La cinéaste franco-polonaise Agnieszka Holland essuie sur les réseaux depuis la semaine dernière une volée d’insultes d’une rare élégance : « Poubelle antipolonaise », « collaboratrice », « juive aux racines bolcheviques ».

Le ministre polonais de la Justice, issu du parti ultra-conservateur qui fait campagne pour les prochaines élections a pour sa part qualifiée Agnieszka de «propagandiste nazi». Un « tourbillon de haine » se déchaîne contre la cinéaste, relève la correspondante du journal Le Monde.

Ce qui lui vaut tel traitement ? La sortie de son film Green Border, inspiré du refoulement violent en 2021 par les autorités polonaises d’un flot de réfugiés et la levée d’un rideau de fer pour leur barrer la route vers l’ouest. Cette opération dont la brutalité s’était avérée inversement proportionnelle à son efficacité, avait provoqué la mort d’une cinquantaine de pauvres hères. La fiction, très réaliste, (Holland est une inconditionnelle du genre documentaire) vient de décrocher le prix du jury à la Mostra de Venise.

Ce qui renforce la vindicte.

Mur de fer contre les migrations, mur de mots haineux contre la liberté d’expression et la création. « Il faut toujours choisir son camp » disait Ken Loach qui a décidé de « prendre le parti de ceux qui souffrent et se battent ». Agnieszka présidait à notre demande, l’année dernière, le jury de l’Œil d’or, le prix du documentaire du festival de Cannes. Nous avons mesuré sa puissance de feu, son engagement, son désir de faire partager une vision du monde empreinte de valeurs humanistes.

La Scam tient à manifester son entière solidarité, sororité et fraternité à Agnieszka Holland.

Netflix France, l’USPA, le SPI, AnimFrance, le SATEV, le SEDPA, la SACD et la SCAM annoncent avoir signé un accord de partenariat dans le cadre des obligations d’investissement issues du décret SMAD.

Cet accord traduit la vision partagée des parties en faveur de la diversité, du renouvellement et du rayonnement de la création audiovisuelle française. Il confirme une volonté de l’industrie audiovisuelle française et des auteurs d’accompagner Netflix et lui reconnaît un rôle de premier plan.

Netflix et les organisations signataires se sont entendus pour que Netflix

● consacre 100 % de son obligation d’investissement dans les œuvres audiovisuelles à des œuvres patrimoniales (fiction, animation, documentaires de création, spectacle vivant, vidéos-musiques) à compter de 2023 ;

● porte son investissement en matière d’œuvres d’expression originale française à 85 % et à 68 % pour les œuvres indépendantes d’ici 2026 ;

● double son engagement de diversité pour atteindre 10 % de son obligation dans les œuvres audiovisuelles, dont 5 % dans le documentaire de création et 5 % dans l’animation.

Cet accord est conclu pour une durée initiale de quatre ans, jusqu’au 31 décembre 2026 et a vocation à être repris dans la convention entre Netflix et l’ARCOM.

Iris Bucher, présidente de l’USPA :  L’USPA se réjouit d’avoir réussi à mener à bien, avec l’ensemble de ses partenaires, des négociations qui ont permis d’arriver à un accord satisfaisant pour la création française, tout particulièrement pour le documentaire de création. Un accord qui fait entrer pleinement Netflix, leader du marché de la SVoD en France, dans le dispositif de l’exception culturelle française et permet d’établir une relation de confiance avec la production indépendante. 

Nora Melhli, présidente du bureau audiovisuel du SPI, a déclaré  Nous sommes heureux de ce premier accord avec Netflix. Il démontre la capacité des professionnels français à accompagner dans la durée les nouveaux partenaires, dès lors qu’ils s’engagent à nos côtés afin de renforcer la production indépendante et la création française. 

« Nous nous félicitons de cet accord qui est l’aboutissement d’un processus de négociations interprofessionnelles menées depuis l’entrée en vigueur du décret SMAD en juillet 2021. Il confirme notre volonté de collaborer toujours plus étroitement avec l’industrie créative française afin de faire émerger ensemble les talents et histoires de demain » a déclaré un porte-parole de Netflix.

Emmanuelle Jouanole, présidente du SEDPA :  Le SEDPA se félicite de l’aboutissement de ce premier accord interprofessionnel avec Netflix faisant la preuve de son engagement en faveur de la création audiovisuelle française. 

Pascal Rogard, directeur général de la SACD :  Ce 1er accord interprofessionnel conclu avec Netflix jette les bases d’un nouvel engagement en faveur de la création française et tout particulièrement de la création d’oeuvres patrimoniales. C’est un pas important fait à l’égard des auteurs de fiction et d’animation représentés par la SACD et la marque d’une volonté commune de conjuguer le développement des plateformes et le dynamisme de la création française. 

Hervé Rony, directeur général de la Scam : Je me réjouis que cet accord ait pu enfin être trouvé avec un acteur majeur tel que Netflix. Le répertoire documentaire est reconnu. Netflix prend des engagements qui sont cohérents avec ses promesses et sa volonté affichée de défendre des œuvres originales.

Contacts presse
● Contacts auteurs, producteurs, distributeurs
○ USPA & AnimFrance : Stéphane Le Bars – s.lebars@uspa.fr – 06 60 23 53 96
○ SPI : Emmanuelle Mauger – 06 63 01 83 06
○ SATEV : Florence Braka – 06 03 51 70 18
○ SEDPA : Emmanuelle Jouanole – 06 33 68 36 54
○ SACD : Martin Dawance – martin.dawance@sacd.fr – 06 85 12 29 59
○ SCAM : Cristina Campodonico cristina.campodonico@scam.fr  06 85 33 36 56
● Netflix France : Line Zouhour – lzouhour@netflix.com

Alors que les journalistes du JDD sont entrés dans leur deuxième mois de grève, les membres de l’Association du Prix Albert Londres tiennent à formuler leur entière solidarité envers leurs consœurs et confrères, en lutte pour la préservation de l’indépendance éditoriale de leur journal.

