La Scam, mobilisée aux côtés des journalistes de Mediapart contre la censure.

Nous, sociétés de journalistes, associations de défense du droit à l’information, organisations et collectifs de journalistes, médias, dénonçons avec force la décision du tribunal judiciaire de Paris de faire injonction à Mediapart de ne pas publier de nouvelles révélations sur les pratiques politiques du maire de Saint-Étienne, après celles du chantage à la sextape. Cette censure préalable, décidée sans débat contradictoire, est une grave et flagrante attaque contre la liberté de la presse.

Comment une telle décision a-t-elle pu être rendue, en dehors de toute contradiction, alors qu’il existe pourtant des procédures d’urgence, qui auraient permis à Mediapart de se défendre ?

Depuis la loi du 29 juillet 1881 qui a instauré en France le droit d’information et la liberté d’expression, jamais une telle procédure, à notre connaissance, n’avait été utilisée pour censurer préalablement un média.

Dans un contexte où un industriel a récemment détourné le droit de la presse pour poursuivre un média devant les tribunaux de commerce, où des hommes d’affaires multiplient les procédures bâillons et où de nombreux journalistes se voient refuser l’accès à des données d’intérêt public au nom du “secret des affaires”, cet acte liberticide nous inquiète profondément quant à la situation de la liberté de la presse en France.

Nous sommes solidaires de nos consœurs et confrères de Mediapart et nous nous tenons à leurs côtés.

Premières Sociétés de Journalistes signataires

SDJ de Premières Lignes
SDJ d’Arrêt sur Images
SJPL de Libération
SDJ de l’Humanité
SDR de La Vie
SDJ de BFMTV
SDJ de M6
SDJ de France 2
SDJ de FranceInfo.fr
SDJ de Paris Match
SDJ de Télérama
SDJ de Public Sénat
SDJ de Marianne
SDJ de Courrier international
SDJ des Échos
SDJ de Midi Libre
SDJ de France 24
SDJ de La Tribune
SDR de l’Obs
SDJ du Figaro
SDJ de France 3 Rédaction Nationale
SDJ de L’Usine Nouvelle
SCJ de Sud Ouest
SDJ NRJ Group
SDJ de RTL
SDR du Monde
SDJ de RFI
SDJ de l’AFP
SDJ de l’Express
SDJ du Parisien / Aujourd’hui-en-France
SDJ du JDD
SDJ de Radio France
SDJ de LCI
SDJ de RMC
SDJ de M6
SDJ de Challenges

Premières associations, collectifs et organisations signataires

Informer N’est Pas un Délit
Reporters Sans Frontières
Fédération Internationale des Journalistes
Association de la Presse Judiciaire
Profession Pigiste
SNJ
SNJ-CGT
CFDT Journalistes
F3C CFDT
SGJ-FO
We Report
Splann !
Forbidden Stories
Collectif Extra Muros
Association des journalistes économiques et financiers
La Scam – Société civile des auteurs multimedia
Association des Journalistes de l’Information Sociale
Prix Albert Londres

Premiers médias signataires

Reflets.Info
La Tribune

 

La Scam organise un débat d’actualité sur les changements du paysage audiovisuel et leurs implications, en partenariat avec NPA Conseil. Venez assister à cet échange mené par Hervé Rony, directeur général de la Scam et Philippe Bailly, président de NPA Conseil.
Retransmission en direct sur notre site.

En vidéo

La réalité économique engendre aujourd’hui des rééquilibrages dans le paysage audiovisuel et suscite de nombreuses interrogations :

  • Trop d’offre ne tue-t-elle pas l’offre ?
  • Quelle place pour les acteurs historiques de l’audiovisuel ?
  • Les géants du streaming réévaluent-ils leur stratégie de développement ?
  • Quels nouveaux usages pour le téléspectateur-internaute ?

Philippe Bailly, président de NPA Conseil et Hervé Rony, directeur général de la Scam aborderont toutes ces questions lors d’un échange avec le public.

Ces deux figures de l’internet français seront parraines du prochain festival Frames, dédié à la création web. L’occasion de retracer leur parcours respectif, bien plus similaire qu’il n’y paraît au premier abord.

« Tu vas clairement bosser plus que moi ! » La petite blague, lâchée autour d’un café, est de MisterMV, streameur et « vieux monsieur » de l’internet français. Elle est adressée à son voisin de table, le professeur et auteur Clément Viktorovitch. « C’est vrai que je vais devoir préparer un concours d’éloquence ! », répond ce dernier, amusé.

Car cette année, le festival Frames, dédié depuis 2016 aux créateurs de contenus, a décidé de proposer aux deux hommes le rôle de parrain. Les 13 et 14 avril, ils seront présents à Avignon pour animer plusieurs événements et « présenter le web qu’ils aiment ».

Mais si ces deux enfants des années 1980 se sont trouvés grâce à internet, rien, au départ, ne laissait penser que le chemin se croiserait un jour.

Des deux côtés de Paris

« C’était un fiasco au début pour moi », confie d’emblée Xavier « MV » Dang, qui a grandi dans le 92 avec un contexte difficile, des  “parents handicapés, et une mère maniaco-dépressive”. Malgré des facilités à l’école, son parcours bascule un jour en sixième. “J’avais mangé trop de bonbons, et j’ai vomi en classe. J’ai développé une phobie scolaire très lourde.” Une souffrance qui le pousse à rejoindre un hôpital de jour, où il suit des cours et valide quelques équivalences, notamment en anglais, mais éprouve des difficultés à nouer des liens. “J’avais mes amis d’enfance heureusement, mais pour rencontrer des gens, ça a longtemps été très compliqué.”

Clément aussi se décrit comme un introverti. Pour autant, son parcours scolaire est plus traditionnel. Fils d’une institutrice et d’un assureur, né aux Lilas, il suit la filière scientifique, comme beaucoup de garçons bons élèves à l’époque. Obsédé par les trous noirs, l’ado rêve longtemps d’une carrière d’astrophysicien. “Mais en rejoignant le journal du lycée, quelque chose a profondément résonné en moi. J’ai découvert une passion pour l’écriture, pour les mots.” Écrire sur l’actualité, la politique et le monde le convainc de se réorienter vers le journalisme. Il se lance dans des études où s’entrecroisent Histoire et Sciences Politiques. Mais malgré une thèse soutenue dans ce dernier domaine, le jeune docteur trouve finalement sa vocation dans l’analyse du discours. “C’était comme devenir un paria, à Sciences Po on me demandait si je ne voulais pas faire quelque chose d’intéressant à la place, se souvient-il, dans un sourire. Mais j’avais besoin de fonctionner au plaisir, au feeling.” Étape par étape, au gré des cours qu’il donne, et surtout des projets d’éducation populaire et des concours d’éloquence à destination des jeunes, il trouve peu à peu sa voie.

Xavier et Clément traversent donc les années 1990 et 2000 avec un cheminement bien différent. Mais dans leur chambre, discrètement, tous les deux nourrissent une passion pour un univers encore mal vu à l’époque : la culture geek.

“Pour nous, c’était jeux vidéo, musique, manga”

“Il y a une légende urbaine qui dit que j’étais admirateur de Robert Badinter au lycée, alors que c’est venu plus tard, raconte Clément. Je suis de la génération Nintendo. Je jouais même à Bomb Jack sur Amstrad.” A douze ans, il ne jure que par la science-fiction ou Dragon Ball et Les Chevaliers du Zodiaque, qu’il dévore dans le Club Dorothée. “Il ne  faut pas oublier que cette culture-là n’était pas cool, déjà auprès du milieu intellectuel français, mais aussi au sein même de notre génération”, rappelle l’auteur, vite approuvé par MV.

Lui aussi enfant des années 1980, il plonge dans les univers virtuels avant même de savoir lire parfaitement, grâce à la sortie de la NES en 1986. Son premier jeu, Zelda II, le traumatise mais le marque à vie, tout comme Final Fantasy III, auquel il consacrera plus de mille heures. Quant à Sonic, raconte-t-il chez Konbini, il le découvre en 1991 grâce à deux camarades, des jumeaux revenus du Japon avec une copie dans leur sac de voyage.

Le second choc pour MV survient en 1997, lorsqu’il débarque sur internet. Il découvre les chats en ligne et s’affranchit des frontières de sa chambre. “Internet m’a sauvé la vie à une époque où c’était le lieu de retrouvaille des rebuts sociaux, confie-t-il en souriant. Je ne parlais qu’à des étrangers, pour m’ouvrir au monde. Je me souviens même d’une femme de l’île de Guam qui dépensait des fortunes pour m’appeler. C’était des histoires de zinzin.” Grâce à des passionnés sur IRC, le jeune homme comprend qu’il peut extraire les sons de ses musiques de jeux vidéo préférés, et décide  de se former à la composition assistée par ordinateur. Peu à peu, après des années de petits boulots à faire “le minimum pour avoir de la thune”, il entrevoit ce qui finit par devenir son premier métier passion. Il passe ses nuits sur son ordinateur, réalise plusieurs projets musicaux, mais aussi et surtout des bandes-sons de jeux vidéo. Son travail pour Crazy Frog Racer sur Nintendo DS, deviendra culte chez ses abonnés.

Pour autant, c’est une autre facette du jeu vidéo qui va faire basculer sa vie : le speedrun. Cette pratique, consistant à finir un jeu le plus rapidement possible, avec ou sans l’aide de bugs, explose grâce à internet. Au début des années 2010, Xavier se distingue par ses compétences hors normes, sur des jeux comme Super Meat Boy ou Final Fantasy VI. C’est cette activité qui va l’amener progressivement vers le commentaire de speedruns en live, notamment grâce à des personnalités du milieu comme Ken Bogard, et plus particulièrement sur Justin.tv, puis Twitch.tv. “C’était une époque où je pouvais préparer un live pendant quinze heures pour au final me retrouver avec une audience de 20 à 100 personnes maximum au bout d’un an d’activité.”

