« La justice défloute la prison » par Rémi Lainé, auteur-réalisateur et membre du conseil d’administation de la Scam.



Une bonne claque à l’administration pénitentiaire qui va devoir réviser ses décisions arbitraires. C’est ainsi que se clôt le long combat livré par Catherine Rechard, la réalisatrice du film « Le déménagement » qui va enfin être diffusé sur les antennes de France 3.

Tourné en 2010 à l’occasion du transfert de l’ancienne maison d’arrêt de Rennes dans des locaux flambant neufs, ce documentaire coproduit par France3-Bretagne faisait l’objet depuis deux ans d’un bras de fer entre l’administration pénitentiaire et la réalisatrice. Les prisonniers s’y interrogent sur les conséquences de la modernité appliquée à la détention. Un propos salutaire et inédit à l’heure où les prisons sortent de terre comme des champignons, où en France, le nombre de personnes incarcérées n’a jamais été aussi élevé.

Les détenus témoignant dans le film de Catherine Rechard avaient donné leur accord pour apparaître à visage découvert. Comme la loi les y autorise puisque privé de liberté, ils conservent néanmoins leur droit à l’image. Une loi oubliée des usages télévisuels qui depuis quelques années, privilégient le floutage systématique pour plaire à l’administration pénitentiaire [1].

Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 – article 41 : « Les personnes détenues doivent consentir par écrit à la diffusion ou à l’utilisation de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre leur identification. L’administration pénitentiaire peut s’opposer à la diffusion ou à l’utilisation de l’image ou de la voix d’une personne condamnée, dès lors que cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre son identification et que cette restriction s’avère nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu’à la réinsertion de la personne concernée (…) »

L’anonymat des détenus n’est donc pas un dogme. Il s’impose dans des cas précisément définis par la loi. Las, l’administration pénitentiaire souhaitait dicter sa propre règle, à savoir l’« anonymisation » générale, sans préciser les motifs justifiant d’une telle mesure. Catherine Rechard considérait à juste titre que cela dénaturerait son –beau- film. Privé du regard des détenus, de ces visages marqués par les aléas de la vie et la dureté de la détention, il est évident qu’il perdait sa force. La réalisatrice, soutenue par son producteur Candela, refusait donc de céder à l’injonction de l’administration. D’où le recours au tribunal administratif, rédigé par Me Etienne Noël, avocat rompu aux questions liées à la prison. Le jugement est tombé cet été. À défaut d’appel, il est définitif et fait donc jurisprudence.

Considérant  que la demande de l’administration pénitentiaire de flouter les détenus était nulle et non avenue, la justice administrative a même condamné l’Etat à verser un dédommagement à la réalisatrice et à son producteur. Une petite révolution pour tous ceux qui souhaitent filmer et photographier en prison.

Suite à ce jugement, la Scam a demandé une nouvelle fois la programmation du film qui restait au placard. Le président de France Télévision Rémy Pflimlin a annoncé que le film allait enfin être diffusé.

La Scam qui s’était investie aux côtés de la réalisatrice salue son courage et sa détermination. Mais il est évident que le jugement du tribunal administratif ne prendra tout son sens que si les réalisateurs et journalistes qui souhaitent tourner en prison s’y réfèrent désormais. Et exigent de l’administration, au moment d’accorder des autorisations, le respect de la loi et de la décision des détenus. On verra ainsi réapparaître à la télévision, le vrai visage de la prison.

Rémi Lainé

> Plus d’information : www.ledemenagement-lefilm.com

Diffusion : soirée spéciale sur France3 Bretagne le vendredi 26 octobre.
Redif le 27 octobre à 15h20.
Reprise le lundi 12 novembre à 8h45 sur France 3 Nord-Oouest et France 3 Sat.



[1] A l’exception notable du film de Stéphane Mercurio « A l’ombre de la République » diffusé sur Canal Plus puis au cinéma.