Albert Londres en son temps fut de ce combat-là. Ses mots sont connus : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie », répondit-il à ses détracteurs après avoir été insulté, menacé, promis à une fin prochaine.

C’était en 1929.

Près de cent ans plus tard, cette profession de foi reste brûlante d’actualité et demeure le mantra du journalisme français.

Ses reportages, publiés dans Le Petit Parisien, venaient de mettre en lumière les pertes massives des travailleurs noirs sur la construction d’une voie de chemin de fer nommée Congo Océan. Sa déclaration, publiée quelques mois plus tard dans un livre intitulé « Terre d’ébène », ambitionnait d’opposer à ce qu’on appellerait aujourd’hui le lobby colonial le souci de justice, de lutte contre l’arbitraire et de respect de la dignité humaine.

Parce qu’un reportage n’est pas une tribune d’opinion, parce que le terrain et les faits sont la matrice de notre profession, parce que l’éthique et la pluralité ne sont pas dissociables de la liberté de la presse, il nous semble important de rappeler le caractère crucial de ces valeurs aujourd’hui menacées et d’affirmer notre plus total sincère soutien aux journalistes du JDD.

D’une manière plus générale, l’indépendance des rédactions, actuel sujet d’inquiétude et objet d’un projet de loi en cours, est une nécessité pour nos démocraties.

Contact presse

Stéphane Joseph : 06 82 90 01 93

La Scam procède au renouvellement d’une partie des auteurs et autrices membres des commissions qui assistent le conseil d’administration dans ses travaux. Cette année, 26 postes à pourvoir pour octobre 2023 dans les commissions suivantes :

  • commission du répertoire audiovisuel : 6 postes

  • commission du répertoire sonore : 2 postes

  • commission de l’écrit : 4 postes

  • commission des écritures et formes émergentes : 5 postes

  • commission des journalistes : 3 postes

  • commission des images fixes : 5 postes

Les commissions ont un rôle consultatif. Elles ont pour mission d’étudier les questions qui leur sont soumises par le conseil d’administration relativement au répertoire qu’elles représentent et de lui proposer les solutions appropriées. Elles participent également à l’action culturelle de la société (Prix, Brouillons d’un rêve…).

Les membres des commissions sont nommés pour un mandat de 4 ans, renouvelable une fois. Peuvent faire acte de candidature les membres de la Scam justifiant d’une activité dans le répertoire concerné. Les candidatures sont ensuite examinées par le conseil d’administration qui nomme les commissaires, après avis de la commission du répertoire concerné. Leur sélection se fonde principalement sur les critères suivants : représentativité professionnelle et sens de l’engagement au service de la communauté des auteurs.

Déontologie – incompatibilités

Article 37-2 des statuts : III. – Les candidats aux commissions et leurs membres en cours de mandat ne doivent pas se trouver dans l’une des situations suivantes :
1. être sous le coup d’une peine d’inéligibilité prononcée à titre de sanction disciplinaire,
2. être privé de l’exercice de leurs droits civiques et civils,
3. exercer une fonction exécutive dans une structure bénéficiant ou demandant à bénéficier d’une aide ou d’un partenariat de la société.
Et, sauf dérogation du conseil d’administration :
4. faire partie d’un organe de gestion d’une structure bénéficiant ou demandant à bénéficier d’une aide ou d’un partenariat de la société.
5. faire partie des organes de direction ou de consultation de toute autre société, association ou structure s’occupant à titre principal ou accessoire de l’administration ou de la défense des droits d’auteur ou de la défense des intérêts des organisations visées aux 6 et 7 ci-dessous. En raison des particularités du régime applicable aux auteurs représentés au sein d’une commission, des dérogations spécifiques peuvent être prévues dans le règlement de ladite commission et s’appliquer automatiquement.
6. exercer des fonctions de direction ou de gestion dans toute entreprise intéressée à la commande et la production ou d’une manière générale l’exploitation d’œuvres relevant du répertoire de la société, ou susceptible d’être en conflit d’intérêts avec la société. Dans ce cas, une dérogation éventuelle ne sera possible que si le candidat atteste avoir respecté vis-à-vis des auteurs qu’il emploie les obligations contractuelles proposées par la société et justifie avoir déclaré au répertoire, dans les cinq ans qui précèdent, au moins une œuvre relevant du répertoire qu’il souhaite représenter.
7. exercer des fonctions de direction ou de gestion dans toute entreprise intéressée à la commande, la diffusion et la programmation ou d’une manière générale l’exploitation d’œuvres relevant du répertoire de la société, ou susceptible d’être en conflit d’intérêts avec la société. Dans ce cas, une dérogation éventuelle ne sera possible que si le diffuseur qui emploie le candidat est lié à la société par un contrat général de représentation et de reproduction pour l’utilisation de son répertoire et dans la mesure où ce contrat est respecté.
Il est entendu que les candidats et les membres des organes précités au […] III ne peuvent être salariés ni appartenir au personnel de la société.

IV. – En cours de mandat, les membres […] d’une commission ont l’obligation d’informer le conseil d’administration de tout changement de situation dans les meilleurs délais, et au plus tard dans un délai d’un mois.

Article 37-3 des statuts
 : Dès le début de leur mandat et tant que celui-ci court, les membres […] des commissions ne peuvent prétendre à aucune aide à la création, aucun prix, aucune subvention ou partenariat de la Scam, à quelque titre que ce soit. Si une demande d’aide à la création, de prix, de subvention ou de partenariat est en cours de traitement au moment de son élection, le membre devra y renoncer avant le
début de son mandat.
L’interdiction de toute aide ou distinction s’étend à leur(s) coauteur(s) éventuel(s).

