenter de le changer.
Je me souviens. Que depuis que j’ai commencé le métier, ceux qui commentent, ceux qui analysent, ceux qui dessinent le monde sont des hommes : à eux, l’expertise, érigée en vérité ; aux femmes le témoignage, forcément parcellaire, forcément contestable. Que, dans tous les organes de presse où je suis passée, au micro, comme sur un plateau de télé, ils sont souvent les premiers, et les derniers à parler. Que, dans ma promo, au CFJ, nous étions tous les mêmes : blancs, bourgeois, officiellement hétéros. Et ça, qu’on le veuille ou non, ça s’appelle un biais.
La journaliste Giulia Foïs s’est peu à peu spécialisée dans les questions de genre. Productrice à France Inter, elle crée le débat depuis dix ans, sur les ondes, à propos des violences sexuelles, de la condition féminine et de toute forme d’oppression (Pas Son Genre; En marge). En mars 2020, elle publie Je suis une sur deux, récit-manifeste contre le viol et du combat qu’elle a dû mener pour s’en sortir. Sa participation à Ceci est mon cœur marque ses premiers pas dans la littérature jeunesse.
Ksenia Bolchakova, prix Albert-Londres 2022, a eu conscience très tôt de son désir de devenir journaliste. Elle n’imagine pas son existence autrement. Aujourd’hui elle dit surtout cette nécessité d’informer coûte que coûte, sans jamais flancher, celles et ceux qui n’ont d’autres oreilles attentives que les siennes, et dont elle peut restituer les histoires. Témoignage d’une femme engagée.
Je devais avoir vingt ans, tout au plus. Nichée à l’arrière de la grande Volvo 240 Classic blanche familiale, je regardais Paris défiler par la fenêtre, s’engager dans une énième nuit. Les lumières des quais de Seine, les vieilles pierres de ses ponts, les touristes feignant la flânerie à l’heure où pointe la fatigue, où les pieds lourds invitent au repos.
J’étais fatiguée moi aussi. Mon père au volant, ma mère à sa droite, France Info à la radio. Leurs voix, les R roulés de la langue russe que nous parlions entre nous se mêlaient aux flashs d’information de la soirée. Je n’ai gardé aucun souvenir des événements de ce jour-là. Enfin, des événements qui secouaient le monde extérieur, celui qui glissait sur la carrosserie lisse et rassurante de la voiture. Je me souviens en revanche de la discussion animée que j’ai provoquée.
Après deux années en classe préparatoire, une année magnifiquement paresseuse sur les bancs de la fac de philo à la Sorbonne, j’avais passé plusieurs concours pour intégrer une école de journalisme et, ce soir-là, j’annonçais à mes parents en avoir réussi trois sur quatre, haut la main. J’étais prise, et j’avais décidé d’intégrer le tout nouveau master créé par Sciences Po Paris. Qu’elle n’était pas la fierté de mon paternel. Lui-même du métier, dans un genre certes différent, puisqu’encarté jusqu’à la moelle au parti communiste soviétique durant une grande partie de sa carrière (il avait travaillé pour la Pravda, la « vérité » en russe, le grand quotidien du PCUS).
Dans un coin de sa tête, j’imagine que mon père nous voyait déjà en pionniers d’une grande dynastie de gratte-papier ou de grands reporters. Il savait quel avait été son rôle pour moi dans le choix de cette profession…
Ksenia Bolchakova
« Ma fille sera journaliste ! », cria-t-il à gorge déployée, couvrant les voix des présentateurs radio qui n’arrivaient plus à en placer une. « Ma fille sera journaliste ! », répéta-t-il encore une fois, un sourire gigantesque aux lèvres, des lumières dans les yeux que je n’y avais jamais vu, des yeux qui fixaient ceux de ma mère avec un air de défi. Dans un coin de sa tête, j’imagine qu’il nous voyait déjà en pionniers d’une grande dynastie de gratte-papier ou de grands reporters. Il savait quel avait été son rôle pour moi dans le choix de cette profession… Il brillait dans l’obscurité de l’habitacle. Son excitation et sa joie tranchaient avec le calme inquiet de ma mère. « Félicitations », glissa-t-elle enfin, après un long silence. Avant d’ajouter : « Mais si tu fais ce métier Ksenia, tu risques de finir vieille fille. »
Ses mots avaient la brutalité d’un coup de massue sur la tête d’un nouveau-né. À peine avait-il eu le temps d’entrouvrir les yeux, qu’on tentait déjà de les lui refermer. L’impression de me trouver à la frontière entre deux mondes, le mien — celui du métier que je m’apprêtais à apprendre, et celui où les femmes n’avaient qu’une destinée possible : le ménage, le devoir conjugal et la maternité. « Tu as déjà vingt ans, poursuivit-elle, et tu n’es toujours pas mariée. Si tu pars tout le temps en reportage, comment vas-tu faire pour avoir une vie de famille ? » Ces questions-là, je ne me les étais évidement jamais posées. Elles n’avaient aucun sens à mes yeux, mais le reproche profond qu’elles impliquaient m’ébranla.
Moi qui avais toujours réponse à tout dans les disputes familiales, je me retrouvais sans voix, sans repartie, blessée d’être réduite à un rôle reproducteur qui ne me tentait absolument pas. Et bizarrement, je ne sais par quel miracle de synchronisation des esprits, mon père fut tout autant blessé que moi. « Elle aura des enfants SI elle veut, QUAND elle veut. Et si elle n’en VEUT PAS, ça sera son choix. Oui, être journaliste, ça implique quelques sacrifices, mais c’est le plus beau métier du monde. Plus qu’un métier, c’est une vie ! » Et se tournant vers moi, il me dit avec force et confiance : « Tu seras journaliste, ma fille ! » Et je le suis devenue.
