Les issues ne sont pas toujours gagnantes et les combats restent âpres. Il n’empêche, en quarante ans d’existence, la Scam a accompagné de nombreuses victoires pour la défense du droit d’auteur. Qui ont contribué à renforcer le modèle français. Par la journaliste Sylvie Fagnart, pour la lettre Astérisque n°67.

La Scam n’a que quatre petites années d’existence quand elle emporte une fameuse bataille. 3 juillet 1985 : la loi relative aux droits d’auteur et aux droits voisins est adoptée au Parlement. Celle-ci adapte enfin le droit – en l’espèce la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique – à la montée en puissance des médias audiovisuels. La présomption d’auteur est désormais décernée à l’ensemble des réalisateurs de l’audiovisuel. « Cette reconnaissance des droits des réalisateurs et réalisatrices de documentaires était le grand combat des fondateurs de la Scam », rappelle Hervé Rony, son directeur général.
Ce texte fondateur crée aussi la rémunération pour copie privée. Un dispositif qui ouvre aux consommateurs la liberté de dupliquer des œuvres pour leur usage personnel, tout en préservant les droits des auteurs. Aujourd’hui, cette manne financière bénéficie à 75 % aux auteurs et aux autrices – ce qui représente 5 à 10 % de leurs revenus, en moyenne – et finance, grâce aux 25 % restants, des projets d’action culturelle. Ainsi des prix décernés par la Scam : les Étoiles du documentaire ou les prix audiovisuels, comme les bourses Brouillons d’un rêve.
Preuve que la défense des droits d’auteur ne connaît pas de répit : une récente proposition de loi prévoyait d’exonérer les appareils électroniques reconditionnés du paiement de la rémunération pour copie privée. Pour finir, un compromis – entre incitation écologique et respect du travail de création – a été trouvé par le législateur début juin 2021. Certains acteurs du secteur des télécoms continuent néanmoins à s’élever contre cette solution. Affaire à suivre… « De l’autre côté de la frontière, la question est un feuilleton perpétuel, soupire Renaud Maes, ex-président du comité belge. Nous avons encore récemment emporté une bataille contre les multinationales de la copie mais nous attendons la publication d’arrêtés pour nous réjouir ».

Idée géniale

La défense du droit d’auteur reste bien un combat incessant, et ardu, pour faire rayonner dans un monde globalement acquis à la vision anglo-saxonne de la rémunération du travail des artistes, la conception forgée par Beaumarchais au XVIIIe siècle. « C’est une idée géniale, s’enthousiasme Hervé Rony, il n’y a pas de raison que l’auteur ne soit pas associé à l’exploitation de son œuvre et aux recettes qu’en retire l’exploitant ».
Dans un éclat de rire, le président du comité québécois de la Scam, Luc Dionne, confie faire très souvent appel à l’image d’Astérix et de son village qui résiste à l’envahisseur pour évoquer la défense du droit d’auteur au Canada. C’est en effet de l’autre côté de l’Atlantique que se confrontent le plus ouvertement les deux conceptions de la rémunération du travail de création.

D’un côté, le copyright ou système du buy-out, en vigueur dans la sphère juridique anglo-saxonne. De l’autre, le « droit d’auteur à la française », que Luc Dionne nomme aussi le « droit d’auteur continental ». Leur différence principale tient à la place accordée au créateur dans l’exploitation de son œuvre. « Dans le système du buy-out, vous réalisez une œuvre, vous êtes payé pour cette œuvre et c’est ensuite terminé. Celui du droit d’auteur prévoit une rémunération du créateur tout au long de l’exploitation de son travail », trace Hervé Rony. Il précise : « Cela ne signifie pas que les auteurs américains, par exemple, sont mal payés. Au contraire, car des syndicats puissants encadrent leurs relations avec les producteurs. Mais ils sont payés une fois pour toutes ».