Article 37-4 des statuts : Tout membre d’un organe collégial de la société, intéressé à une décision quelle qu’elle soit, directement ou indirectement, se retire pendant le temps de la délibération et du vote ; il est tenu compte de ce retrait pour le calcul de la majorité nécessaire au vote de la décision.

Les membres du comité de surveillance ne peuvent appartenir à une commission ni se voir confier de mission dans la cadre d’une commission (article 37-2 II des statuts).

Comment déposer votre candidature ?

Votre candidature doit parvenir à la Scam au plus tard le 13 septembre 2023, 19h (heure de Paris).

– par courrier électronique contre accusé de réception électronique à commission@scam.fr,
– ou par pli recommandé avec avis de réception, à l’attention du directeur général Hervé Rony.
Vous devez indiquer obligatoirement :
* votre nom, prénom et qualité
* le répertoire dans lequel vous vous présentez : audiovisuel, traducteurs, sonore, écrit, écritures et formes émergentes, journalistes, images fixes
* un texte motivant les raisons de votre engagement et votre curriculum vitae (l’ensemble n’excédant pas 4 pages)
* une déclaration sur l’honneur attestant que vous ne vous trouvez pas dans les cas d’incompatibilité visés aux statuts de la Scam (cf. ci-dessus)

La Scam est membre de l’association européenne du documentaire (DAE- Documentary Association of Europe). À ce titre, vous pouvez bénéficier d’un tarif préférentiel de 80 euros (au lieu de 100) avec le code DAE20LaScam si vous souhaitez adhérer à titre individuel et participer au Marché du film, à l’IDFA, au Sunny Side of the doc,…

La DAE est une association de professionnels qui agit et défend les intérêts de toutes celles et ceux qui travaillent dans le domaine de la narration documentaire. En y adhérent, vous pouvez bénéficier :

  • de l’accès à un réseau européen de professionnels
  • de tarifs préférentiels pour participer à des événements tels que : Marché du Film, IDFA, Sunny Side of the Doc, EFM…
  • d’un accès privilégié au marché international via leurs partenariats avec des organisations comme DPA, IDA ainsi que les membres de l’association
  • de consultations d’experts lors des séminaires Off-the-Record et des sessions Ask Me Anything
  • de développer vos projets dans leur Story Room

Patrick Chamoiseau a reçu le prix Marguerite Yourcenar 2023 pour l’ensemble de son œuvre. Retour sur le parcours de ce témoin de l’histoire coloniale et fervent penseur de la créolité, un chemin façonné de livres et d’essais marqués par la magnificence des mots.

Toujours, les grandes œuvres s’éclaircissent rétrospectivement de l’accomplissement qu’elles atteignent à la maturité, lorsque l’évidence s’impose de les célébrer comme un tout : ce tout était agissant dès le départ, dans chaque fragment, chaque esquisse sans doute, mais il aura fallu un long cheminement pour le dégager du brouillard des origines.

Peu d’œuvres en témoignent aussi nettement que celle de Patrick Chamoiseau, portée par la nécessité d’ouvrir la littérature francophone à un imaginaire de la diversité dégagé des œillères que nous a léguées l’histoire, et tout particulièrement l’histoire coloniale. Non sans atteindre parfois à une forme d’urgence dans « la ferveur des indignations » (Frères migrants, 2017), c’est dès ses prémisses que cette œuvre s’est inscrite à rebours exactement des processus de sclérose identitaire qui ronge notre début de millénaire hérissé de murs et de barbelés pour mieux reléguer les uns et enfermer les autres dans le ressentiment de leurs propres peurs.

Une langue à la richesse harmonique

Par-delà la magnificence d’une langue à la richesse harmonique nouvelle, c’est bien ce qui frappe à relire les premiers livres de Patrick Chamoiseau, de Chronique des sept misères (1986) au magistral Texaco (1992), chatoyante épopée des splendeurs et misères du peuple antillais depuis la sortie de l’esclavage : le chemin parcouru était donc tout entier contenu dans les prémisses, s’il y demeurait indiscernable ; pour reprendre une expression de Franz Kafka, une « conclusion innée » conditionnait déjà les premiers livres, serait-ce à l’insu de leur auteur qui cherchait, précisément, à la définir.

Patrick Chamoiseau l’affirme à sa façon à l’orée du fascinant Le Conteur, la nuit et le panier (2021) qui remonte aux sources de la création en terres créoles : alors que tout artiste est voué à cheminer de manière singulière, son œuvre en devient « un cheminement vers la compréhension de l’art qui est le sien ». Les livres publiés sont autant de pierres blanches qui matérialisent a posteriori ce « cheminement dépourvu de chemin ». « Comme tout artiste, l’écrivain s’invente une voie qui n’aboutit jamais, une voix qui cherche toujours son chant. C’est ainsi qu’il demeure désirant », car il n’est pas d’autre carburant que le désir, quand bien même le maître-mot de l’œuvre tout entière, en l’occurrence, resterait l’émotion : car au commencement est l’émotion, qui par deux fois s’est confrontée à la barrière de l’expression au long d’une « enfance créole » bientôt formatée par l’école coloniale, sous la férule d’un maître « grand pourfendeur de sabir créole, négateur des fastes de la culture dominée », celle qu’incarnait « Gros-Lombric », le double ou « l’écolier marron » amenant des confins de l’en-ville des contes de zombis et autre « Chouval-trois-pattes », ainsi que le raconte Chemin-d’école (1994), deuxième volume de la trilogie Une enfance créole.

Chamoiseau racontait volontiers comment l’écriture de l’essai, destiné à restituer la trajectoire d’une conscience ayant eu à trancher le choix d’une langue d’écriture, a ouvert la voie pour libérer enfin, et d’un seul souffle, le roman.

