Un voyage sonore et décalé.



* Paris-Pologne
par Anna Szmuc
diffusée de 22h30 à 24h00 dans le cadre de « Surpris par la nuit » sur France Culture

Une émission produite avec le soutien de la Bourse d’aide pour la création sonore et radiophonique de la SCAM.

Pologne rime avec mouvement, mobilité, voyage, allers ou retours vers tous les ailleurs d’Europe et du monde.
C’est un pays qui bouge, qui a toujours bougé, et dont les habitants ont la bougeotte. Tous ont pris un jour ou l’autre « le bus » pour traverser l’Europe de part en part, avec le paysage qui défile en contrepoint de tous leurs actes, comme un rite de passage obligé.

Polonaise par naissance et par culture, je n’ai, moi aussi, jamais cessé de me mouvoir et emprunté plusieurs dizaines de fois ce bus, qui, en vingt-quatre heures au minimum, véhicule ses voyageurs de Paris à Cracovie, dans un tendre huis-clos à l’accent théâtral.

Je me souviens avec émotion de la première fois où, toute petite, j’ai franchi la frontière : j’avais mis mon pied de l’autre côté d’un fil de fer, dans les Tatras. Plus tard, je suis restée pendant 48 heures devant la préfecture de Cracovie pour obtenir mon premier passeport. Grâce à mon statut d’étudiante en littérature française, j’ai alors passé un mois en France, avec une obligation de restitution, au retour, de ce passeport à la police et tout aussitôt l’envie de repartir… Sans doute une séquelle de toutes ces années passées derrière le rideau de fer, coupée du reste du monde. Il m’en reste un regard particulier sur le « passage » et le « huis-clos ».

Cette émission se propose d’emprunter les quelques marches du bus qui nous éloigneront de la place de la Concorde à Paris, pour un voyage sonore et décalé.
D’un arrêt à l’autre, sont-ils même descendus, ou montés, ces groupes qui semblent se resserrer tendrement en une communauté où le temps laisse néanmoins sa trace : une enfant de plus parfois un conjoint entrant dans le cercle, un curieux, jeune étudiant venant goûter à la culture des autres ?
La partition se déroule avec ou sans anicroche, attendue, espérée, inespérée, avec ses moments de grâce ou ses grincements d’essieu.

Dans cette émission en forme de voyage, le temps et l’espace n’ont plus les mêmes échelles et l’arbitraire a toute sa place. Pourquoi les douaniers allemands vont-ils, justement aujourd’hui, stopper le bus pendant des heures pour vérifier, photos, passeports, valises, allongeant encore le temps de cette position assise ?
Seule viendra la distraire, comme une signature, la même voix que la dernière fois : celle du comédien polonais doublant le mauvais film américain, au milieu d’une senteur de charcuterie à l’ail.

On prend le bus comme si c’était l’ultime voyage, avec force bagages, adieux et retrouvailles. Pourtant, s’et-on jamais perdu ?

Le voyage ? Mais c’est justement l’occasion de comparer, justifier, envier, admirer, s’agacer tandis que le paysage défile, hiver et été, toutes les saisons en concentré. Une question importante : est-il vraiment utile de faire une pause fumeurs, alors que le temps passe si lentement et que le désir d’arriver se partage avec l’appréhension du but à atteindre ?

Cette émission fait entendre le bruit du car, son dehors et son dedans, le son de paroles fleuves ou chuchotées qui excèdent et émeuvent en même temps.

Dans ce bus initiatique, en si peu de temps au regard d’une vie, toutes les classes sociales seront amenées à échanger et à partager, sans avenir, sans enjeu, hors temps, hors-jeu ?