Pourtant, au milieu des années 2010, et notamment grâce à sa participation à des WebTV comme la ZTV de Zerator ou GamingLive chez Webedia, son compteur d’abonnés décolle. Parmi eux, un certain Clément Viktorovitch.

La rhétorique de Naruto

Naturellement imprégné par la culture internet quand il ne travaille pas sur ses conférences, Clément devient vite l’un des abonnés de MV, notamment pour suivre ses parties de Street Fighter. Le politique tente d’ailleurs à son tour l’aventure internet, d’abord sur une chaîne YouTube qu’il co-créé en 2011 : Aequivox. Des analyses de discours adaptées au public des YouTubeurs français de l’époque. Si la chaîne trouve son public, offrant parfois des scores d’audience impressionnants pour l’époque, le principal intéressé finira par retirer ses vidéos des années plus tard.

Paradoxalement, c’est grâce à l’ancêtre de YouTube, la télévision, qu’il se fait connaître du grand public. Sur i-Télé dès 2016, puis sur CNews, dans L’Heure des Pros, porté par Pascal Praud, figure toujours plus polémique et controversée. Une expérience compliquée dans “le rôle de l’intellectuel de gauche” pour le jeune politologue, mais qui ne le décourage pas des médias traditionnels. Après un passage dans Punchline chez Laurence Ferrari, il s’envole pour Canal+ et l’émission Clique, où il chronique aussi bien de Gérald Darmanin et de violences policières que de Naruto et de Top Chef, et même un temps chez Quotidien.

“En fait, j’ai un parcours miroir à Xavier, commente-t-il. Car j’ai démarré dans les “arènes” les plus traditionnelles qui soit, dans le milieu académique, puis à la télévision. Mais au sein de ces arènes, j’étais quand même perçu en marge.”

S’il garde encore un pied dans le monde médiatique avec des chroniques sur France Info, ses projets s’en éloignent toujours plus. D’abord avec un livre, en 2021. Puis un spectacle au théâtre, L’art de ne pas dire, qu’il présente depuis l’année dernière et dont il “rêvait depuis dix ans”.

Mais c’est avec un projet Twitch inattendu que Clément a fini par trouver sa pleine indépendance. Et croiser le chemin de MisterMV.

Jeux de rôles

Si MV s’est fait connaître avec ses streams de jeux vidéo après avoir quitté Webedia, sa chaîne Twitch héberge depuis 2021 une émission très particulière, un jeu de rôle appelé Game of Roles, créé quelques années plus tôt par FibreTigre, auteur et créateur de jeux de rôles. “Je lui parlais déjà de jeux de rôle dès 2015, se souvient l’auteur. Il connaissait bien. Durant toutes ces années dans l’anonymat, à faire du stream, MV a acquis un savoir-faire sur les codes de la plateforme. Et quand on a commencé à bosser sur des jeux de rôle en live, il a tout de suite compris ce qu’il fallait changer pour l’adapter à Twitch.” Car contrairement à ce qu’il laisse penser parfois, MV n’a pas “qu’un poil dans la main”. “Il a beaucoup à gérer dans sa vie, il est père de famille, il investit dans beaucoup de projets, continue FibreTigre. Mais oui, il est jamais à l’heure, il répond au dernier moment, ou une fois par semaine, justement parce qu’il fait beaucoup de choses. Comme beaucoup d’autres artistes.”

Game of Roles devient alors un “bol d’air frais” pour MV, et un vrai succès d’audience, qui ne faiblit pas depuis. Fin mars, l’équipe de “GoR” était même diffusé en direct du théâtre de la Concorde, devant 500 personnes, chacune ayant un petit rôle à jouer dans l’aventure.

“Lors de la cinquième saison de Game of Roles, début 2021, Clément a parlé de notre concept dans Clique, se souvient aujourd’hui FibreTigre. Il était abonné, on a fini par l’inclure dans une de nos histoires, il est venu, et on a fini par développer un projet entier ensemble.” Un projet qui, en pleine campagne présidentielle pour l’Elysée, regroupera évidemment ses sujets de prédilection : la politique, les médias, et internet. Clément aide FibreTigre et son équipe à trouver le diffuseur neutre dont ils ont besoin : France Info. Après des négociations assez longues, un accord est trouvé pour que “Les Deux Tours” se lancent en janvier 2022. Un jeu de rôle articulé autour des débats présidentiels, avec de faux candidats, incarnés par des personnalités d’internet, mais aux discours politiques inspirés d’idées bien réelles. Clément et MV se retrouvent donc autour du plateau, et débattent sous les traits de leurs avatars respectifs.

Seule condition pour sa réalisation : le live devra avoir lieu sur la chaîne de Clément, qui n’existe pas encore. Le professeur, qui n’avait pas de projet Twitch jusque-là, se lance et rajoute la casquette de streameur à un CV déjà bien fourni.

S’affirmer, s’engager

Loin des contraintes télévisuelles, et fort du succès des Deux Tours, Clément Viktorovitch prend goût à l’exercice du live, et décide de poursuivre l’aventure au-delà de l’aventure Game of Roles. Avec son Café Rhétorique, une revue de presse qu’il propose trois fois par semaine, le professeur embrasse pleinement les codes des réseaux.“Son but, c’était d’être libre, d’avoir une libre antenne, note FibreTigre. Cette libre antenne, c’est devenu Twitch. Et ça cartonne pour lui.”

Pour autant, Clément fait toujours attention aux étiquettes qu’on aimerait lui accoler : “Dans le fond, j’ai toujours tenu le même discours, sourcé, étayé. Et puis, je n’ai jamais prétendu être neutre, j’ai toujours assumé mes idées : plus de partage des richesses, du pouvoir pour les citoyens et la prise en compte des enjeux écologiques dans chaque décision. Ce qui est différent avec Twitch, c’est un changement de forme, de ton, parce que tu es en direct, et que tu peux réagir de manière plus émotionnelle.”

“Twitch, c’est moi avec mes potes sur le canapé, en train de rigoler, embraye MisterMV. Mais quand le live est coupé, je suis plus introverti, anxieux, hypersensible, même avec des proches. Mais les deux font partie de moi.” Le streameur, que beaucoup surnomment affectueusement le “vieux monsieur”, a aussi appris à développer un discours plus politique, sans pour autant renier l’humour qui l’a rendu populaire. “J’ai 43 ans, et j’ai appris assez vite qu’on a une responsabilité quand on est énormément suivi. Et sans être totalement énervé chaque jour qui passe, j’arrive à faire passer quelques idées politiques. Parfois de façon indirecte, avec des vannes. Et m’engager un peu plus.”

Début mars, il organisait la quatrième édition de Speedons, un marathon caritatif de speedrun dont les dons étaient reversés à Médecins du Monde. En 75 heures à peine, plus de deux millions d’euros ont été récoltés, un nouveau record pour MV et son équipe. “Je suis devenu riche en jouant à des jeux vidéo et en portant des perruques, et je me dis que je peux m’en servir pour faire quelque chose d’autre, d’utile, conclut MV. Et faire de mon mieux pour qu’on avance ensemble.”

La Scam affirme la place singulière des auteurs et des autrices dans la société. Astérisque en est le porte-voix.

Lauréats de L’Œil d’or 2024 – Le Prix du documentaire à Cannes pour Les Filles du Nil, la réalisatrice Nada Riyadh et le réalisateur Ayman El Amir partagent avec Emmanuel Raspiengeas la genèse de leur film.

Un des droits humains les plus fondamentaux est le droit d’être vu.

Ayman El Amir

Quel a été votre parcours et comment vous êtes-vous dirigés vers le cinéma et le documentaire en particulier ?

Ayman El Amir : J’ai commencé ma vie professionnelle en tant que physicien, métier que j’ai pratiqué quelques années, mais que j’ai fini par abandonner pour me consacrer entièrement au cinéma. J’ai obtenu un master en scénario et production, avant de travailler comme lecteur de scénarii pour des universités à travers le Moyen-Orient, puis de revenir en Egypte en 2015. C’est là que Nada et moi avons commencé à travailler ensemble, notamment sur notre premier documentaire, Happily Ever After, un film très personnel, qui entremêle l’histoire de notre relation à distance avec le contexte socio-politique de l’Egypte à l’époque de la Révolution. Cette même année, nous avons fondé notre maison de production, Felucca Films. J’ai ensuite produit le court-métrage de fiction de Nada, Fakh, qui a été sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes en 2020, puis nous avons co-réalisé Les Filles du Nil.

Nada Riyadh : J’ai commencé comme ingénieure, en revanche je n’ai jamais exercé dans ce domaine, car je me suis mise à travailler comme monteuse dès ma deuxième année d’études. J’ai commencé à réaliser des films en 2012, avec un premier court métrage de fiction. J’ai toujours adoré autant la fiction que le documentaire.

Ayman : Nous avons coutume de dire que nous faisons des fictions qui ressemblent à des documentaires et vice-versa. Pour nous, un film est un film, et nous cherchons avant tout à travailler notre propre langage, afin de mieux comprendre la société dans laquelle nous vivons. Nous suivons en quelque sorte nos propres règles.

 

Comment avez-vous rencontré les apprenties comédiennes et quand avez-vous décidé d’en faire le sujet d’un film ?

Nada : Nous avons rencontré les filles en 2016. À l’époque, nous travaillions avec de nombreuses institutions féministes qui soutenaient des initiatives artistiques de femmes jusque dans des régions reculées. Nous avons donc beaucoup voyagé dans le sud de l’Egypte, et c’est par hasard que nous nous sommes retrouvés dans un petit village où elles se produisaient. Nous les avons trouvées extrêmement courageuses, talentueuses, rebelles… Je me souviens très bien de cette première rencontre. Le sentiment d’être intimement poussée dans mes retranchements par ces gamines en train de faire quelque chose à quoi je n’aurais jamais pensé, et dont j’aurais été bien incapable. En un sens, elles m’ont semblé plus libérées que nous. Elles nous obligeaient. Elles étaient à cet âge où vous n’avez pas encore d’inhibitions, où vous vous moquez des règles. Mais est-il possible de garder cette liberté à mesure que vous grandissez ? C’est devenu toute la question du film.