Bertrand Leclair

Si le Maître voguant « immatériel sur les cimes du savoir universel » terrifiait le présent, la langue qu’il imposait n’en reste pas moins celle dans laquelle a pu opérer l’appel d’air de la littérature mondiale. Alors que l’œuvre de Chamoiseau s’est construite sur deux jambes, alternant essais et romans ou récits, on ne peut sur ce point que s’attarder sur la parution conjointe, en 1997, de L’Esclave vieil homme et le Molosse et de Écrire en pays dominé. Chamoiseau racontait volontiers, à l’époque, comment l’écriture de l’essai, destiné à restituer la trajectoire d’une conscience ayant eu à trancher le choix d’une langue d’écriture, a ouvert la voie pour libérer enfin, et d’un seul souffle, le roman, très ancien projet qui lui résistait depuis des années. L’essai lui avait permis de comprendre que l’élan vers la liberté de son vieil esclave était certes un élan vers la réhumanisation mais que ce qu’il devait retrouver, à s’enfoncer dans les bois, n’était pas une essence perdue : de fait, il y découvre la présence agissante des traces de l’imaginaire amérindien aussi bien que le souvenir confus des divinités africaines ou des représentations symboliques imposées par le maître à travers la plantation. L’esclave vieil homme ne peut se réaliser en tant qu’être humain que dans une « totalité du monde » qu’il porte en lui, traçant la voie au monde ouvert né de la créolité, celui de « la Relation », chère à Édouard Glissant (1928-2011), dont l’élaboration théorique a profondément marqué Patrick Chamoiseau, l’incitant à dépasser à son tour les cloisonnements et les clivages identitaires.

On voudrait, bien entendu, s’attarder également sur le monumental Biblique des derniers gestes (2002), sur le lumineux L’Empreinte à Crusoé (2012). En tant que membre du jury du prix Marguerite Yourcenar destiné à couronner l’ensemble d’une œuvre, cependant, on ne peut conclure qu’en se réjouissant d’avoir l’honneur de décerner ce prix à Patrick Chamoiseau au moment où, une fois de plus, un diptyque associant roman et essai confère une dimension nouvelle à l’ensemble de son œuvre.

Métonymie de la création littéraire et de sa nécessité vitale

À l’essai déjà cité Le Conteur, la nuit et le panier, paru en 2021, répond merveilleusement le chef d’œuvre qu’est Le Vent du nord dans les fougères glacées, paru à l’automne dernier, et qui joue à merveille, en sous-main, du vertige que nourrissent les découvertes de la physique quantique[1]. Là où l’essai remontait aux sources de la création en retraçant l’extraordinaire émergence des premiers « maîtres de la Parole » dans le secret des veillées mortuaires, au temps de la catastrophe esclavagiste, le roman précipite quelques habitants des mornes en quête du dernier des maîtres de la Parole dont l’absence, d’abord passée inaperçue, creuse l’espace d’un manque, dans leur quotidien anesthésié. Aucun d’entre eux ne saurait dire exactement depuis quand Boulianno ne se présente plus aux veillées mortuaires : ayant « dépassé vieux » sans que nul ne puisse faire le compte de ses années, il n’apporte plus « cette lumière qui vient de la Parole, seule grâce capable de soutenir la vie en face de la mortalité ! » Car tous se souviennent que, lorsqu’il se présentait pour « monter au tambour » et entrer dans une la-ronde à la nuit tombée, « la mort elle-même trouvait à qui parler. (…) Hélas ! un jour, Boulianno Nérélé Iksilaire – honneur sur sa naissance et respect sur son nom – cessa de répondre aux appels ».

Par poussées fulgurantes qui sont autant de surprises, la logique du texte qui se fait luxuriant semble dès lors creuser dans un inconnu indiscernable. 

Bertrand Leclair

L’homme a disparu comme on s’efface, ou s’estompe, dans la modernité martiniquaise, sans avoir « déposé chez personne » « ce cœur-de-chauffe de la sagesse » désormais « serré au plus profond dans le silence de Boulianno ». Doutes et hypothèses lancent les plus fervents des enquêteurs à sa recherche sur les hauteurs inhabitées de Sainte-Marie, haut lieu du marronnage à l’époque de l’esclavage. Par poussées fulgurantes qui sont autant de surprises, la logique du texte qui se fait luxuriant semble dès lors creuser dans un inconnu indiscernable d’être situé non pas au dehors, mais à l’intérieur des enquêteurs, et par conséquent du lecteur – puisque le chemin de la Parole « n’est pas dans ce monde, il n’est nulle part en dehors de ta force : il est en toi-même ! » Les voici en prise immédiate avec « cette affaire insondable du vivre », constatant que « dans ce monde-ci, le nôtre, celui où l’on bat la misère », les choses « comprenables ne sont hélas pas les plus importantes ».

Ce faisant, ce n’est rien de moins qu’une métonymie de la création littéraire et de sa nécessité vitale que propose Le Vent du nord dans les fougères glacées, grand roman de la maturité artistique. Le « cheminement sans chemin » de Patrick Chamoiseau y dévoile des terres inconnues où déployer ses somptueuses harmoniques, et nous enchanter à nouveau.

[1] On pourra lire à ce propos l’article publié dans le quotidien numérique AOC le 13 décembre 2022

Juré du prix Marguerite Yourcenar, Bertrand Leclair est journaliste, romancier, essayiste et dramaturge. Il est également auteur d’une vingtaine de pièces radiophoniques et a collaboré à de nombreux ouvrages collectifs.

La Scam affirme la place singulière des auteurs et des autrices dans la société. Astérisque en est le porte-voix.

Le nouveau conseil d’administration, réuni ce jour, a élu le nouveau Bureau : Rémi Lainé réélu président à l’unanimité, Anja Unger vice-présidente et Isabelle Jarry, trésorière.