Respect de l’esprit

« La préoccupation qui sous-tend la philosophie du copyright, c’est la circulation de l’œuvre. Faire en sorte qu’elle atteigne son public. Alors que le droit d’auteur à la française n’envisage cette diffusion que dans le respect de l’esprit voulu par l’auteur », précise Nicolas Mazars, directeur des affaires juridiques et institutionnelles de la Scam.
Considérant des différences fondamentales entre les deux systèmes, la création du comité québécois de la Scam et l’imposition, petit à petit, du système continental au Canada relève bien de la gageure. Luc Dionne file à nouveau la métaphore : « Nous sommes une île dans un immense océan. Pour l’élever et la conforter, le travail mené par Elisabeth Schlittler, la déléguée de la section, a été titanesque. D’abord négocier avec les différents syndicats (scénaristes, réalisateurs, etc.) une réécriture des contrats les liant aux producteurs pour prévoir un deuxième volet de rémunération de l’œuvre, en plus du cachet. Ensuite, on a pu commencer à discuter avec les chaînes de télévision. En leur disant : attendez-vous à devoir payer plus cher ! ». « Mais finalement, le système n’est plus remis en question par les acteurs historiques de la diffusion », se félicite Elisabeth Schlittler.

Des accords partout

Fruits concrets de ses combats, la Scam répartit, entre ses 49 000 membres, 110 millions d’euros récoltés cette année. Désormais, des contrats d’exploitation ont été signés avec la plupart des diffuseurs présents en France, en Belgique et au Québec. Mais l’apparition de nouveaux acteurs et les évolutions technologiques élargissent sans cesse le champ des accords à conclure. « C’est ma priorité : signer des accords, encore, partout, tout le temps », martèle Hervé Rony. Il cite en exemple les récents contrats signés avec des plateformes ou Netflix pour la diffusion de podcasts.
Les podcasts : une illustration frappante de la façon dont la Scam fait en sorte d’investir systématiquement tous les nouveaux canaux de diffusion. « Parfois on négocie pour le principe. Comme avec les plateformes de podcasts, dont le modèle économique n’est pas encore assuré. Dans ce cas, on négocie avec des gens qui n’ont pas de sous. Mais les contrats sont prêts. Pour le jour où le secteur deviendra rémunérateur », explique le directeur général.
À propos de cette vision centrée sur le créateur plutôt que sur l’œuvre, l’ancien ministre de la Culture, Jack Lang, initiateur de la loi de 1985, proclame : « Le droit d’auteur est le fils des Lumières et de la Révolution française. Il est au cœur de notre vie culturelle et, je n’hésite pas à le dire, il est un élément de l’identité de notre pays » 1.
C’est cette approche qu’il a fallu brandir entre le début des années 2000 et aujourd’hui, pour faire valoir la défense des droits d’auteur dans le contexte européen. Dans les premières versions de la directive « relative aux services dans le marché intérieur », connue sous le nom de directive Bolkestein, les lois de la concurrence propres au marché devaient s’imposer au secteur de la culture. De solides mobilisations – dont fut la Scam – ont permis de préserver l’exception culturelle inspirée par les pratiques françaises.

Changement de perception

Ces mobilisations imprimèrent une empreinte profonde, dont la directive de 2016 est l’illustration. « Le combat fut âpre, violent et emporté à l’arraché par la ténacité des sociétés d’auteurs. Mais nous avons obtenu l’obligation pour les plateformes de diffusion internationale de négocier des droits collectifs. Ou, pour le dire autrement, l’obligation pour elles de rentrer dans l’écosystème du paysage culturel français », souligne Hervé Rony.
C’est la marque, selon Frédéric Young, délégué général de la Scam Belgique, d’un changement de perception chez les responsables politiques, nationaux et européens. « Nous connaissons un bien meilleur contexte qu’il y a quinze ans », apprécie-t-il en donnant en exemple l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, « qui ne jurait que par la liberté d’entreprendre et qui, petit à petit, en vient à défendre le droit d’auteur ».
D’autres batailles se sont engagées et n’ont pas encore d’issue certaine. Principalement contre les mastodontes de la diffusion de contenu culturel que sont les plateformes de réseaux sociaux et de vidéos à la demande, telles que Netflix, Facebook, Google et consorts. « Et nous ne nous débrouillons pas si mal : des contrats sont signés, des droits payés à échéance. Notre avantage, l’avantage d’être unis, c’est que nous avons du temps et que nous ne lâchons pas », estime Frédéric Young. À bon entendeur…


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Dans une tribune publiée par le journal Le Monde, le 19 décembre 2005, pour les vingt ans de la loi qui porte son nom.