Ayman : Dès l’instant où nous les avons rencontrées, elles ont brisé tous les stéréotypes que nous avions sur les femmes du sud. Elles se donnaient en spectacle dans les rues des villages, en interaction directe avec les habitants qu’elles n’hésitaient pas à affronter. C’est à ce moment que nous avons pensé en faire un film, et nous avons immédiatement su que nous allions devoir passer du temps avec elles, afin d’en faire un récit initiatique sur leur passage de l’adolescence à l’âge adulte. Le tournage a duré quatre années, de 2019 à 2022.

 

Vous nous montrez une Égypte et une communauté -les chrétiens coptes-, méconnues, très éloignées du Caire.

Ayman : Je dois dire que beaucoup des Égyptiens vivant au Caire et à Alexandrie ne connaissent pas eux-mêmes cette communauté et cette région. Ils ne voient aucun film se déroulant en dehors de la capitale. La majorité des films égyptiens commerciaux actuels ne se contentent pas seulement de se dérouler exclusivement au Caire, mais aussi de prendre comme héros des membres des classes aisées, dont le mode de vie ne correspond qu’à environ 10 % de la population égyptienne. Je n’ai souvenir d’aucun film récent se déroulant dans le sud du pays, avec des coptes comme personnages principaux. Cette question de représentation était centrale dans notre projet. Nous avons fait ce film pour donner une voix à ces gens. Parce que je pense qu’un des droits humains les plus fondamentaux est le droit d’être vu et de pouvoir se voir soi-même sur un écran.

Nada : C’est aussi pour cela qu’il était très important pour nous de sortir le film en salles en Égypte.

Tout au long de votre film, vous accordez une grande importance à l’espace. La première phrase prononcée est d’ailleurs celle de Magda, la leader de cette troupe de théâtre : « Utilisez tout l’espace ! », qui sonne presque comme un slogan politique.

Ayman : Les filles vivent dans un village très peuplé, où elles n’ont aucune intimité dans leurs maisons, qui sont toutes extrêmement proches les unes des autres. Dans bien des villages, les femmes n’ont que très peu accès aux espaces publics, tous accaparés par les hommes.

Nada : En particulier dans le sud, les femmes n’occupent l’espace public que pour aller d’un point A à un point B, très rarement pour simplement flâner dans la rue. Les hommes à l’inverse peuvent s’y prélasser, jouer au backgammon, au foot… Notre film permet de comprendre qu’une des raisons du courage de ces filles est que ce petit espace théâtral est le seul qui leur est propre. Elles y sont ensemble, et cela leur donne un pouvoir, une autonomie extraordinaire.

 

Votre présence, et celle de votre caméra, ont-elles modifié le comportement de vos personnages, notamment lors des scènes de conflits avec les frères et les fiancés ?

Ayman : À partir de 2019, nous venions tous les mois dans le village. Pour filmer ou simplement passer du temps avec les gens, au café avec les hommes, dans les maisons avec les femmes… Nous devions être là, sur place, à faire corps avec la communauté, pour ne pas être des étrangers. Nous avons beaucoup tourné, et au début, tout le monde était très conscient de la présence de la caméra : ils la regardaient, ils nous parlaient… Nous n’avons quasiment rien utilisé de la première année de tournage. Mais petit à petit, chacun a commencé à s’habituer à notre présence, et c’est naturellement que nous avons réussi à trouver notre place sans interférer ou entraver leur routine quotidienne. À l’approche de la fin du tournage, nous connaissions si bien les filles et leur entourage que nous savions anticiper certaines situations, pour le meilleur et pour le pire. Avant la scène entre Haidi et son fiancé par exemple, nous avions été témoin dans la foulée d’une forte altercation, comme souvent entre eux après chaque représentation. Nous savions que quelque chose allait se passer.

 

Aviez-vous également anticipé la très belle et surprenante scène entre Haidi et son père ?

Ayman : Cette scène est l’exemple parfait de la relation que nous avions établi avec cette famille, et plus particulièrement avec le père. Il a toujours été très solidaire de sa fille et de ses projets. Il voulait qu’elle continue à jouer et à exprimer ses idées haut et fort. Et soudain, elle est tombée amoureuse de ce garçon, qui voulait qu’elle ne fasse rien d’autre que de rester à la maison. Le père était très gentil, très prévenant, et voulait donner son avis à Haidi sans la blesser pour autant. Mais il ne savait pas comment faire. Nous avions déjà assisté à des prises de bec entre eux sur ce sujet, mais ce jour-là, il nous a demandé de venir, parce qu’il pensait que la caméra lui donnerait du courage et une forme d’autorité, et pourrait l’aider à mieux exprimer sa pensée et ses inquiétudes. D’autant que Haidi est très têtue, et elle ne voulait écouter personne à cette époque. Cette scène a été beaucoup plus longue que ce que l’on en voit. À l’écran, elle dure six ou sept minutes, mais elle a en réalité duré plus de deux heures ! Nous nous sommes contentés d’en être les témoins. C’est ainsi que nous avons tourné tout le film, dans cette atmosphère de confiance mutuelle. Surtout, une scène comme celle-ci m’a beaucoup donné à réfléchir autant sur la puissance du cinéma que sur ses limites.

Où en sont les filles aujourd’hui ? Comment elles et leurs proches ont-ils réagi à la découverte du film ?

Nada : Haidi, Monika et Magda ont découvert le film une première fois chez nous, au Caire, dès la fin du montage. Cela a été très émouvant pour chacune, car cela leur a rappelé cette époque où elles étaient pleinement ensemble, soudées. Un temps où tout était encore possible. Je crois que le sentiment le plus fort qu’elles ont ressenti, c’est d’être représentées avec authenticité. C’était très surprenant pour elles. Et le village les a célébrées. Quand elles sont revenues, elles ont été accueillies par une armée de minibus à l’entrée du village, avec la chanson qui clôt le film à fond, avant de partir dans un grand tour pour faire la fête toute la nuit. C’est une des séquences les plus extraordinaires que nous avons tourné, même si elle n’est pas dans le film. Cela a été le plus grand moment de reconnaissance pour elles.

Ayman : Quand les villageois les ont vu à Cannes, ils ont soudain réalisé que ce qu’elles faisaient était important. Ça ne veut pas dire que le village a fondamentalement changé, car ces choses prennent du temps, mais c’est un début. Magda vit aujourd’hui au Caire, où elle va bientôt finir ses études de théâtre. Monika est devenue mère d’un deuxième enfant, donc c’est malheureusement de plus en plus difficile pour elle de continuer dans cette voie. Concernant Haidi, la bonne chose c’est qu’elle a rompu avec son fiancé d’alors ! Malheureusement, son père est décédé un an avant la projection à Cannes, pendant le montage du film. Cela a été très dur. Elle vit maintenant avec sa mère et sa tante et elle essaie de trouver un moyen d’étudier le théâtre, mais c’est un peu difficile pour elle aussi.

Nada : Haidi a toujours dit qu’elle chérissait profondément le fait que l’image de son père soit préservée grâce à ce film, et qu’elle était heureuse de constater que tout le monde tombait sous son charme après l’avoir vu.

La Scam affirme la place singulière des auteurs et des autrices dans la société. Astérisque en est le porte-voix.

Lauréat de L’Œil d’or 2024 – Le Prix du documentaire à Cannes pour Ernest Cole, photographe, le réalisateur Raoul Peck partage avec Emmanuel Raspiengeas la genèse de son film.

Durant toute ma carrière, je n’ai fait que déconstruire pour reconstruire.

Raoul Peck

Quel a été votre premier contact avec l’oeuvre d’Ernest Cole, et à quand remonte votre besoin de lui consacrer un film ?

Probablement, comme beaucoup de gens de l’époque, à travers le combat anti-apartheid. Ses photos étaient utilisées avant tout dans un but politique, dans des articles, des pamphlets, tout ce qui avait trait à la critique de ce régime. Ça n’était pas un temps où l’on célébrait forcément l’artiste. Ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert son livre House of Bondage, et que j’ai pu remettre son travail dans son contexte. Pour ce qui est du film, c’est sa famille qui m’a contacté, après I am Not Your Negro. Ils sortaient un peu déçus de deux tentatives précédentes qui n’avaient pas abouties. A l’époque, j’étais contacté par pas mal d’entités, et j’étais déjà engagé dans Exterminez toutes ces brutes. Le projet était alors trop lourd pour moi, mais je leur ai dit que j’étais intéressé par la préservation de ce patrimoine. Je les ai donc aidés dans la protection, la classification et la numérisation des négatifs, qu’ils étaient en train de rapatrier en Afrique du Sud, à l’Université Wits. Ce n’est que deux ans après que je me suis rendu compte qu’il y avait matière à faire non seulement un film biographique mais surtout un vrai film de cinéma avec différentes couches de récits : le contexte politique, historique, intime…

 

Vous êtes-vous, en tant qu’exilé, reconnu dans son parcours ?