Mercredi 21 juin, lors de leur assemblée générale ordinaire, les auteurs et autrices de la Scam ont renouvelé une partie de leur Conseil d’administration.

Quatorze membres ont été élus pour un mandat de quatre ans au Conseil d’administration, composé désormais de :

Répertoire audiovisuel : Nina Barbier*, Aurélia Bloch*, Pierre Carles (représentant cinéma), Karine Dusfour, Stéphanie Elbaz**, Pascal Goblot (représentant des écritures et formes émergentes), Valérie Julia* (représentante des traducteurs), Patrick Jeudy, Rémi Lainé**, Virginie Linhart*, Camille Ménager**, Alice Odiot*, Anne Poiret* (représentante des journalistes audiovisuels), Anja Unger

Répertoire sonore et radiophonique : Leila Djitli**, Anne de Giafferri*, Ovidie*, Christian Rosset

Répertoire de l’écrit : Isabelle Jarry, Ernestine Ngo Melha*

Répertoire des images fixes  : Sandra Reinflet*

Répertoire des journalistes  : Marie-Pierre Samitier, Nathalie Sapena

Présidente du comité belge  : Isabelle Rey

*nouveau mandat / **mandat reconduit 

Les membres du Conseil d’administration, 21 juin 2023 - photo Benjamin Géminel / Hans Lucas
Les membres du Conseil d’administration, 21 juin 2023 - photo Benjamin Géminel / Hans Lucas

Les membres du comité de surveillance ont été renouvelés

L’assemblée a également élu, pour un mandat de deux ans :  René-Jean Bouyer, Julie Chansel, Bernard Chenez, Christopher Jones et Janine Marc-Pezet.

Rémi Lainé réélu à l’unanimité à la présidence

Le Conseil d’administration réuni ce jour, a élu le nouveau Bureau : Rémi Lainé président, Anja Unger vice-présidente et Isabelle Jarry trésorière.

Portrait de Remi Lainé.
Rémi Lainé - Photo Benjamin Géminel 2021

Documentariste et reporter, Rémi Lainé préside la Scam depuis 2021. Il a été réélu à l’unanimité par le nouveau Conseil d’administration. Il fait ses premières armes à la télévision au début des années 1990 aux côtés du cinéaste Daniel Karlin. Depuis une vingtaine d’années, il alterne des coproductions internationales sur des sujets politiques ou de société, dont La Rançon (2017), SIDA, sur la piste africaine (2016), Prisonniers du FLN (2015), Global Gay (Grand Prix du Festival International des Films des Droits de l’Homme, 2014) ; des films plus intimistes, Vingt ans le bel âge (2003), Né séropositifs (2011) ; et une approche singulière d’histoires retentissantes comme Outreau, notre histoire (2005), Beautés volées, retour sur l’affaire Maure (2011), Le Monde s’arrête à Bugarach (2012).

Parmi ses films récents : Tant qu’ils ne retrouvent pas le corps, co-réalisé avec Pascale Robert-Diard (2023), Marcus Klingberg, un pur espion, co-réalisé avec Yaël Vidan (2022), Il était une fois… Moi, Daniel Blake, une rencontre avec Ken Loach (2021).

Contact presse 

Cristina Campodonico – 06 85 33 36 56 – cristina.campodonico@scam.fr

Réunie mercredi 21 juin, l’assemblée générale de la Scam a adopté, à une très large majorité, l’ensemble des résolutions soumises au vote. Les auteurs et les autrices de la Scam ont élu leurs représentants au conseil d’administration et au comité de surveillance.
Le nouveau conseil d’administration se réunira vendredi 23 juin pour élire la ou le prochain président de la Scam !

Assemblée générale ordinaire du 21 juin 2023*

Nombre d’associés inscrits : 50 506
Nombre total de votants (votes électroniques) : 3 353 (soit 6,64 %)
Pour rappel, les sociétaires disposent de 3 voix et les adhérents/héritiers/légataires de 1 voix

* Sous contrôle de Me Charles Poncet, Commissaire de justice.

Election au Conseil d’administration

Ont été élus membres du conseil d’administration pour un mandat de quatre ans

Répertoire audiovisuel : Nina Barbier, Aurélia Bloch, Stéphanie Elbaz, Valérie Julia (représentante des traducteurs), Rémi Lainé, Virginie Linhart, Camille Ménager, Alice Odiot, Anne Poiret (Représentante des auteurs d’oeuvres journalistiques)
Répertoire sonore et radiophonique : Leïla Djitli , Anne de Giafferri et Ovidie
Répertoire de l’écrit : Ernestine Ngo Melha
Répertoire des images fixes : Sandra Reinflet

Les membres du nouveau conseil d’administration se réuniront le vendredi 23 juin pour élire leur pair à la présidence de la Scam.

Election au comité de surveillance

Ont été élus membres du comité de surveillance pour un mandat de deux ans : René-Jean Bouyer, Julie Chansel, Bernard Chenez, Christopher Jones et Janine Marc-Pezet

Résolutions soumises au vote

1/ Rapport d’activité et de transparence 2022
Nombre de « Oui » : 6 151 voix soit 97,99%
Nombre de « Non » : 126 voix soit 2,01 %

2/ Comptes annuels 2022
Nombre de « Oui » : 6 053 voix soit 97,80 %
Nombre de « Non » : 136 voix soit 2,20 %

3/ Affectation de l’excédent de gestion 2022
Nombre de « Oui » : 6 363 voix soit 96,63 %
Nombre de « Non » : 222 voix soit 3,37 %

4/ Utilisation des sommes irrépartissables durant l’exercice 2022
Nombre de « Oui » : 5 781 voix soit 96,40 %
Nombre de « Non » : 216 voix soit 3,60 %

5/ Budget prévisionnel des indemnités, défraiements et rétributions des membres des instances décisionnaires
Nombre de « Oui » : 5 315 voix soit 96,67 %
Nombre de « Non » : 359 voix soit 6,33 %

6/ Budget culturel 2023
Nombre de « Oui » : 6 030 voix soit 97,24 %
Nombre de « Non » : 171 voix soit 2,76 %
Le budget culturel 2023 est approuvé à la majorité des 2/3.