Notre rôle est d’être des réceptacles attentifs aux sombres histoires des autres, aux peines invivables des autres.
Ksenia Bolchakova
Cet épisode a été déterminant dans mon rapport au « métier ». Pour moi, être journaliste, ce n’est pas un travail. C’est une vocation, un mode de vie, une voie. J’en ai eu conscience très tôt. Il n’a jamais été question d’argent, de poste, de carrière. Mais toujours de vivre par la pratique du journalisme. Mon existence sans elle n’a plus aucun sens, et le sens que je lui donne est le suivant : notre rôle est d’être des réceptacles attentifs aux sombres histoires des autres, aux peines invivables des autres ; d’être les révélateurs des mensonges de certains, des témoins honnêtes de notre temps. Notre responsabilité est de relater des faits que nous avons compris, analysés, vérifiés. Notre tâche est de faire rempart aux faux par tous les moyens possibles, de dompter notre curiosité naturelle, de la structurer, de la transformer en méthode pour fabriquer de l’information.
Alors, pour qui travaillons nous ? Pour ceux dont nous racontons les histoires, pour ceux qui nous font confiance et nous aident à décrypter le monde, pour les malheureux qui n’ont pas d’autres oreilles que les nôtres pour les entendre ; contre les criminels qui voudraient tous nous faire taire. Pour qui travaillons nous ? Pour ceux qui ont encore un peu de compassion pour l’humanité, de la bienveillance pour leur voisin, de la colère et de l’indignation pour ceux qui n’en ont plus. Nos lecteurs, nos auditeurs, nos spectateurs exigent de nous toujours plus de preuves de droiture et d’impartialité ; ils cherchent aussi en nous des miroirs de leurs propres angoisses et de leurs faiblesses.
Ne pas crever, ne pas sombrer, se tenir droit, ne pas mentir, dire la vérité, montrer aussi nos propres émotions, nos fêlures, puisqu’elles ne sont pas si différentes de celles des personnages réels qui peuplent nos récits.
Ksenia Bolchakova
Notre vie est parfois semblable à celle des équilibristes qui marchent sans filet au-dessus du vide. Ne pas crever, ne pas sombrer, se tenir droit, ne pas mentir, dire la vérité, montrer aussi nos propres émotions, nos fêlures, puisqu’elles ne sont pas si différentes de celles des personnages réels qui peuplent nos récits. Le tout, sans jamais se casser la gueule.
Pour qui travaillons nous ? Pour nous tous. Pour vous. Car plus nous partons au cœur des tragédies qu’il nous échoit de couvrir, moins nous en revenons indemnes. Plus nos existences se transforment, plus les larmes étrangères deviennent les nôtres et donnent tout leur sens à nos réveille-matin.
Ksenia Bolchakova est une journaliste franco-russe, lauréate du prix Albert-Londres en 2022, au côté d’Alexandra Jousset, pour le film « Wagner, l’armée de l’ombre de Poutine » sur les enjeux de la géopolitique du Kremlin.
La commission des journalistes de la Scam demande la libération immédiate du journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi. Ce reporter est détenu par les Talibans à Kaboul depuis plus de quatre mois. Mortaza Behboudi n’a rien à faire en prison. C’est un journaliste reconnu, respecté et apprécié, avec qui certains d’entre nous ont eu la chance de travailler. Par son engagement sans faille, il a toujours honoré notre profession. Son incarcération est incompréhensible et insensée.
Mortaza Behboudi a commencé sa carrière comme photoreporter à l’âge de seize ans dans son pays natal.
Réfugié en France du fait de menaces, il est accueilli à la Maison des journalistes à Paris. Il a alors vingt-et-un ans. Avec des confrères exilés, il crée le site d’information Guiti News.
Très vite, il collabore avec de nombreux médias français et francophones et notamment France Télévisions, TV5 Monde, Arte, Radio France, Mediapart, Libération, La Croix.
Il est coauteur de la série de reportages À travers l’Afghanistan, sous les talibans, publiée sur Mediapart et primée en 2022 par le prix Bayeux des correspondants de guerre et le prix Varenne de la presse quotidienne nationale.
Il a contribué au reportage Des petites filles afghanes vendues pour survivre, diffusé sur France 2, qui a été également récompensé en 2022 au prix Bayeux.
Nous vous invitons à signer la pétition de demande de libération de notre confrère et à relayer cet appel sur les réseaux #FreeMortaza.
Une perquisition domiciliaire à l’aube. Un placement en garde à vue par la DGSI. Le tout pour une journaliste qui a enquêté sur l’opération SIRLI en Égypte. Une opération qui met gravement en cause la France.
D’évidence, il s’agit de percer à jour le secret des sources qui ont alimenté le travail d’Ariane Lavrilleux pour le site Disclose.
L’association du Prix Albert Londres, qui avait présélectionné cette enquête l’année dernière, et la Scam, tiennent à exprimer tout leur soutien à leur consœur, de même que leur totale solidarité. Le journalisme d’investigation n’a d’autre projet que de répondre à l’intérêt du public.
Contacts presse
Prix Albert Londres > Stéphane Joseph : 06 82 90 01 93
La Scam > Cristina Campodonico : 06 85 33 36 56