Dès le départ, quelque chose m’a irrité : cette propension, dans les articles qui lui étaient consacrés au cours des années, à dire « Il était un grand artiste, il a fait un livre incontournable, et puis il a disparu, il est devenu sans-abri, paranoïaque, a sombré dans la drogue… ». Comme si une sorte de destin s’était acharné sur lui, comme s’il n’y avait aucune raison autre que pathologique pour expliquer sa déchéance, sans compter toutes les arrières-pensées autour de la figure de l’artiste maudit… Tout ça n’avait pour moi aucun sens. Très rapidement, je me suis rendu compte que c’était l’exil qui le tuait. Ce même exil que j’ai connu à travers mes parents, à travers les gens que j’ai côtoyé toute ma vie. Je viens d’un pays qui a été sous dictature pendant plus de 35 ans. Je sais ce que c’est de ne pas avoir la possibilité de s’exprimer, je sais ce qu’est la peur, que j’ai également connue au Congo, où j’ai aussi vécu… J’ai très rapidement compris ce qu’il s’était passé dans sa vie. Dans les années 1960, il n’y a pas beaucoup de Sud-Africains, voire d’Africains tout court dans une ville comme New-York. Pourtant, vous vivez au quotidien ce qu’il se passe chez vous. De la même façon que je vis au quotidien ce qu’il se passe au Congo en ce moment, ou en Haïti. Ce ne sont pas des choses que vous mettez à distance, surtout si vous êtes politisé et que le sort de votre pays vous est important. Personne ne quitte son lieu de naissance avec joie, ni ne regarde ce qu’il va trouver ailleurs comme un paradis ! C’est une extrême douleur qui ne disparait jamais. À New-York, j’ai vu des haïtiens qui faisaient leurs valises chaque semaine car chaque semaine ils pensaient qu’ils allaient pouvoir rentrer chez eux. Et ils faisaient ça pendant 30 ou 40 ans, car bien sûr, ils ne rentraient jamais. C’est le sujet de mon premier film de fiction, Haitian Corner, où je parle de cette communauté et de ces gens qui pensent tous les jours à ce qu’ils ont laissé derrière et qui n’arrivent pas vraiment à s’adapter, à cause du poids de la douleur, de l’arrachement de là d’où ils viennent. Je n’ai donc pas eu de mal à comprendre ce qu’il se passait pour Ernest Cole.

 

Dans I am Not Your Negro, la parole de James Baldwin se déploie à travers de nombreuses interviews. Pourtant, ici, il n’y a pas de dialogue, juste un long monologue intérieur. Un parti-pris qui rejoint une phrase centrale de votre livre J’étouffe, écrit à la première personne : « Je n’ai plus aucun dialogue à initier ».

Il s’agissait de laisser enfin à nouveau la parole à Ernest Cole, puisqu’on lui a supprimé à la fois son mode d’expression et le résultat de son travail. Je n’avais pas envie de recourir à ce procédé qu’on appelle les « talking heads ». Je n’avais pas envie de laisser cette parole se faire accaparer de nouveau par des experts. Cette phrase tirée de mon livre J’étouffe, c’était pour dire aussi que les « talking heads » ne m’apportaient rien du tout. Aujourd’hui, on peut aller à la radio et dire ce que l’on veut, n’importe quoi. Toute opinion semble aussi solide que toute recherche de 50 ans par un vrai spécialiste. C’est du nombrilisme, des discussions qui n’ont ni queue ni tête, qui n’amènent aucun changement. Ce ne sont pas des dialogues. Ce sont des joutes totalement vides d’impact et de résonances. Voilà pourquoi j’ai voulu concentrer le film dans la parole d’Ernest Cole.

 

La parole d’Ernest Cole justement : le film est construit autour de ses textes existants, mais aussi de paroles en partie réinventées, même si elles sont parfaitement documentées et sourcées. Pourquoi avez-vous décidé de franchir cette barrière, de subvertir en quelque sorte le pacte documentaire avec cette hybridation ?

C’est un risque que je prends, mais en faisant en sorte de ne jamais faire dire à Ernest Cole quelque chose qu’il ne dirait pas. Le grand avantage que j’avais, c’est que le livre House of Bondage est un sacré paquet… Avec des textes incroyables, bien écrits, dans lesquels on peut lire la façon dont il parle, son humour, sa poésie, et comment il déconstruit l’apartheid d’une manière clinique. J’ai tous les instruments pour me mettre dans sa peau à partir d’informations factuelles, précises. Par exemple, quand j’écris « J’ai pensé parfois au suicide, et pas qu’une fois », c’est parce que j’ai recueilli le témoignage d’une femme qui travaillait à l’agence Magnum dans les années 1960, qu’Ernest Cole appelait presque tous les jours de la côte est des USA quelques mois avant sa mort. Elle nous a raconté ses pensées noires, sa frustration de disparaitre comme ça… Je n’invente absolument rien. Parfois, je prends même des bribes de phrases réelles. Par exemple quand il parle, ou plutôt quand je le fais parler de ces deux jeunes filles dans cette chambre à Stockholm, c’est parce que nous les avons retrouvées, elles qui sont maintenant des dames de 85 ans. Quand l’une d’elles dit « I don’t remember, my memory fails me », c’est sa phrase exacte. C’est une licence poétique, artistique, mais qui est très précise, ce n’est pas de la spéculation. En mettant ces mots dans la bouche d’Ernest Cole, je m’approche le plus possible de son style, de sa manière d’écrire, de la précision et de la brièveté de son langage.

Pourquoi ce choix d’avoir pris vous même en charge la voix-off dans la version française, et ne pas avoir fait appel à un comédien ?

Chaque fois que je fais le choix de mettre ma voix dans un film, c’est à contre courant de tout ce que j’ai voulu au départ. Dans Exterminez toutes ces brutes, ça ne devait pas être moi, parce que je voulais mettre un peu de distance face à un sujet si personnel, mais nous sommes arrivés à la conclusion, avec mon équipe, que la seule logique possible, c’était ma voix. Pour Ernest Cole, je me suis rendu compte qu’il était plus cohérent que je la fasse moi même, plutôt que de coacher un acteur, que j’avais pourtant choisi. Quand on termine, c’est comme avoir fait des répétitions de théâtre, on connait chaque mot par coeur, chaque intonation. Pour la version anglaise, je n’ai pas eu ce problème, avec Lakeith Stanfield, qui est un acteur extraordinaire. Ça a été un travail très éprouvant, même si nous nous sommes très bien entendu. Par exemple, la scène de fin, quand Ernest Cole s’éteint, nous avons dû nous arrêter pendant une quinzaine de minutes, parce que les sons de pleurs que l’on entend sont les siens, il a vraiment pleuré à ce moment là. Lakeith, comme Samuel L. Jackson dans I am Not Your Negro, est un acteur de théâtre. Il comprend ce que c’est de rentrer dans la peau d’un personnage. Parce que, une fois que vous êtes sur les planches, vous êtes seul, le metteur en scène ne peut plus rien pour vous, vous devez savoir qui vous jouez et comment le jouer. Les américains parlent toujours de narrateur, mais je n’aime pas ça. Un narrateur est très clinique dans sa voix, il met le texte à distance. Je ne voulais surtout pas ça. Je voulais que l’acteur soit vraiment le personnage.

 

Vous êtes autant un homme d’images que de mots, d’écriture. Quel rapport entretenez-vous entre ces deux formes d’expression ?

Quand j’ai découvert le cinéma, que j’ai eu envie d’en faire mon métier, j’étais déjà impliqué dans la photographie, dans l’écriture, dans tout ce qui était spectacle, cinéma, théâtre… De plus, jusqu’à l’âge de presque trente ans, il y avait encore la dictature dans mon pays. C’est à dire que notre projet à tous, à mes camarades et à moi, c’était de retourner nous battre en Haïti. Depuis cette époque, le cinéma est donc devenu un outil que j’utilise pour m’exprimer, me battre, essayer de changer les choses. Je fais feu de tout ce que j’ai : l’écrit, l’image, les archives… C’est quelque chose que j’ai très vite problématisé, du fait que ma propre histoire d’Haïtien, de noir, d’Africain, n’existait pas à travers des images faites par nous-mêmes. J’ai donc été forcé d’utiliser ce qui existait, et de le déconstruire bien entendu, puisque ces images avaient été faites depuis un autre point de vue, une autre idéologie, une autre vision du monde. Durant toute ma carrière, je n’ai fait que ça : déconstruire pour reconstruire. Je me sers de toute cette matière dans une sorte de symphonie où les mots, les sons, le montage, la musique, sont tissés ensemble. C’est presque une manière poétique de raconter des histoires. J’ai eu des ainés pour m’apprendre ça, aussi bien James Baldwin que Chris Marker, ou Kluger en Allemagne. C’est une approche que j’utilise depuis mon premier film. Si vous regardez à la suite Lumumba, la mort du prophète et Ernest Cole, photographe, vous voyez la filiation immédiatement.

Ernest Cole, photographe

Raoul Peck - photo Benjamin Géminel / Hans Lucas
Raoul Peck - photo Benjamin Géminel / Hans Lucas

La Scam affirme la place singulière des auteurs et des autrices dans la société. Astérisque en est le porte-voix.

Lauréate de L’Œil d’or 2023 – Le Prix du documentaire à Cannes pour Les filles d’Olfa, la réalisatrice Kaouther Ben Hania partage avec Emmanuel Raspiengeas, la genèse de son film.

Je ne crois pas une seconde à l’objectivité.

Kaouther Ben Hania

Vous avez découvert l’histoire d’Olfa en 2016. À quoi ont ressemblé ces sept longues années de gestation, jusqu’à la sortie du film en 2023 ?

Kaouther Ben Hania — Ça a été une longue traversée de doutes et de questionnements. Au début, j’étais partie sur un documentaire classique si l’on peut dire, mais je trouvais que la forme n’était pas à la hauteur de la complexité de l’histoire. J’ai tourné quelques images, puis j’ai abandonné, pour réaliser La Belle et la meute. Je suis ensuite revenue vers les personnages, mais ça ne fonctionnait pas. J’ai tourné L’Homme qui a vendu sa peau, et c’est après ce film que je me suis demandé si je devais abandonner ce projet ou continuer de creuser pour trouver la bonne forme. J’avais besoin d’un accès au passé de cette famille. J’avais des archives, mais le plus important étaient leurs souvenirs. Comment filmer un souvenir dans un format documentaire ? C’était la grande question. Il y a un cliché très redondant dans le documentaire, qui est la reconstitution. Je me suis dit que j’allais détourner ce cliché, me l’approprier. Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver. C’est donc dans ce contexte qu’a débuté le tournage en 2021, avec l’idée de faire intervenir des acteurs, dirigés par les vrais personnages, mais qui posent aussi des questions, qui mènent une conversation ouverte autour de ces souvenirs.