7/ Modification de la politique générale de déductions sur droits relative au prélèvement sur les perceptions réalisées en Belgique
Nombre de « Oui » : 5 164 voix soit 97,18 %
Nombre de « Non » : 150 voix soit 2,82 %

8/ Désignation des commissaires aux comptes
Nombre de « Oui » : 5 866 voix soit 98,03 %
Nombre de « Non » : 118 voix soit 1,97 %

9/ modification du barème de répartition des œuvres audiovisuelles
Nombre de « Oui » : 5 717 voix soit 96,41 %
Nombre de « Non » : 213 voix soit 3,59 %

La Scam en chiffres au 31 décembre 2022

Ces chiffres clés sont extraits du rapport d’activité et de transparence d’Hervé Rony, directeur général-gérant, présenté à l’assemblée générale.

  • 52 503 auteurices
  • 40 770 ayants droit ont bénéficié d’une répartition
  • 120,1 M€ de droits d’auteur collectés
  • 113,15  M€ répartis aux ayants droit
  • 194 826 œuvres audiovisuelles déclarées
  • 1,6 million d’œuvres audiovisuelles au répertoire Scam en 2022
  • 892 consultations juridiques
  • 3 004 885 € d’actions sociales pour 3 076 auteurices
  • 2 781 207 € d’actions culturelles financées par la copie privée
  • 15,32 % est le taux moyen du coût de gestion

Rapport d'activité et de transparence 2022

Les chiffres de la Scam en 2022

Réunie mercredi 21 juin, l’assemblée générale de la Scam a adopté, à une très large majorité, l’ensemble des résolutions soumises au vote. Les auteurs et les autrices de la Scam ont élu leurs représentants au conseil d’administration et au comité de surveillance.
Le nouveau conseil d’administration se réunira vendredi 23 juin pour élire la ou le prochain président de la Scam !

Assemblée générale ordinaire du 21 juin 2023*

Nombre d’associés inscrits : 50 506
Nombre total de votants (votes électroniques) : 3 353 (soit 6,64 %)
Pour rappel, les sociétaires disposent de 3 voix et les adhérents/héritiers/légataires de 1 voix

* Sous contrôle de Me Charles Poncet, Commissaire de justice.

Election au Conseil d’administration

Ont été élus membres du conseil d’administration pour un mandat de quatre ans

Répertoire audiovisuel : Nina Barbier, Aurélia Bloch, Stéphanie Elbaz, Valérie Julia (représentante des traducteurs), Rémi Lainé, Virginie Linhart, Camille Ménager, Alice Odiot, Anne Poiret (Représentante des auteurs d’oeuvres journalistiques)
Répertoire sonore et radiophonique : Leïla Djitli , Anne de Giafferri et Ovidie
Répertoire de l’écrit : Ernestine Ngo Melha
Répertoire des images fixes : Sandra Reinflet

Les membres du nouveau conseil d’administration se réuniront le vendredi 23 juin pour élire leur pair à la présidence de la Scam.

Election au comité de surveillance

Ont été élus membres du comité de surveillance pour un mandat de deux ans : René-Jean Bouyer, Julie Chansel, Bernard Chenez, Christopher Jones et Janine Marc-Pezet

Résolutions soumises au vote

1/ Rapport d’activité et de transparence 2022
Nombre de « Oui » : 6 151 voix soit 97,99%
Nombre de « Non » : 126 voix soit 2,01 %

2/ Comptes annuels 2022
Nombre de « Oui » : 6 053 voix soit 97,80 %
Nombre de « Non » : 136 voix soit 2,20 %

3/ Affectation de l’excédent de gestion 2022
Nombre de « Oui » : 6 363 voix soit 96,63 %
Nombre de « Non » : 222 voix soit 3,37 %

4/ Utilisation des sommes irrépartissables durant l’exercice 2022
Nombre de « Oui » : 5 781 voix soit 96,40 %
Nombre de « Non » : 216 voix soit 3,60 %

5/ Budget prévisionnel des indemnités, défraiements et rétributions des membres des instances décisionnaires
Nombre de « Oui » : 5 315 voix soit 96,67 %
Nombre de « Non » : 359 voix soit 6,33 %

6/ Budget culturel 2023
Nombre de « Oui » : 6 030 voix soit 97,24 %
Nombre de « Non » : 171 voix soit 2,76 %
Le budget culturel 2023 est approuvé à la majorité des 2/3.

7/ Modification de la politique générale de déductions sur droits relative au prélèvement sur les perceptions réalisées en Belgique
Nombre de « Oui » : 5 164 voix soit 97,18 %
Nombre de « Non » : 150 voix soit 2,82 %

8/ Désignation des commissaires aux comptes
Nombre de « Oui » : 5 866 voix soit 98,03 %
Nombre de « Non » : 118 voix soit 1,97 %

9/ modification du barème de répartition des œuvres audiovisuelles
Nombre de « Oui » : 5 717 voix soit 96,41 %
Nombre de « Non » : 213 voix soit 3,59 %

La Scam en chiffres au 31 décembre 2022

Ces chiffres clés sont extraits du rapport d’activité et de transparence d’Hervé Rony, directeur général-gérant, présenté à l’assemblée générale.

