Le jury* de cette 33e édition a consacré la série Afghanistan, no (wo)man’s land de Véronique de Viguerie. Elle rejoint ainsi le prestigieux palmarès du Prix Roger Pic décerné par la Scam.

Afghanistan, no (wo)man’s land de Véronique de Viguerie

Depuis plus de trois ans, les fondamentalistes Talibans sont de retour au pouvoir. L’ancienne guérilla ultra rigoriste, adepte d’une application stricte de la charia et d’un code tribal plus rigide encore, a déjà constitué son nouvel État : l’Émirat Islamique d’Afghanistan. Pour les citadines afghanes, c’est un cauchemar éveillé. Un scénario science-fictionnel qui les confronte aux fantômes chassés vingt ans plus tôt en 2001. La doctrine talibane se calque sur son premier acte lugubre. Les femmes émancipées sont dans son viseur : les parcs, le salon de beauté, l’espace public, le voyage, le secteur public leur sont interdits. Un châtiment équivalent à ceux que les fondamentalistes leur infligèrent dans les années 90, punissant à cette époque d’autres velléités d’émancipation – celles insufflées par les communistes. À différents degrés donc, les deux dernières décennies n’auront été qu’une parenthèse pour les femmes afghanes. Une faille spatio-temporelle dans laquelle les États-Unis et l’Occident ont engouffré plus de cent milliards de dollars et bon nombre de leurs illusions civilisationnelles. L’ère démocratique est révolue. Les Afghanes sont plongées dans le noir, prises dans ce cycle mortifère qui, d’une décennie à l’autre, les encourage, puis les broie, avant de reprendre son cours bien cruel.

Pourtant, à travers mon travail photographique, je refuse de les représenter uniquement comme des victimes soumises, figées dans la souffrance que leur impose l’histoire. Mon objectif capte aussi leur force, leur solidarité et leur courage : ces femmes qui, malgré l’oppression, continuent de lutter, de s’organiser et de prendre leur destin en main, défiant ainsi le regard que l’on porte trop souvent sur elles.

Véronique de Viguerie

Afghanistan, no (wo)man's land – Crédit : Véronique de Viguerie / Cnap
Afghanistan, no (wo)man's land – Crédit : Véronique de Viguerie / Cnap

Kandahar, Afghanistan – Avril 2007. Les femmes de l’unité de police de Kandahar, guidées par Malalai Kakar, martèlent le sol, dissimulées sous des burqas pour récupérer des informations contre les talibans ou des hommes abusifs, volant au secours de leurs sœurs victimes de violences domestiques.

Jalalabad, Afghanistan – Novembre 2010 : Cette jeune fille qui doit rester anonyme, qui ne connait pas son âge, vient d’arriver dans cet abri pour femmes, traumatisée avec son nouveau-né mourant. Elle a fui une belle famille abusive, un mari violent, à qui elle avait été vendue par son père. Les talibans ont depuis interdit les abris pour femmes, seule porte de sortie pour beaucoup de victimes d’abus domestiques, pour éviter les crimes d’honneur.

Afghanistan, no (wo)man's land – Crédit : Véronique de Viguerie / Cnap

Kaboul le 26 octobre 2022 : Des étudiantes en journalisme à l’université de Kaboul font une pause. Elles ne savent pas que quelques 3 semaines plus tard, l’Emirat leur interdira l’accès à l’université.

Afghanistan, no (wo)man's land – Crédit : Véronique de Viguerie / Cnap
Afghanistan, no (wo)man's land – Crédit : Véronique de Viguerie / Cnap

Torkham le 3 décembre 2023 : Le Pakistan a menacé d’arrêter le 1,5 million d’Afghans sans papier, réfugiés dans le pays. Ces femmes qui avaient fui après la prise du pays par les talibans le 15 août 2021, sont obligées de rentrer chez elles. Elles attendent d’être enregistrées avant d’être ramenées de force chez elles.

Kolala, Badakhshan le 5 novembre 2024 : Les femmes de ce village du bout du monde, ont reçu la visite des agents du ministère du Vice et de la Vertu qui leur ont conseillé ou plutôt ordonné de ne pas sortir du village sauf en cas de force majeur auquel cas, elles sont obligées d’être accompagnées d’un Maram (un homme de la famille). Elles ne peuvent plus aller vendre leurs poteries et doivent les confier au chef du village qui les vend pour elles, perdant toute indépendance et autonomie.

Crédit : Benoit Pailley

 

Véronique de Viguerie

Véronique de Viguerie, photojournaliste française née en 1978, couvre les zones de guerre les plus dangereuses. En 2008, son reportage sur les talibans en Afghanistan suscite un vif débat en France, révélant la complexité éthique du journalisme de guerre. Lauréate de plusieurs prix, dont deux Visa d’or en 2018, elle a documenté les conflits en Somalie, Irak, Syrie et Yémen. Son travail met en lumière les civils pris dans la guerre, notamment les femmes afghanes, qu’elle photographie comme des figures de courage et de résistance, défiant les clichés de victimisation.

Le jury était composé de Corentin Fohlen (lauréat 2024 pour Sueurs et tremblements), Jacques Graf (photographe, membre de la commission des Images fixes de la Scam), Delphine Lelu (directrice adjointe du festival Visa pour l’image), Sandra Reinflet (photographe, présidente de la commission des Images fixes de la Scam), Guy Seligmann (président de l’association Scam Vélasquez).

Doté de 5.000 € par la Scam, le Prix Roger Pic récompense un portfolio photographique témoignant d’un regard humaniste et généreux.

Expositions – Rencontres

La Scam : Exposition du 13 octobre 2025 au 6 février 2026

En partenariat avec le magazine Fisheye

Festival Photo La Gacilly : Rencontre et projection du portfolio le 7 juin 2025