Olfa a-t-elle accepté immédiatement ce projet hybride, ou a-t-il fallu la convaincre ?

Cette idée est arrivée à la fin de mes recherches et nous étions devenues très proches Olfa et ses filles étaient désormais mes collaboratrices, mes partenaires. C’était leur histoire, j’étais là pour la mettre en forme. Je partageais avec elles tous mes doutes. C’est d’ailleurs Olfa qui m’a un peu suggérée cette idée d’actrice, entre deux conversations. Lorsque je l’ai contactée en 2016, il y avait un film à l’affiche dans les salles tunisiennes, sur une mère, jouée par Hend Sabri, qui cherchait son fils en Syrie. Quand je lui ai dit que je ferai un film et pas un reportage, elle m’a répondu « Il faudra faire mieux que le film avec Hend Sabri ». J’ai gardé cette phrase en tête, et quand j’ai pensé à une comédienne pour incarner son double, son nom m’est tout de suite revenu. C’est une star dans la région, notamment dans le cinéma égyptien. Olfa est une fan, elle était ravie qu’elle joue son rôle, et surtout de pouvoir la diriger. Elle m’a dit que lorsqu’elle passait à la télé et qu’elle pleurait, les commentaires sur les réseaux sociaux mettaient en doute sa sincérité, l’accusaient de surjouer pour qu’on ait pitié d’elle. Olfa m’a affirmé que si Hend Sabri jouait son rôle, tout le monde la croirait enfin. Je lui ai répondu « mais Hend Sabri joue. Comment veux-tu que les gens la croient ? » – « Moi je ne suis pas connue, donc les gens ne me croient pas. Elle, elle est connue, donc les gens vont la croire ». C’est une phrase qui m’a beaucoup fait réfléchir, sur le sens de ce qui est vrai, de ce que l’on croit, et de ce que l’on aimerait croire. Comme si la vérité n’avait pas d’importance et que seul le poids médiatique comptait.

Vous dites que vous vous travaillez sur le souvenir, qui est très différent du réel. Dès le début du film, une des deux filles d’Olfa corrige d’ailleurs sa mère en lui disant que les choses ne se sont pas passées comme elle le dit. Comment se confronte-t-on à cette impossibilité de l’objectivité ?

Je ne crois pas une seconde à l’objectivité dans le documentaire. Je pense que personne n’est objectif. Quand quelqu’un dit « Je suis objectif », je me méfie, ça n’existe pas. Je pense qu’en faisant un film de cinéma, un documentaire, il faut revendiquer la subjectivité : c’est mon point de vue sur cette histoire. D’ailleurs, la réalité que je filme n’existe pas en dehors de ce film. Dès le début, je propose une réalité alternative, construite à l’aide de la mise en scène, des acteurs, du décor pour essayer de raconter une histoire qui a eu lieu, celle d’Olfa et de ses filles.

Votre film s’inscrit dans la tradition des meilleurs documentaires qui abordent la question de la mémoire et de l’absence, qui rendent sensible ce qu’on ne voit pas, comme les films de Patricio Guzman, de Rithy Panh… Vous parvenez à rendre palpable la personnalité des absentes.

On l’a un peu oublié parce qu’on vit dans une marée d’images, mais le cinéma a quelque chose de chamanique, de l’ordre de la convocation des fantômes. Cela m’a frappée lors de la scène où les deux actrices qui vont jouer les sœurs apparaissent. Lorsqu’Olfa et ses filles les voient elles sont immédiatement bouleversées. Comme si l’invisible devenait visible.

La majorité de vos films, de fiction ou documentaires, partent de faits divers. Pourquoi cet intérêt pour ce que l’on pourrait qualifier de matériau brut ?

Pour moi, le réel est toujours un mystère. Je suis toujours surprise de voir les gens exposer des a priori, des convictions et des certitudes sur les événements d’actualité. Le réel est tellement chaotique, il y a tellement de facteurs qui entrent en compte. Quand je décide de faire un film, une fiction ou un documentaire, c’est vraiment pour creuser, comprendre, et, in fine, donner du sens à ce réel. C’est pourquoi je m’intéresse à des faits divers qui m’ont bouleversée. Je ne sais pas si c’est un hasard, mais je suis entrée dans la fiction via le documentaire : j’ai commencé à faire des documentaires et j’ai ensuite pris mon courage à deux mains pour passer à la fiction.

Dans Les Filles d’Olfa, la fiction ne se ressent pas seulement dans le choix de faire interpréter les personnages par des acteurs, mais aussi dans le travail de votre chef opérateur, ainsi que de votre décorateur. Le décor du film est-il réel ou est-ce, là aussi, une reconstruction ?

Non, c’est un hôtel, qui s’appelle L’Hôtel de la Tour Eiffel, qui s’est construit à Tunis en même temps que la Tour Eiffel à Paris. C’est donc un vieux bâtiment, qui a subi beaucoup de changements, qui était au début un établissement de luxe, puis une maison close, et qui est redevenu un hôtel, mais très bas de gamme. Je ne voulais pas subir les lourdeurs de la machinerie de tournage, avec des déplacements, des camions… Je voulais un décor avec un cachet esthétique réel, qui traverse le film. On a trouvé ce lieu dont on a investi les nombreuses pièces, la réception, le toit… C’était un décor symbolique surtout, car c’est un film introspectif. Le travail avec le décorateur a notamment consisté à ajouter quelques éléments épars. Par exemple, mettre un grillage pour évoquer une cellule de prison. Tout est factice, mais on s’en fiche, puisque le film convoque des moments du passé, ce sont juste des indications. Il s’agissait plus d’un décor de suggestion que d’authenticité.

Vous avez expliqué être devenue très proche d’Olfa durant toutes ces années. Une fois captée par votre caméra, n’y a-t-il pas eu le risque d’un conflit de loyauté de la montrer sous un jour si dur ? Comment avez-vous fait pour la montrer telle qu’en elle-même, avec toute sa dureté, et comment a-t-elle réagi en se voyant ainsi à l’écran ?

Olfa est à la fois victime et bourreau, une mère aimante et en même temps hyper violente. Il y avait un spectre de contradictions et de complexité que je trouvais fascinant. C’est presque un personnage dostoïevskien ! Elle a une présence, une personnalité très forte, au point que j’avais peur qu’elle phagocyte le film. J’avais besoin qu’elle me laisse de la place pour filmer ses deux filles, sans lesquelles je n’aurais jamais fait le film, tant elles apportent une lumière, un espoir à cette histoire tragique. Je me suis donc posée beaucoup de questions, au moment de l’écriture. Que les deux absentes soient incarnées par des actrices, c’est compréhensible. Mais Olfa n’est pas absente, donc pourquoi la faire jouer par une autre ? En fait, c’était pour répondre à la force de sa personnalité. Je sais, par exemple, que, lorsque j’écris une fiction, où les personnages sont totalement fictifs, si un personnage commence à prendre beaucoup de place, à devenir très contradictoire, je le divise, j’en fais deux personnages. Comme cela, j’ai un conflit. Donc je me suis dit pourquoi ne pas utiliser cette technique fictionnelle dans le documentaire ? Cela va me permettre d’avoir un regard intermédiaire sur Olfa, en la personne de l’actrice, qui va lui poser des questions, et qui va rendre cette complexité.

Six mois après Cannes, qu’est que l’incroyable succès des Filles d’Olfa a changé pour la carrière du film mais aussi pour la vôtre ? Comment vit-on une telle reconnaissance après vingt ans de carrière ?

La sélection à Cannes a été une très belle surprise, d’autant que le Festival a pris très peu de documentaire au cours de son histoire. La carrière du film a commencé dans cette très belle vitrine de la Compétition Officielle, puis avec le prix de L’Oeil d’Or, qui est une magnifique initiative de la Scam qui prend de plus en plus d’importance. Après sa sortie en salles en France, le film a été choisi par la Tunisie pour la représenter dans la course aux Oscar, où il a été choisi à la fois dans la section « Documentaire » et « Meilleur film étranger ». C’est une très belle aventure.

La Scam affirme la place singulière des auteurs et des autrices dans la société. Astérisque en est le porte-voix.

Samuel Gantier a débuté sa carrière comme monteur et réalisateur avant de poursuivre comme enseignant-chercheur à l’Université Polytechnique Hauts-de-France. Sa recherche aborde le design d’expérience utilisateur des plateformes VOD et plus particulièrement les différentes manières d’améliorer la recommandation du documentaire de création.

Comment aider le spectateur à trouver le documentaire qui lui convienne face à la surabondance de proposition sur les plateformes ? Comment lui donner des repères qui puissent orienter ses choix de visionnage face à la diversité des démarches documentaires ?

Samuel Gantier

Quel a été votre parcours avant de faire de la recherche sur la recommandation du documentaire d’auteur ?

Samuel Gantier — Je me suis passionné très jeune pour la réalisation documentaire. J’ai découvert le cinéma direct à l’âge de 16 ans en participant à un atelier d’éducation à l’image. Cette rencontre a été décisive dans mon orientation. Après le Bac, j’ai obtenu un BTS Audiovisuel en montage puis j’ai poursuivi en licence et maîtrise de cinéma avant d’entrer au DESS de réalisation documentaire de Lussas. J’ai débuté ma carrière au début des années 2000 comme monteur et j’ai réalisé quelques documentaires dont le long métrage, Affaires de grandes familles (étoile de la Scam en 2009). En 2011, j’ai entrepris un virage professionnel en décidant d’effectuer une thèse sur le web-documentaire, format médiatique alors en pleine effervescence. Ce doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication m’a conduit à me former à une discipline émergente : le design d’expérience utilisateur (UX Design). Cette approche consiste à étudier la façon dont un utilisateur d’un service ou d’une œuvre interactive s’approprie le contenu qui lui est proposé. L’enjeu est d’améliorer une conception centrée sur l’utilisateur de manière itérative. En 2016, j’ai été recruté comme enseignant-chercheur à l’Université Polytechnique Hauts-de-France où j’ai commencé à m’intéresser à la conception et à la réception des plateformes de vidéo à la demande.