  • 52 503 auteurices
  • 40 770 ayants droit ont bénéficié d’une répartition
  • 120,1 M€ de droits d’auteur collectés
  • 113,15  M€ répartis aux ayants droit
  • 194 826 œuvres audiovisuelles déclarées
  • 1,6 million d’œuvres audiovisuelles au répertoire Scam en 2022
  • 892 consultations juridiques
  • 3 004 885 € d’actions sociales pour 3 076 auteurices
  • 2 781 207 € d’actions culturelles financées par la copie privée
  • 15,32 % est le taux moyen du coût de gestion

Rapport d'activité et de transparence 2022

Les chiffres de la Scam en 2022

Lauréat du Prix Nouvelles Écritures au Fipadoc 2023, Thierry Loa n’a de cesse de mettre en lumière notre planète Terre, qu’il arpente drone et caméra VR en main pour nous dévoiler cette vertigineuse époque qu’est l’anthropocène. Son œuvre monumentale « 21-22 », telle une odyssée entamée en 2018, nous fait tourner la tête… et les jambes de ce discret et talentueux cinéaste-baroudeur. À la démesure de son talent. Rencontre.

Vous pouvez demander son âge à Thierry Loa, il ne répondra pas. Vous pouvez le questionner sur ses origines, sa famille, son enfance ou son parcours, il ne répondra pas non plus. Tout juste saura-t-on qu’il a étudié le multimédia, la philosophie, le cinéma et la géographie, entre l’Australie et son Canada natal. Entamé sa carrière en alternant publicités et œuvres d’art multimédia à Toronto, où vit toute sa famille. Migré à Montréal en 2015 pour devenir le cinéaste interdisciplinaire qu’il est aujourd’hui.

Un jour, il aimerait réaliser un projet racontant ses origines. Mais en attendant, il entretient un certain mystère autour de sa personne, en entretien comme avec ses amis. « Je trouve que les gens dévoilent trop de choses », pose-t-il d’emblée lors de notre rencontre. « Je suis très discret, voire privé. Peu de gens me connaissent bien. » Il préfère largement parler de ses œuvres plutôt que de lui-même. Internet ne vous aidera pas à en savoir plus : le premier résultat proposé par Google lorsque l’on cherche son nom est l’article de la Scam annonçant sa récompense au Fipadoc, en janvier 2023.

Exigence, discipline et rigueur

Alors parlons de ses œuvres, à commencer par la dernière. Je faisais partie du jury qui a décerné ce prix Nouvelles Écritures à Biarritz. Comme les deux autres membres, j’ai été totalement embarquée par 21-22 China, son film en 360 VR, premier volet d’une série qui s’annonce monumentale. Casque sur la tête, on survole la Chine pendant vingt minutes, dans un voyage méditatif, sans aucune voix off si ce n’est une rapide introduction. On découvre des paysages saturés d’urbanisme, déshumanisés, presque surréalistes. Avec 21-22, Thierry Loa observe, explore et critique l’anthropocène, cette époque où l’activité humaine modifie, voire détruit, les écosystèmes de la planète. Le développement industriel majeur et les changements massifs transforment irrémédiablement la topographie. Vu du ciel, le constat est implacable et vertigineux.

L’idée qu’a Thierry de la musique qu’il souhaite que je compose est souvent si précise qu’à chaque fois que l’on termine un projet, j’ai l’impression d’avoir été une extension de son esprit. 

Philippe Le Bon, compositeur

Dans les oreilles, la bande-son saisit le spectateur. Comme tous les films de Thierry Loa depuis 2017, elle a été composée par le Canadien Philippe Le Bon, qui décrit une collaboration aussi passionnante que déroutante. « L’idée qu’a Thierry de la musique qu’il souhaite que je compose est souvent si précise qu’à chaque fois que l’on termine un projet, j’ai l’impression d’avoir été une extension de son esprit. Avec lui, je mets plus d’effort à saisir exactement ce qu’il souhaite que d’effort à composer. J’ai souvent eu l’impression que ne rien savoir des origines de Thierry expliquait peut-être, du moins en partie, le fait de ne pas toujours saisir ce qu’il attend du premier coup. »

Exigence, discipline et rigueur font partie des mots qui reviennent le plus souvent pour caractériser Thierry Loa. En salle de montage comme dans un salon de thé, les discussions peuvent durer des heures. Ce qui n’est pas pour déplaire à Philippe Le Bon. « Thierry s’attend à ce que ses collaborateurs appliquent le même niveau d’exigence que le sien. Cette rigueur ne l’empêche toutefois pas d’être quelqu’un de profondément bon, humain et bienveillant. Je n’ai jamais vu Thierry dans un élan de colère, ou même lever le ton. Il reste toujours calme et posé, à la recherche de solution, même quand c’est moi qui commence à m’emporter parce que ça fait six versions que je lui propose pour une scène et que ce n’est toujours pas ce qu’il veut ! »

Vie de nomade et travail ethnographique

Au Fipadoc, à Biarritz, j’ai découvert un jeune homme, sac greffé sur le dos et sourire aux lèvres. De courts cheveux noirs, un bouc assorti, un short (il déteste les pantalons) et un accent indéfini. Comme son âge. Et surtout, une humilité saisissante et une reconnaissance immense pour son prix. Deux mois plus tard, j’ai revu Thierry à la Scam. Il arrivait tout droit de Montréal, son sac toujours sur le dos, pour participer à l’événement eXplorations, organisé par la commission des Écritures et formes émergentes. Même sourire, même discrétion, même reconnaissance.

Ma règle de vie depuis des années : jamais de bagage en soute !J’ai amélioré ma façon de voyager au fil du temps pour être plus efficace. 

