Cinéaste majeur, monument du documentaire, homme férocement indépendant et esprit lucide, Marcel Ophuls s’est éteint le 24 mai dans les Pyrénées, « au pied des montagnes qui lui ont sauvé la vie ». Proche de la Scam dès son origine, il avait reçu en 2012 le Prix Charles Brabant pour l’ensemble de son œuvre. La force de ses films tient à leur précision historique et à leur portée métaphorique. Ils ont profondément marqué le genre documentaire et les plus grands cinéastes se réclament de leur influence.

Marcel Ophuls s’impose en 1971 avec Le Chagrin et la Pitié, qui remet en question le récit héroïque de la Résistance. Suivront The Memory of Justice (1976), Hôtel Terminus (1988 ; Oscar du meilleur documentaire) ou encore Veillées d’armes (1994), autant de films-fleuves où il explore la conscience des hommes ordinaires qui ont traversé les heures noires du XXe siècle. Ophuls offrait à ses spectateurs « l’intimité du diable ». Il filmait la complexité humaine, interrogeait l’indifférence au mal, et refusait toute simplification. Son cinéma interventionniste bousculait les codes, rejetait les discours imposés par les commentaires formatés, « voice of God », grinçait-il : « Si on ne laisse pas le spectateur juger par lui-même, ça devient de la propagande ».

Résistant dans l’âme, inclassable, il a imposé son style unique, fait de rigueur, d’humour et de fausse désinvolture. Quant au personnage (on peut le qualifier ainsi tant il en a joué dans ses films), il était brillant, éruptif, sensible, soupçonneux, charmeur, drôle et exaspérant – d’une intelligence hors pair à la mesure de sa complexité. Qui le connaissait l’aimait, mais il prenait aussi un malin plaisir à se faire détester. Son œuvre, plus que jamais nécessaire, continue de nous alerter sur les plaies du présent. Il faut voir, revoir et faire connaître les films d’Ophuls. Ils sont éternels.

Crédit : Rémi Lainé