La question centrale de ma recherche pourrait se résumer de la manière suivante : Comment aider le spectateur à trouver le documentaire qui lui convienne face à la surabondance de proposition sur les plateformes ? Comment lui donner des repères qui puissent orienter ses choix de visionnage face à la diversité des démarches documentaires ? Il y a plus de 20 ans déjà, à Lussas, nous nous demandions comment trouver des films autrement que par le nom du réalisateur ou la date de production. Nous rêvions de pouvoir identifier les films selon leurs spécificités formelles. C’est un vieux rêve de la profession de pouvoir trier les catalogues de documentaires à partir de leur dispositif de réalisation (un type de voix-off, un usage des archives, une mise en scène singulière…). Dans les années 2000, le bouche à oreille suffisait pour trouver un documentaire parce qu’il s’agissait de répertoires relativement réduits. Avec de la mémoire et à force questionner des proches, nous trouvions la démarche de réalisation qui nous intéressait. Mais aujourd’hui, le corpus est devenu bien plus vaste ! Tënk et Universciné proposent par exemple plus de 1500 documentaires en location, La Scam a délivré environ 600 étoiles et la plateforme Film-documentaire récence plus de 60 000 films. Un programmateur peut en avoir vu 500 documentaires mais si on lui demande de faire des rapprochements formels entre eux, sa mémoire va saturer au-delà de 50 références. Ce vieux rêve de trier des catalogues par la forme des films n’a jamais pu être déployé, et c’est finalement l’ère des algorithmes qui nous y amène aujourd’hui !

Comment sont perçus les algorithmiques de recommandation chez les auteurs de documentaire ?

Un algorithme de recommandation, c’est un dispositif qui va calculer de manière automatisée des proximités entre des objets. L’algorithme est souvent vu comme un outil au service du capital ou de l’industrie, donc des GAFAM, avec tout ce que cela implique d’usages mercantiles des données personnelles et d’enfermement dans des bulles de filtres. L’algorithme est rarement perçu comme un outil informatique dont l’éthique dépend des données qu’on lui donne à manger et de ses objectifs. Mais c’est en train de changer, à condition que ces données soient au service des œuvres, et que le calcul qui donne un résultat de recommandation soit transparent et intelligible pour l’utilisateur.

Ces trois dernières années, j’ai mené une étude appelée AlgoDoc (Algorithme de Recommandation de films documentaires) avec une équipe de chercheurs des Universités de Lille et Valenciennes. Cette recherche-action a permis de créer un thesaurus d’environ 290 mots clefs permettant de décrire finement la grande variété des dispositifs de réalisation documentaires. C’est une approche sémantique, c’est-à-dire centrée sur les films et qui vise à mieux décrire les œuvres pour pouvoir rapprocher ce qu’elles ont en commun, indépendamment de leurs thématiques ou du sujet abordé. C’est une réelle innovation dans la mesure où c’est la première fois qu’on peut rapprocher des milliers de films entre eux à travers leur dispositif de réalisation. Cela rejoint la grande revendication de tous les acteurs du documentaire de création depuis 30 ans qui est de dire que le documentaire est avant tout un geste cinématographique, un dispositif de réalisation, et qu’il ne se réduit pas à une démarche journalistique purement informative. Derrière cette ambition, il faut pouvoir créer un jeu de métadonnées qui positionnent la démarche de réalisation dans le champ de la création. Dans les grandes catégories de documentaires qui émergent de ce travail d’indexation humaine, on peut citer de manière non exhaustive : le documentaire de l’altérité (où la relation entre le filmant et le filmé est partagée au spectateur) ; le documentaire animé ; le documentaire chanté ; le documentaire joué (où un comédien professionnel vient interférer avec le réel) ; le documentaire performatif (où le cinéaste se met en scène à l’image) ; le documentaire autobiographique ; le documentaire d’enquête à partir d’une archive ; le found footage documentaire (qui réexploite des images préexistantes) ; le comique documentaire (qui joue du décalage entre ce qui montré et ce qui est dit par le commentaire) ; le documenteur (qui trompe volontairement le spectateur avec les effets du réel) ; etc.

Les résultats de cette recherche permettent d’identifier des sous genres documentaires qui soient au service de la recommandation des films, c’est-à-dire qui puisse être mobilisé en fonction des besoins propres à chaque spectateur. La question centrale de la diffusion du documentaire, c’est celle de la prise de risque que peut prendre le spectateur en fonction de ses goûts, son humeur et son contexte de visionnage. Il ne s’agit pas d’enfermer les films dans des étiquettes mais plutôt de donner des repères fiables pour naviguer dans l’immense variété des démarches documentaires. Nous proposons une aide à la décision qui vient compléter le travail éditorial des plateformes (des curations vers les abonnées) et la recommandation sociale (des abonnés vers les abonnés).

Où en est ce travail de recherche aujourd’hui ? Est-ce que des applications concrètes sont envisagées ?

Après trois années de recherche appliquée, les tests avec les utilisateurs finaux donnent satisfaction. Il y a un fort potentiel en termes de découvrabilité* du documentaire de création. Comme il s’agit de recherche publique, les résultats sont libres de droit et mis à disposition de tous en données ouvertes. Depuis deux ans, je mène un travail pédagogique auprès des acteurs de la filière pour expliquer qu’il est essentiel de s’intéresser aux métadonnées sur les œuvres si on veut favoriser leur visibilité. Aujourd’hui, l’un de mes objectifs serait de parvenir à mutualiser des moyens de plusieurs structures pour générer des métadonnées de meilleures qualités sur leurs catalogues respectifs. Avec l’aide de la Scam, un groupe de travail va pouvoir se mettre en place cet automne pour réunir les acteurs intéressés sur les enjeux politique, économique, culturel et éditoriaux des métadonnées du documentaire de création. S’il l’on parvient à construire un consortium recherche-industrie, nous pourrons alors favoriser la découvrabilité du documentaire d’auteur via des métadonnées inédites et mutualisées.

* La découvrabilité d’un documentaire se réfère à sa disponibilité, son accessibilité, sa visibilité et sa repérabilité en ligne par une personne qui n’en faisait pas précisément la recherche.

La Scam affirme la place singulière des auteurs et des autrices dans la société. Astérisque en est le porte-voix.

À quelques jours de la projection, en avant-première de La Mère de tous les mensonges au festival Vrai de Vraila lauréate de L’Œil d’or 2023 – Le Prix du documentaire à Cannes partage avec Emmanuel Raspiengeas, la genèse de son film.

Nous avons besoin de confronter cette relation mère-fille car c’est ce qui fait de nous des femmes de l’avenir.

Asmae El Moudir

Quel a été le parcours qui vous a mené à la réalisation, et plus particulièrement à ce film, La Mère de tous les mensonges, qui vous a pris plus de dix ans à réaliser ?

Asmae El Moudir Je crois que j’ai choisi ce métier pour pouvoir réaliser La Mère de tous les mensonges. J’ai grandi avec ce film, qui est mon premier vrai long métrage, que j’ai commencé à écrire en 2013. Peut-être que tout ce que j’ai fait avant n’était qu’une façon de travailler mes automatismes pour pouvoir le réaliser. J’ai commencé mes études en 2007, à Rabat, dans la première école de cinéma marocaine. Puis, en 2012, je suis partie à la Fémis, où j’ai eu la révélation du documentaire, jusqu’à suivre un master spécialisé dans ce domaine.

Comment vous êtes-vous décidé sur cette forme hybride, pour le moins inhabituelle, entre images réelles et utilisation de figurines ?

Le dispositif était là pour résoudre beaucoup de problèmes techniques et artistiques. Par exemple, quand je n’ai pas pu filmer dans le cimetière, notamment en raison de l’âge de mes personnages, qui ne pouvaient pas marcher des heures dans Casablanca, il fallait créer quelque chose pour ramener le décor directement chez mes proches. Ma grand-mère de quatre-vingt-cinq ans avait à peine accepté de jouer dans mon film après que je l’ai menacé de la faire jouer par une actrice, je ne pouvais pas en plus la fatiguer. Les figurines étaient aussi pour moi une manière de rappeler que personne n’était indispensable dans ce projet, qui est l’œuvre de ma vie. Même si quelqu’un disparaissait, ou refusait de continuer le tournage, sa figurine serait restée, et nous aurions expliqué les raisons de son départ.

C’est aussi mon père qui a proposé ce dispositif. Pendant mon enfance, il créait des petits décors dans lesquels je pouvais jouer sans avoir besoin d’aller dehors avec mes frères et sœurs, car il fait trop chaud au Maroc. Je n’ai donc pas eu l’impression de faire quelque chose de nouveau, j’ai juste filmé ce que j’ai toujours eu l’habitude de faire. C’est dans le regard des autres que j’ai senti que mon père et moi avions créé quelque chose d’original. C’était autant un personnage de mon film qu’un élément complice, avec qui je travaillais tous les jours.

L’intégrer de la sorte à votre film, était-ce une façon de le remercier ?

C’était une façon de lui rendre hommage et de pouvoir le voir danser sur le tapis rouge de Cannes ! Voir mon père traité comme une star dès mon premier film, recevoir des prix avec moi, ce n’est pas donné à tout le monde ! Mon père n’a jamais été reconnu, il a laissé tomber sa carrière, son art, pour nous faire vivre. Les gens le voient comme un maçon, mais mon père n’est pas un maçon, c’est un artiste. Et je n’ai rien contre les maçons ! Ce n’est pas un simple constructeur de murs, c’est un créateur. C’est un homme passionné, qui n’est jamais allé à l’école, mais qui a toujours fait des choses de ses mains.

Il s’agit de votre premier film, et vous remportez d’emblée deux prix majeurs dans le plus grand festival du monde. Qu’est-ce que cela change dans la vie du film, et dans votre carrière ?