Thierry Loa

Deux mois plus tard, il réalise notre entretien en visio depuis son bureau à Montréal. En arrière-plan, son vélo, avec lequel il se déplace toute l’année, y compris sous la neige. Quelques jours avant, Thierry vadrouillait au Maroc pour commencer les repérages en vue de son prochain volet consacré à l’Afrique. « Pour chaque volet de 21-22, je passe beaucoup de temps sur place, à vivre comme un local, pour comprendre la culture, la société. Je loue un appart, je vais au musée, j’étudie les enjeux climatiques du lieu où je suis. Surtout, j’échange avec les habitants pour comprendre leur point de vue et éviter de plaquer sur eux des préjugés. Ce travail ethnographique ne se voit pas à l’écran, mais ça me nourrit. »

Avec 21-22, Thierry a adopté une vie nomade, détachée des biens matériels. En repérage comme en tournage, toutes ses affaires tiennent dans un sac cabine de 50 litres. « Ma règle de vie depuis des années : jamais de bagage en soute ! J’ai amélioré ma façon de voyager au fil du temps pour être plus efficace. » Légèreté et efficacité le guident sur le terrain qu’il arpente avec une caméra VR attachée à un drone. Un dispositif qu’il a perfectionné en mode R&D, depuis ses premiers tournages en 2018, pour être le plus mobile et le plus discret possible. Pratique en Chine, quand il faut passer pour un touriste.

Cette folle série qui raconte la Terre

Reprenons le (long) fil de l’odyssée 21-22. Entrepris en 2018, le premier volet, « Chine », est donc achevé, diffusé et récompensé. Le deuxième épisode mettra le cap sur les États-Unis. Après de nombreux tournages de 2020 à 2022, la post-production se termine bientôt. Direction l’Inde pour la troisième partie, en début de développement. Après l’Afrique, qu’il envisage pour 2025, il restera encore quatre volets, « si tout va comme prévu et si l’univers le permet » : l’Amérique du Sud, le Moyen-Orient, le pôle Nord et l’Europe. Monumental, on vous dit.

Je ne tiens pas forcément à tout faire seul, je ne suis pas un loup solitaire.

Thierry Loa

Patiemment, il finance chaque volet l’un après l’autre, grâce aux soutiens publics tels que le Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts de Montréal et le Conseil des arts et des lettres du Québec. « Les gens pensent que mon projet coûte très cher. Pour ne pas exploser les coûts, je fais en sorte d’optimiser au maximum mon budget. Je pars seul, je recrute des locaux avec qui les échanges sont essentiels. Je ne tiens pas forcément à tout faire seul, je ne suis pas un loup solitaire. Je fais juste ce qui est le plus pertinent pour le projet. » Reste que Thierry Loa écrit, tourne, monte, réalise et produit cette folle série qui raconte la Terre.

L’autofinancement, la débrouille et la démesure, il connaît. En 2018, il a mis un point final à 20-22 OMEGA, son premier long-métrage. Un documentaire symphonique muet, tourné en pellicule, pendant cinq ans, dans une centaine de lieux. Un film qui observe la société présente et future du point de vue du passé, et qui prolonge son court-métrage 20-22 ALPHA dans lequel, déjà, en 2015, il documentait notre époque.

Thierry a une vision forte et claire de ce qu’il veut, il est aussi méthodique que créatif.

Forbes Campbell, vidéaste

Pour 20-22 OMEGA, Thierry Loa a embarqué avec lui le vidéaste canadien Forbes Campbell, devenu depuis un ami. « Au début, Thierry était un peu mon mentor et moi son assistant, bien que je sois plus âgé que lui. Il a une vision forte et claire de ce qu’il veut, il est aussi méthodique que créatif », raconte Forbes Campbell. Surtout, le jour où Thierry lui fera acheter des cuissardes de pêche afin de filmer l’intérieur d’une mine abandonnée et inondée. Au rayon des meilleurs souvenirs, c’est le premier qui vient à l’esprit de Forbes Campbell.

Tout un programme

Quand il ne capture pas l’univers, Thierry Loa avance sur un autre grand projet : A Man and a Woman, un film de fiction interactif qui l’occupe depuis plus de dix ans. Dans celui-ci, il est question du cycle infini de l’amour et de la vie. Tout un programme. En cours également, son projet CODE MRU, un documentaire sur les habitants de l’île Maurice. Avec tout ça, il trouve (parfois) le temps de poursuivre FACES, un projet ethnographique de portraits réalisés dans l’espace public.

La réalisation, c’est dur, il faut être coriace et prêt à faire face à toutes les situations, comme un athlète de haut niveau.

Thierry Loa

À ses heures perdues, Thierry Loa absorbe tout ce qu’il peut en se perdant sur YouTube : infos, conférences, vulgarisation géopolitique. Et tout ce qui peut nourrir ses projets. Côté fiction, il « gobe tout : cinéma, blockbusters, séries, films grand public… Je regarde juste moins d’œuvres expérimentales qu’avant, car j’ai assez appris pour constituer ma base ». Quand il quitte son écran, c’est pour pratiquer du sport et notamment du crossfit. « Mes tournages pour 21-22 durent des semaines en mode marathon, il faut tenir le coup physiquement et mentalement. Ça m’aide beaucoup d’être sportif. La réalisation, c’est dur, il faut être coriace et prêt à faire face à toutes les situations, comme un athlète de haut niveau. »

Tout cela ne laisse guère de place pour une quelconque vie de famille. Avec toute l’humilité qui le caractérise, il sourit et glisse : « Mes enfants, ce sont mes projets ». Ça tombe bien, les huit volets de 21-22 risquent de l’occuper un bon bout de vie. Certains tournent autour de leur sujet des années. Thierry Loa, lui, tourne autour de la Terre, littéralement.

Journaliste indépendante, Marianne Rigaux réalise des reportages entre la France et la Roumanie pour la presse magazine. Responsable pédagogique, elle est également très investie dans différentes activités associatives et siège à la Scam en tant que membre de la commission Écritures et formes émergentes.

La Scam affirme la place singulière des auteurs et des autrices dans la société. Astérisque en est le porte-voix.