Protéger tous les auteurs du réel

Rémi Lainé, président de la Scam

Mon combat, en tant que nouveau président, c’est de poursuivre un engagement, très important à mes yeux depuis mon investissement auprès de la Scam : la féminisation de notre Société. Quand j’y ai adhéré, les présidents avaient toujours été des hommes. Les prix étaient toujours accordés à des hommes. Il m’a toujours semblé important d’œuvrer pour que les femmes soient reconnues à leur juste valeur dans cette maison. En 2013, l’élection de la première présidente de la Scam, Julie Bertuccelli, a été pour moi une source forte d’émotions. C’est à partir de là que la Scam est devenue ce qu’elle est aujourd’hui : une maison ouverte, sur les régions et à l’international. Huit ans de présidence féminine ont fait basculer la Scam. Pour le meilleur. Mais il faut continuer à muscler nos interventions. Et protéger tous les auteurs et autrices du réel. Les youtubeurs, qui avaient beaucoup investi la fiction, se tournent vers le réel. La Scam est aussi leur maison.

Notre prochain combat : préserver nos acquis

Luc Dionne, président du comité québécois de la Scam

Le combat pour le droit d’auteur est un combat de tous les instants ! C’est particulièrement vrai pour nous, au Québec, qui sommes entourés d’un océan face auquel le droit d’auteur doit être en permanence défendu. Mais c’est aussi vrai pour la France et l’Europe. Nous, les autrices et auteurs, allons devoir, après cette pandémie, nous battre pour ce que nous avons durement gagné au cours de ces quarante dernières années. On ne peut encore dire vraiment où se porteront ces combats. Et ce serait d’ailleurs mettre la charrue avant les bœufs que de les nommer dès aujourd’hui. Il nous faut déjà sortir du marasme. Mais nous devons surtout nous attendre à devoir préserver nos acquis. Nous battre pour qu’on ne nous enlève pas les outils qui nous ont été si bénéfiques par le passé.

Nos énergies nous nourrissent

Isabelle Rey, présidente du comité belge de la Scam

On est fort quand on est ensemble. Une voix séparée, isolée, ne porte pas. Quand on est un chœur, le volume est plus fort ! Et sur le plan personnel, c’est très stimulant de confronter nos situations, nos différents points de vue, dans le large panorama d’auteurs et autrices. La richesse de la Scam réside aussi dans ces répertoires variés, qui se croisent, dans ces auteurs et autrices qui traversent différents domaines de création. Intellectuellement, c’est passionnant. Et surtout, ça fait notre force commune. Nos énergies nous nourrissent les uns, les autres. La Scam n’est pas qu’une société de perception de droits. Elle stimule notre imagination et nous donne la force de défendre notre travail de création. C’est dans cet esprit que nous plaidons, à Paris comme à Bruxelles, pour une reconsidération des documentaristes par la télévision publique.

Créer des logiques d’alliance

Renaud Maes, président du comité belge de la Scam de 2019 à 2021

L’enjeu de ces prochaines années, c’est de créer des logiques d’alliance étroites avec les autres sociétés d’auteurs. Notamment pour faire face aux énormes sociétés de production et de diffusion qui n’ont pas toujours, dans leur ADN, le respect de la création. Il nous faudra aussi veiller aux tendances inquiétantes qu’on voit poindre en Europe, de recul sur la liberté de créer et d’informer. C’est un phénomène de dimension européenne sur lequel les auteurs et les autrices doivent se mobiliser. Une note positive toutefois : il faut encourager les plateformes de diffusion indépendantes qui se créent. Elles montrent une appétence du public pour le documentaire. Nous devons les soutenir !


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