Être à Cannes, et en revenir avec deux prix, c’est vraiment magnifique. Tout le monde rêve de Cannes ! Quand j’ai été sélectionné à Un Certain Regard, c’était déjà un prix en soi ! Et y gagner spécifiquement le Prix de la Mise en scène, tout le monde en rêve ! C’est mon vrai début de carrière : il n’y avait rien avant Cannes, et depuis, toutes les portes s’ouvrent à moi. Je reviens de Sydney, de Karlo Vivary… Ce n’est pas un film qui génère beaucoup d’argent, mais je m’en fiche, parce que j’en suis la productrice et je suis très contente de son parcours artistique. Je ne souhaitais pas gagner de l’argent avec un film où je mets en scène ma famille et le drame qu’ils ont vécu. Je suis ma propre productrice, parce qu’aucun producteur ne peut attendre dix ans que tu finisses ton film à ton rythme. J’ai toujours essayé de trouver des fonds qui permettent de donner argent et liberté. Je n’accepte jamais de fonds qui exigent de livrer un film au bout de 6 mois. C’est pour ça que j’ai refusé des aides d’ARTE ou de ZDF. Mais j’ai eu beaucoup d’aides de la Scam, c’est pourquoi j’ai été très heureuse de recevoir  L’Oeil d’or – le prix du documentaire de la Scam à Cannes.

Votre film est titré, en français, La Mère de tous les mensonges, un beau titre, ample, romanesque, mais son titre original est pourtant beaucoup plus concis et mystérieux : « Mensonge blanc ». Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Ça veut dire « Mensonge léger ». « La mère de tous les mensonges » annonce un crescendo dans le mensonge, qui aboutit à des révélations bien plus grandes. Pour moi, c’était important de trouver l’expression qui allait le mieux avec le monde arabe. C’est toujours comme ça, même dans l’un de mes court-métrages, que j’ai réalisé en 2014 à La Fémis avec des figurines. J’y parlais aussi de ma famille, et de mon oncle en particulier, stalinien convaincu, qui a fui Casablanca. Je racontais ça à l’aide de poupées russes avec des têtes de Staline que j’avais acheté au Trocadéro. Le titre en arabe, était une expression qu’on utilise chaque vendredi islamique quand on rencontre quelqu’un après la prière, l’équivalent de « Dieu merci, c’est vendredi ». Mais en français, c’est devenu Mémoires anachroniques ou le couscous du vendredi midi ! Il y a donc toujours un décalage en fonction de l’endroit où sera montré le film. Le titre, selon moi, ne doit pas être une traduction directe. Si un film s’appelle Vache, on ne peut pas l’appeler autrement que Cow. Mais pour des titres sous forme d’expressions, qui peuvent générer d’autres interprétations, on doit adapter. Si je traduis littéralement en arabe « La Mère de tous les mensonges », ça ne dira rien aux gens de ma région.

Comment aborde-t-on une personnalité aussi intense que celle de votre grand-mère, que vous n’épargnez pas dans le film, même si l’on sent tout l’amour que vous lui portez ?

Ça n’était pas facile. Je ne voulais pas que l’on sorte du film en pensant que j’avais été trop dure avec elle. Je l’aime dans la réalité. J’ai découvert qu’elle avait été victime de beaucoup de choses. C’est pourquoi elle a été si dure dans sa vie. J’ai donné à voir ma relation réelle avec elle, et j’ai parfois eu peur de sa réaction, qu’elle ne veuille pas finir le film. J’ai toujours gardé en tête qu’après le tournage, et plus tard, après Cannes, il y avait une famille. Je n’étais pas en train de raconter une histoire jouée par Monica Bellucci ! C’est ma grand-mère, posée dans sa cuisine, donc il fallait que je fasse attention de ne rien briser. Elle aurait pu couper les liens pendant des années, et je ne pouvais pas me le permettre ! Nous n’avons jamais eu de problème elle et moi, quelques confrontations à peine. Je l’ai parfois provoquée, mais je ne voulais pas être jusqu’au-boutiste. C’était très important pour moi de voir des gens sortir de mon film en me disant qu’ils aimaient ma grand-mère ! Elle est la star du film ! Il fallait quelqu’un contre tout et tout le monde. Quand j’écris un film, fiction ou documentaire, je raconte avant tout une histoire. Donc même en documentaire, j’utilise les ingrédients de la fiction, avec des adjuvants, des opposants, des péripéties, des charnières majeures et mineures… C’est ma grand-mère qui a mis en place cette confrontation, ce qui m’a ouvert le terrain pour pousser les émotions au maximum, les bonnes et les mauvaises. S’il n’y a pas d’émotions, il n’y a pas de cinéma.

Les deux documentaires qui ont été récompensés par L’Oeil d’Or sont deux films réalisés par des femmes, qui parlent chacun des rapports complexes qui unissent mères et filles, ou grands-mères et petites filles, plutôt que du rapport de femmes maghrébines au patriarcat et au monde masculin. Vous explorez Kaouther Ben Hania et vous le monde féminin que l’on connaît moins. Est-ce seulement un hasard, ou est-ce que cela exprime un mouvement de fond dans cette région ?

C’est vrai que nous avons ce besoin depuis des décennies. Surtout ma génération, qui n’est pas celle de Kaouther Ben Hania, qui a fait bien plus de films que moi et dont j’admire le travail. Je suis très contente de voir que nous suivons la même voie, celle de confronter nos mères. Tout ce qui nous arrive vient de nos relations avec elles. Quand on voit comment Olfa s’est comportée avec ses filles et ce qu’elles ont fait de ce comportement, on est choqué, mais la mère arabe est comme ça : elle devient dure quand ses filles arrivent à l’adolescence tellement elle a peur pour elles, et finalement elle leur fait mal. Personnellement, je n’ai jamais eu de mauvaise relation avec ma mère, mais ma grand-mère a incarné une autre forme d’autorité. C’est un hasard si nos films abordent les mêmes thèmes. Je n’avais jamais parlé à Kaouther avant Cannes, même si j’avais vu tous ses films. J’espère que cela créera un mouvement, nous avons besoin de confronter cette relation mère-fille car c’est ce qui fait de nous des femmes de l’avenir.

La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir, L’Œil d’or – Le Prix du documentaire à Cannes 2023
Maroc, Qatar, Arabie Saoudite, Égypte – 1h36’

Projection au Festival Vrai de Vrai
Dimanche 3 décembre à 19h30 au mk2 Bibliothèque (Salle A).

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Palpable, lourd, viscéral, opaque… Fasciné par ce ciel pollué de Delhi, le lauréat de L’Œil d’or 2022 – Le Prix du documentaire à Cannes nous dévoile la genèse d’All that breathes, son deuxième film, empreint de cette ambiance où les oiseaux tombent du ciel, où des frères consacrent leur vie à les sauver mais où le malaise écologique plane cruellement sur les colères quotidiennes.

Emmanuel Raspiengeas — D’où vous est venue l’idée de ce deuxième film, après Cities of sleep ? Aviez-vous été témoin de chutes d’oiseaux en raison de la pollution de l’air à Delhi, ou aviez-vous déjà rencontré les frères Mohammad Saud et Nadeem Shehzad, héros d’All that breathes ?

Shaunak Sen Avant même que je ne rencontre les personnages, j’avais le désir d’exprimer un état d’esprit, et de rendre palpable une texture. Je suis fasciné par le ciel monochrome et pollué de Delhi, et la façon dont il imprègne notre vie, en particulier l’hiver. Lorsque vous vivez là-bas, l’air est un objet à part entière, palpable, viscéral, lourd, gris et opaque. Vous ne pouvez pas ne pas penser en permanence à cet air qui vous entoure, à cette masse grise sans nuage, où le soleil est une lueur diffuse, et dans lequel vous pouvez distinguer des petits points noirs qui planent. Ce sont les milans noirs.

J’en ai un jour clairement distingué un tombant du ciel. J’ai été captivé par cette vision d’un oiseau noir chutant dans un ciel gris. Le film a donc commencé par une simple recherche sur Google : « Où vont les oiseaux tombés du ciel ? » C’est alors que j’ai découvert ces deux frères, et que je me suis renseigné sur leur compte, avant de les rencontrer dans cette cave qui leur sert de clinique, avec toutes ces boîtes, ces étagères et ces oiseaux. Un décor absolument fascinant d’un point de vue cinématographique.

Je ne voulais pas faire un film animalier ni un film frontalement sociologique ou politique.

Shaunak Sen

E. R. — Vous parlez immédiatement de la dimension visuelle de votre film, comme un peintre d’un tableau. All that breathes est porté par une esthétique très forte, éloigné de tout naturalisme, et parfois plus proche des codes de la fiction. Pourquoi ce choix de vous écarter d’une forme de réalisme ?

S. S. — Mon premier film, Cities of sleep, était extrêmement brut, sombre, sale. Pour celui-ci, j’ai vite senti que la tonalité en serait bien moins anxiogène et nerveuse. Déjà, parce que Mohammad et Nadeem dégagent une grande force tranquille. Ce sont des sortes de philosophe. Plus important encore, je voulais que le film place les spectateurs dans un état méditatif, contemplatif, et les pousse à lever les yeux, à regarder le ciel, à remarquer les oiseaux… Et lentement, à percevoir la tension permanente entre les humains et les formes de vies non humaines.

Je voulais absolument faire un film qui capte l’interdépendance de l’air, des oiseaux et des hommes, cet enchevêtrement du vivant. Pour cela, la forme se devait d’être lyrique et poétique. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire en documentaire…

Nous avons donc vite décidé d’utiliser les outils de la fiction pour raconter cette histoire : des grues, des rails de travelling, toutes ces choses-là. Heureusement, le décor dans lequel évoluent les frères est très petit, très étroit, et ils y répètent les mêmes actions tous les jours : les boîtes sont apportées ; les boîtes sont remplies d’oiseaux ; les oiseaux sont stockés à la cave ; les oiseaux sont soignés…

Cette répétition des gestes m’a permis de trouver rapidement une chorégraphie et de l’adapter au rythme de ce lieu. De plus, même si nous filmions des animaux, je savais que je ne voulais pas faire un film animalier ni un film frontalement sociologique ou politique. Enfin, je savais que je ne voulais pas faire simplement un film sur des bonnes personnes faisant de belles choses.

E. R. — Si vous n’avez pas voulu faire un film frontalement politique, il le devient néanmoins, à la fois en raison de son intérêt pour tous les êtres vivants, dès son titre, mais aussi en raison de l’irruption de la violence religieuse et sociale dans le quotidien de vos deux héros. Comment vous êtes-vous adapté à cette réalité ?

S. S. — Mohammad et Nadeem ne sont pas fortement politisés. Ils sont plus intéressés par les dieux et les hommes. Je voulais respecter leur intégrité, ce qui leur paraissait important. Je ne voulais pas imposer de structure ou de discours préconçus. Toutefois, durant le tournage, Delhi traversait une période tumultueuse et chaotique. Nous avons donc décidé que le monde extérieur devait se faufiler dans leur quotidien.

Lorsque les frères sont sur leur balcon, on entend le bruit des manifestants à l’extérieur ou les échos de la radio. Quand l’un d’eux regarde une vidéo de violences, nous avons décidé de ne garder que l’audio. De la sorte, tout ceci est devenu l’arrière-fond de leur vie, quelque chose de ressenti, qui n’avait pas besoin d’être verbalisé.

Voilà comment j’ai voulu en faire un film politique, indirectement. Ça me semble être la meilleure solution. Être trop frontal ne sert qu’à convaincre les convaincus et à être rejeté par les autres. Alors qu’un film doit permettre d’ouvrir la conversation.

E. R. — Vous prenez le temps de parler d’une relation complexe entre ces deux frères, pleine de conflits malgré leur amour.

S. S. — J’ai tout de suite perçu qu’ils étaient des personnages remarquables, avec beaucoup de force de caractère pour parvenir à faire ce qu’ils font. Ils travaillent quotidiennement, avec très peu de moyens et d’aide. Leur vie est réellement difficile, et cela peut être parfois très déprimant. Ce sont de vrais héros, des sortes de Don Quichotte, qui parviennent à avancer avec trois fois rien. Chaque oiseau qui arrive à sortir de sa cage et à voler à nouveau représente un petit miracle.

Bien sûr, ça n’est jamais facile, et j’ai pu deviner qu’il y avait en permanence des tensions et des conflits entre eux. Mais j’ai rapidement compris que leurs querelles étaient le symptôme d’un malaise écologique plus large que leur propre personne.

Je voulais montrer que le réchauffement climatique affecte également l’état d’esprit. Il influe sur notre irritabilité, notre mesquinerie, et nos colères de chaque jour. Les gens voient le changement climatique comme une sorte de phénomène monumental, plus grand que nature, qui n’a pas d’incidence directe dans la texture de notre quotidien, ce qui est totalement faux.

Les gens voient le changement climatique comme une sorte de phénomène monumental, plus grand que nature, qui n’a pas d’incidence directe dans la texture de notre quotidien, ce qui est totalement faux.

Shaunak Sen

E. R. — Le réalisateur américain Samuel Fuller a dit : « Vous devez faire un film quand vous êtes en colère. » Avez-vous fait ce film par colère, tristesse, angoisse ?

S. S. — Toute personne qui dit avoir réalisé un documentaire à cause d’une seule et unique émotion ment. Vous pouvez concevoir une fiction de cette façon, mais pas un documentaire, parce que cela prend deux ans minimum à tourner. Et aucune émotion brute ne dure aussi longtemps. Les émotions ont une date d’expiration assez rapide.

C’est pourquoi, il faut qu’un documentaire soit guidé par un mélange d’émotions, et qu’il faut laisser sa propre vie en devenir le carburant. En plus de toutes celles que vous avez citées, je dirais que je voulais ajouter une forme d’élégie. J’ai traversé une grande tragédie personnelle durant le tournage de ce film, car j’ai perdu mon père. Tout s’est alors passé comme si mon immense douleur se mêlait avec ma lamentation, plus large, sur l’état de notre planète et de l’air qui nous entoure, pour finalement apporter une couche de signification supplémentaire.

E. R. — Vous êtes le deuxième réalisateur indien d’affilée à gagner l’Œil d’or à Cannes, après Payal Kapadia avec Toute une nuit sans savoir. Est-ce que cela indique que le documentaire indien est en train de vivre son âge d’or ? Quelle est la situation de cette industrie actuellement ? Est-ce que le documentaire est devenu le meilleur endroit pour s’exprimer esthétiquement et politiquement ?

S. S. — C’est indéniable que nous vivons un moment particulier : entre Writing with fire de Rintu Thomas et Sushmit Ghosh qui a gagné un prix du public à Sundance et a été nominé pour l’Oscar du meilleur documentaire l’année dernière, le succès de Toute une nuit sans savoir et, maintenant, le Grand Prix du Jury du Cinéma Mondial à Sundance et l’Œil d’or à Cannes pour All that breathes. Il se passe quelque chose, il y a une attention accrue envers notre travail.

Cela étant dit, je ne voudrais pas tout repeindre en rose. Il faut demeurer prudemment optimiste et rester sur nos gardes. Les plateformes OTT [services de streaming] ont beaucoup aidé à notre diffusion, car il y a une vraie demande de documentaires. Mais cela reste difficile de montrer nos films en Inde, où il y a des problèmes de distribution et de financement. La réalité n’est ni toute blanche ni toute noire, les deux situations cohabitent : c’est à la fois très dur d’exister et nous traversons tout de même un moment particulier durant lequel notre production documentaire est de bien meilleure qualité que la production de fiction, qui est pourtant absolument énorme en Inde.

C’est assez réjouissant qu’un si petit secteur, une telle niche, soit si performante. En effet, beaucoup d’articles ces derniers mois évoquent un possible « âge d’or » du documentaire indien, et je me sens chanceux d’y contribuer actuellement.

All that breathes de Shaunak Sen, L’Œil d’or – Le Prix du documentaire à Cannes 2022
États-Unis, Inde, Royaume-Uni, 2022, 1 h 34

Projection à la Scam
mardi 15 novembre 2022 à 19 h 00

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La Scam soutient la sortie de résidence des Storygraphes 2022 pour une 5e édition. Quatre auteurices présenteront leur projet face à un jury.

Séance de pitch

Lundi 21 novembre de 18h à 20h

Cette séance sera une vitrine pour les formes émergentes d’écriture. Les 3 groupes d’auteurices auront 5 minutes pour présenter leur projet de jeu vidéo narratif, d’installation sonore et d’œuvre immersive sonore et lumineuse devant un comité de professionnels et de spécialistes qui
leur donnera des conseils pour la suite. Le public est invité à venir assister à ces auditions en réel ou en ligne et à poser des questions.

Où assister à la séance ?

Les auteurices et leur création

Pauline Quinonero – Route 19

Route 19 est un jeu-vidéo qui raconte et fait vivre une histoire d’amour interactive à la première personne. Le jeu se divise en des phases d’exploration en point’n click et des phases de discussion par messagerie sur l’interface d’un téléphone portable entre deux personnages. Son récit aborde les thématiques de la lesbophobie, de la résilience et de l’identité de genre.

Yann Garreau et Charlotte-Amélie Veaux – Le chant des Icebergs

Le chant des icebergs est une œuvre immersive sonore et lumineuse, d’une vingtaine de minutes, dans laquelle des participants vont naviguer sur un dos d’iceberg et le faire basculer pour découvrir ses fonds marins. L’expérience se vit comme un jeu coopératif, où chaque bascule provoque une opportunité unique d’exploration des écosystèmes de vies sous l’iceberg… mais qui s’accompagne d’effets néfastes pour l’environnement. Les joueurs vont découvrir leur pouvoir, comprendre ses effets et choisir ou non de renoncer à l’exploration.

Thomas Diaz et Tony Hayère – Nuit sauvage

Nuit sauvage est une installation sonore et immersive. Moïra, Jean Jean, Theresa, Frère Jourdain et Nicolas se trouvent au bord de notre monde. Ils ont fini de jouer leur rôle dans notre société et passent, avec nous, en coulisses. Un pied dans le vide, ils décident de nous dire ce qui reste d’eux, dans ce qui reste de décors. Ils nous racontent leur résilience. Piliers d’une jetée, vieux préau parcouru de feuilles mortes, un cheval solitaire nous fixe depuis le centre d’un champ aux barbelés écroulés ; dans la nuit d’une maison en travaux, sur le dock d’une usine où nous passons la nuit, leurs voix résonnent. Il ne reste que le cœur des Hommes pour faire surgir la lumière, là où elle semble ne plus pouvoir traverser. Clair-obscur d’une époque en crise, Nuit Sauvage s’élève comme l’aube sur les cendres.

Le jury est composé de

Marie Berthoumieu, chargée de programme Arte
Valentine Châtelet, présidente des Storygraphes
Camille Duvelleroy, autrice et réalisatrice, membre de la Scam
Julien Goetz, auteur et réalisateur
Benjamin Hoguet, auteur et représentant de la Scam
Bruno Masi, auteur, réalisateur et responsable pédagogique des filières Journalisme et Écritures interactives, Réalités virtuelles de l’INA
Annelyse Vieilledent, autrice et productrice artistique

Contacts

Pour les relations presse : presse@lesstorygraphes.com
Pour toutes autres questions : bonjour@lesstorygraphes.com

L’association Les Storygraphes explore les narrations audiovisuelles innovantes telles que la réalité virtuelle, le cinéma interactif, la web série et toutes les formes culturelles hybrides. La résidence de création dédiée aux narrations interactives a pour objectif d’accompagner les auteurices dans leur processus d’écriture et de les intégrer dans un réseau de professionnels reconnus.

Cet accompagnement a été élaboré par Les Storygraphes et l’INA, soutenu par Arte, le festival New Images et financé par la DRAC, la région Occitanie et la Scam.